Dans une interview accordée à Algérie 54, l’auteur et journaliste Jacob Cohen, revient sur la crise au Niger, la totale soumission du régime marocain à l’entité sioniste et à cette campagne haineuse menée par certains politiques français affidés aux nostalgiques de l’Algérie française.
Algérie54:L’Afrique du Sud abrite actuellement le Sommet des BRICS,et les regards sont jetés vers l’élargissement du groupe, et la mise des premiers jalons pour l’édification d’un nouvel ordre mondial multipolaire. Pensez- vous que les BRICS réussissent à mettre fin à l’hégémonie occidentale et par conséquent la dépolarisation de l’économie mondiale ?
Jacob Cohen:Le sommet des BRICS en Afrique du Sud n’aurait pas fait les gros titres sans la guerre en Ukraine et les démonstrations suivantes : L’Amérique ne fait plus la loi sur la scène internationale. L’Union européenne est en état de crise sociale et économique. La Russie a trouvé un soutien quasi universel. L’Occident ne fait plus le poids en matière militaire. Plusieurs pays importants profitent de l’occasion pour se débarrasser de la tutelle américaine. Tous les pays qui ont quelques réserves onétaires savent désormais qu’il ne faut plu sles placer en dollars ou en euros car elles peuvent être confisquées selon les caprices des anciens maîtres. Les BRICS apparaissent désormais, avec une crédibilité incontestable, comme l’autre pôle de la communauté internationale, plus juste, plus équilibré, plus consensuel. L’avalanche des candidatures le démontre amplement. Il y a une dynamique irréversible.
Algérie 54:Le renversement du président nigérien Mohamed Bazoum, a été interprété comme une grande défaite pour la France. Est-ce que vous soutenez cette lecture?
Jacob Cohen:C’est pire qu’une défaite. C’est une humiliation. La perte d’un des joyaux de la Françafrique. Une des sources d’uranium les plus importantes. Une perte venue après tant d’autres. La population nigérienne vomissant la France, et prête à résister par tous les moyens. Et puis surtout les restes d’une arrogance française totalement déplacée et inopportune. Macron croyait encore que la menace allait ramener les militaires à la raison, fermant toutes les portes à la négociation. Tragique erreur que n’ont pas commise les Américains, qui ont envoyé le numéro 2 du Département d’État, reconnaissant de facto le nouveau pouvoir nigérien, et désavouant implicitement une intervention militaire. Au point que les médias français avaient évoqué une trahison des Américains. Quoi qu’il advienne, Macron restera dans les mémoires comme celui qui aura poussé la CEDEAO vers l’intervention militaire et des sanctions inhumaines qui touchent la population nigérienne. Rien ne semble pouvoir arrêter la perte d’influence française en Afrique et surtout la débâcle de ses intérêts économiques vitaux.
Algérie 54:Les pays de la CEDEAO soutenus par la France, sont favorables à une intervention militaire. Y aura-t-il une confrontation armée, selon vous, sachant que les pays voisins du Niger, comme le Mali, le Burkina Faso, le Tchad et surtout l’Algérie s’opposent à toute option militaire pour le règlement de la crise nigérienne?
Jacob Cohen:Depuis le début, l’intervention militaire semblait compromise. D’abord la France ne pouvait pas se permettre d’y prendre part ouvertement. Ensuite les pays africains voulant la guerre n’étaient que 4 ou 5, et encore le parlement nigérian n’a pas donné son feu vert. Enfin une intervention armée aurait trouvé en face d’elle une coalition Niger-Mali-Burkina Fasso-Guinée. Avec possiblement des soutiens étrangers. Ce qui fait réfléchir. Sans compter que des pays importants de la région, comme l’Algérie, la Mauritanie, et même le Tchad, où la prise de pouvoir anticonstitutionnelle par le fils Deby a été adoubée par Macron dans les 24 heures, ont exprimé leur opposition. Une guerre fratricide de ce niveau en Afrique, ça donne le vertige. On va vers une consolidation du nouveau régime avec tout ce que cela implique de changements dans les rapports de force et les relations économiques. Et la CEDEAO s’étant décrédibilisée, son bilan sur le plan des solidarités régionales étant quasi nul et sa promptitude à obéir aux intérêts français, laissera place à d’autres formes d’organisation plus libres et plus indépendantes.
Algérie 54: Justement l’Algérie vient d’annoncer qu’elle avait refusé d’octroyer une autorisation favorable au survol de son espace aérien par les avions français, dans la perspective d’une intervention militaire de la France au Niger. Une information démentie par Paris, au moment où le Maroc indique avoir autorisé les avions français à survoler son espace aérien. Qu’en pensez-vous?
Jacob Cohen:L’Algérie reste dans la ligne de mire de l’arc otanien. Le renforcement de la présence sioniste, dans toutes ses composantes militaires, dans les régions marocaines frontalières, constitue une menace sérieuse. Une reprise en main du Niger par le camp occidental ouvrirait un autre front hostile à ses frontières sahariennes qui menacerait, et son intégrité territoriale et ses immenses richesses. L’Algérie garde donc une neutralité bienveillante à l’égard du Niger et de ses nouvelles autorités qui bousculent l’ordre occidental. Mais elle pourrait aller plus loin si une intervention militaire, inenvisageable sans la permission de la France et du camp occidental, éait entreprise.
Algérie 54: La journaliste israélienne Natali Mendaze avait déclaré que le régime marocain avait cédé la ville d’Essaouira à Israel en contrepartie de la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. Ne pensez-vous pas que le Maroc est devenu la nouvelle colonie sioniste après la promulgation de la loi permettant aux étrangers l’achat de propriétés au Royaume?
Jacob Cohen:La monarchie marocaine ne connaît plus de bornes en matière de soumission au sionisme, dont je rappelle que dans son ADN il y a le mépris de tout ce qui est arabe et la volonté d’éradiquer et d’humilier les Arabes. Ehud Barak disait qu’Israël était une villa dans une jungle. L’Egypte et la Jordanie ont dû signer un traité de paix avec Israël et les circonstances ne leur permettent pas de le dénoncer. Mais les deux pays font tout pour que cette « paix » soit glaciale. Le Maroc se vend littéralement aux sionistes. On a réécrit les manuels d’histoire pour justifier l’entente éternelle avec les juifs marocains et donc avec leurs frères israéliens. On déroule le tapis rouge pour les requins de la finance internationale. Rien n’est trop beau pour complaire aux nouveaux alliés sionistes. Ils auraient tort de se gêner. Depuis le début des années 80, le Mossad a installé un agent au coeur du pouvoir chérifien. André Azoulay, banquier de son état, excerce ses fonctions de conseiller spécial de la monarchie. Et on peut dire qu’il a fait du très bon travail.
Algérie 54:La droite française vient de se positionner totalement du côté du Maroc, en dénonçant les tentatives de Macron de se rapprocher d’Alger. Quelle est votre avis sur cette campagne menée par des lobbys français qui n’ont pas encore digéré la nouvelle vision de l’Algérie, qui vient de conclure d’importants accords avec la Russie et la Chine?
Jacob Cohen:A ma connaissance, c’est seulement une partie de la droite française qui a pris cette position. Et même au pouvoir, cette droite n’a jamais franchi le pas d’une adhésion totale aux thèses marocaines sur la Sahara. Elle connaît très bien le prix à payer. Cela dit, de la gauche à la droite en France, on a toujours eu un faible pour la Maroc, souvent parce qu’on a gardé un dent contre l’Algérie. L’ex-puissance coloniale, qui a gardé la nostalgie de la toute-puissance sur une bonne patie de l’Afrique, digère mal le fait que des ex-colonies osent lui tenir tête. L’establishment politique français cherchera toujours a faire payer à l’Algérie ses richesses et la manière indépendante dont elle les gère. Et ce d’autant plus que l’Algérie développe une coopération militaire étroite avec la Russie et sa candidature aux BRICS a toutes les chances d’être retenue. Autant de chiffons rouges que l’Occident n’apprécie pas.
Entretien réalisé par M.Messaoudi