La Terreur est l’apanage des classes dominantes

La Terreur est l’apanage des classes dominantes

Par Khider Mesloub

Une société fondée sur l’antagonisme de classes implique nécessairement une violence de classe. Celle de la classe exploiteuse. Toute exploitation de classe fonde son pouvoir sur la violence. Une violence toujours croissante au point de devenir institutionnelle. C’est-à-dire étatique. De nos jours, la violence organisée et institutionnalisée, incarnée par l’État, est l’unique technique de soutènement de la société capitaliste. Sans la violence institutionnelle exercée par l’État tout l’édifice social de la société s’effondrerait immédiatement.

Corollaire de l’exploitation d’une classe par une autre, la violence étatique organisée est la condition fondamentale de l’existence et de la pérennisation de la société d’exploitation. C’est à l’État de la classe dominante, au moyen de sa police, son armée, ses tribunaux, ses prisons et ses lois coercitives, qu’est dévolue la fonction de maintenir l’ordre établi, donc d’assurer la reproduction sociale d’exploitation.

Une société fondée sur l’exploitation est inconcevable sans violence. La violence est organiquement inhérente à la domination de classe. Autant la violence peut exister hors des rapports d’exploitation (violences domestiques : familiales, conjugales, relationnelles), autant les rapports d’exploitation ne peuvent exister qu’au travers et par la violence institutionnelle.

Une société d’exploitation est inconcevable sans violence, exercée par la classe dominante contre la classe dominée. La violence imprègne toutes les strates de la société de classe. Entre les gouvernants et les gouvernés. Les patrons et les travailleurs. Entre les différentes couches sociales rivales. Entre les entreprises qui se livrent une violente concurrence. Entre États qui se livrent régulièrement la guerre.

Au vrai, dans une société de classe, pour assurer la pérennisation de l’exploitation de l’homme par l’homme, la violence est la principale activité de l’État, garant de l’ordre social établi.

Cependant, avec le capitalisme, doté d’une technologie cinétique hautement sophistiquée et abondante, cette violence institutionnelle a changé qualitativement : elle est devenue Terreur. Comme l’illustre actuellement l’État français.

Comme le notait Karl Marx, le capitalisme « dégouline de boue et de sang par tous ses pores ». Il charrie en permanence cadavres, destructions, massacres, génocides, souffrances, détresses, misères, famines, guerres. Et désormais Terreur.

À l’ère du capitalisme totalitaire, les classes dominantes n’assurent leur gouvernance, donc leur domination, que par la terreur. La bourgeoisie ne peut fonder son pouvoir que sur la terreur. La gouvernance par la terreur est spécifique au capitalisme contemporain décadent. La terreur est inhérente à la bourgeoisie mondialisée contemporaine. Aux oligarchies étatiques psychopathiques modernes. Autrement dit la terreur est l’œuvre d’une minoritaire classe privilégiée qui, pour maintenir et perpétuer sa domination, l’impose à l’ensemble de la population exploitée, dominée.

La terreur est par ailleurs exercée par un corps spécialisé dévoué, trié sur le volet, étroitement inféodé à l’État (des riches), donc échappant à tout contrôle de la société, des citoyens. La terreur n’a d’autre fin que la soumission et l’écrasement de l’ensemble des membres dominés de la société.

Les classes possédantes et dirigeantes contemporaines, confrontées à un prolétariat instruit et politisé, insoumis et rebelle, animé de valeurs d’égalité sociale, mû par un esprit révolutionnaire inextinguible, par ailleurs relié par des réseaux sociaux incontournables et incontrôlables, ne peuvent assurer leur funeste règne qu’en plongeant toute la société dans un état de terreur permanent. C’est-à-dire un climat de terrorisme étatique. De terreur policière. De massacres militaires, comme on l’observe dans certains pays du Tiers-monde en butte à des révoltes populaires.

La terreur étatique est devenue un système de gouvernance structurelle et systémique de la classe capitaliste et de son État. La terreur est organiquement inhérente aux classes dominantes contemporaines. La terreur est l’expression des classes dominantes et exploiteuses fragilisées, déligétimées. Dès lors que les bases matérielles de leur domination sont ébranlées, les classes dominantes n’imposent leur règne que par la terreur. Il faut distinguer la terreur et la violence. Si la violence est contingente, la terreur, elle, est structurelle.

Aussi, peut-on définir la terreur comme une violence concentrée, organisée, spécialisée, entretenue, pérennisée et institutionnalisée, constamment en voie de perfectionnement et de durcissement, déployée en vue de perpétuer l’exploitation et la domination de classe.

La terreur est l’œuvre d’une classe privilégiée minoritaire, une terreur perpétrée contre la grande majorité de la société. De nos jours, comme on le relève partout dans le monde, le prolétariat n’est plus la seule classe à subir les exactions de la terreur d’État. La terreur s’exerce dorénavant sur toutes les classes et couches sociales (petits-bourgeois, paysans, artisans, petits producteurs et commerçants, intellectuels et professions libérales, scientifiques, jeunesse populaire et estudiantine).

Cependant, à la différence du prolétariat, ces dernières couches sociales désespérées et sans devenir, n’offrant aucune alternative historique au capitalisme, excédées et exaspérées par la terreur du système, ne peuvent lui opposer que des actes de désespoir suicidaires : la violence ou le terrorisme. Des armes étrangères aux modes d’action du prolétariat. Comme le soulignait Rosa Luxembourg : « Pour atteindre ses buts, la révolution prolétarienne n’a pas besoin de terreur ; elle hait et méprise l’assassinat des hommes. Elle n’a pas besoin de ces moyens de lutte, car elle ne combat pas des individus mais des institutions ».

À l’ère de la domination totalitaire du capital, pour l’État l’espace de vie se réduit exclusivement aux périmètres des lieux d’exploitation (entreprises) et de consommation (centres commerciaux, boutiques, restaurants, cinémas, théâtres, etc.). Les autres espaces publics sont soumis à une codification coercitive et à une restriction draconienne.

L’Espace public, dans toutes ses dimensions, de la simple rue au parc en passant par la place, est soumis aux mesures restrictives de la circulation. Toute occupation « en bande organisée » (sous-entendu collectivement) de ces lieux publics, et ce, quel que soit le mobile (d’ordre artistique, sportif, festif, ludique ou politique), est sévèrement condamnée par la loi édictée par l’État, autrement dit par la classe dominante soucieuse du maintien de son ordre établi.

À plus forte raison, toute effervescence sociale opérée dans les espaces publics est perçue comme une perturbation, une atteinte à l’ordre public, et appelle par conséquent, diligemment, une réponse répressive de la part des forces de police, bras armé de la classe dominante.

L’Espace public ne doit jamais devenir un lieu d’expression de liberté, exercée par des collectifs en lutte. Car, toute occupation de l’Espace public favorise l’émergence de la vraie démocratie populaire et, corrélativement, l’éclosion d’un contrepouvoir susceptible d’ébranler le pouvoir dominant. De là s’explique la propension hâtive des pouvoirs à déloger violemment toute occupation de l’Espace public, toute manifestation organisée dans une agglomération, comme on le relève actuellement en France. L’État s’emploie en permanence à empêcher la constitution pérenne de rassemblements, d’attroupements, de regroupements propices à la fermentation politique subversive et à la création de collectifs autonomes librement organisés, susceptibles d’initier et d’instaurer un forum de discussion libre, une agora démocratique populaire permanente qui peut se transformer en contre-pouvoir capable de supplanter et d’abolir les institutions dominantes officielles bourgeoises déjà malmenées et délégitimées, c’est-à-dire les rendre caduques, donc illégitimes.  Autrement dit, capables d’engendrer une situation de dualité de pouvoir surgie sur un conflit irréductible des classes.

À la faveur du mouvement de contestation actuel en France, tout le monde aura remarqué que chaque manifestation s’achève dans une atmosphère de violences. De terreur perpétrée par les forces de l’ordre.

Au vrai, ce climat de terreur provoqué et perpétré par l’État vise deux objectifs. D’une part, empêcher les manifestants de former des groupes de discussions, des Assemblées générales à ciel ouvert, susceptibles de s’implanter durablement, avec comme perspective de s’étendre à l’ensemble des villes. Donc, de se transformer en véritables institutions délibératives et décisionnelles alternatives majoritairement adoptées par l’ensemble du prolétariat. Un véritable contre-pouvoir.

D’autre part, à dissuader une partie des travailleurs de se joindre aux prochains cortèges, c’est-à-dire de participer aux manifestations par crainte des violences policières. Autrement dit par peur de subir la terreur de l’État bourgeois. En France « démocratique », vous avez le droit de manifester mais dans un climat de harcèlement, d’intimidation, d’humiliation et de terreur policiers. De quoi dissuader le plus téméraire des protestataires. C’est ce qui s’appelle une démocratie totalitaire. Ou un Totalitarisme démocratique. Un Totalitarisme light. Une démocratie sous la férule de la Terreur.

Pour autant, pour évoquer le phénomène des violences urbaines actuellement très médiatisé en France, la focalisation sur les casseurs a également pour dessein de distiller dans l’esprit des protestataires l’opinion selon laquelle la révolte sociale engendre inéluctablement la violence et, par voie de conséquence, le chaos.

Cette polarisation sur les éléments les plus radicaux du mouvement de révolte (infiltré par des agents de police), auteurs de dégradations, vise à justifier la brutalité de la répression policière. Et, surtout, elle a pour finalité de présenter l’État et ses institutions comme les principaux remparts pour défendre la « démocratie » (bourgeoise), « menacée par les hordes de casseurs ». (Or, comme on vient de démontrer, ce n’est pas quelque centaines de black blocs manipulés qui menacent et répriment les millions de prolétaires, mais les centaines de milliers de policiers, qui font régner un climat de terreur).

Cette orchestration étatique des violences vise également à diviser les manifestants, à désagréger les manifestations, à susciter la méfiance et la suspicion au sein des travailleurs, donc à neutraliser toute éclosion de sentiments de solidarité, de volonté de cohésion afin d’impulser une réelle structuration du mouvement de révolte sociale inscrite dans une perspective révolutionnaire.

Au vrai, les manifestations de violence contemporaines traduisent tout à la fois la faiblesse de la classe ouvrière, fragilisée par le reflux de sa conscience et de sa combativité opéré ces trois dernières décennies, une classe ouvrière phagocytée par la petite-bourgeoisie intellectuelle fréquemment aux manettes de la lutte, et la dégénérescence de la société bourgeoise, la délégitimation des institutions gouvernementales, réduites à régner par la terreur, comme on l’a analysé plus haut.

Les violences commises lors des manifestations sont l’œuvre d’individus issus de la petite-bourgeoisie déclassée, animés de ressentiments exacerbés, de haine vengeresse à l’endroit du système capitaliste, souvent mal appréhendé et mal défini.

Ces pulsions de violence, ces comportements nihilistes rappellent étrangement ceux des jeunes djihadistes musulmans, fascinés par les actions destructrices, qui plus est partisans du terrorisme. Ce n’est pas un hasard si ces deux mouvances radicales sont fréquemment instrumentalisées par l’État, notamment par la création de climats de psychose propres à susciter la sidération et l’abattement, le repliement et la résignation.  Elles permettent surtout de justifier et de légitimer le durcissement autoritaire étatique, la répression policière, la militarisation de la société. Et, dans le cas du phénomène des casseurs de France, de réhabiliter et de recrédibiliser les syndicats, ces appareils de contrôle et d’encadrement des salariés œuvrant au service du Capital, « seuls capables, selon la propagande médiatique, d’organiser pacifiquement la lutte ».

En tout état de cause, le mouvement ouvrier a toujours condamné les violences urbaines, les dégradations et le terrorisme. Il est de la plus haute importance de souligner qu’aussi bien la guérilla en zone rurale que la violence dans l’espace urbain entre policiers et groupes de black blocs sont étrangères au prolétariat. En effet, les violences aveugles et minoritaires des Black-blocs ne s’intègrent absolument pas dans une dynamique et perspective de lutte de classes. Elles ne participent en rien à l’affermissement de la lutte, ni à l’aiguisement de la conscience de classe ouvrière.

En revanche, elles participent amplement à la justification et à la légitimation de la Terreur d’État.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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