Par Mohamed Belhoucine*
Une brève halte obligatoire s’impose pour passer en revue de façon très succincte les dernières tentatives ‘’révisionnistes’’ en occident, sans succès durant ces trois dernières décennies pour contourner les invariants démocratiques, que j’ai passées en revue. Tout d’abord le concept dit post-politique très en vogue de ‘’démocratie partisane’’ (Isaiah Berlin, Joseph Raz), de ‘’démocratie dialogique’’ (Beck et Giddens), de ‘’démocratie cosmopolitique’’ (John Gray), de ‘’bonne gouvernance’’ (Michael Walzer), de ‘’société civile Mondiale’’ de Habermas, de ‘’souveraineté cosmopolite et démocratie absolue’’ (Hard et Antonio Negri, extrême gauche).
Tous ont en commun une même vision antipolitique qui nie la dimension antagonique (ami/ennemi) et hégémonique du politique.
Ces nouvelles théories veulent créer un monde, ‘’par-delà la droite et la gauche’’, ‘’par-delà l’hégémonie’’, ‘’par-delà la souveraineté’’ et ‘’par-delà l’antagonisme’’. Un tel désir chimérique révèle une absence totale de compréhension des enjeux d’une politique démocratique et de la dynamique de constitution des identités collectives et politiques (la connaissance des travaux d’Antonio Gramsci, de Carl Schmit et des travaux sur le poststructuralisme (Deleuze, Derrida, Foucault, Guattari etc.) est à cet égard indispensable, incontournable et nous offre d’excellentes boites à outils conceptuels, j’y reviendrai plus loin).
Tous conçoivent le but d’une politique démocratique en termes de consensus et de réconciliation, hormis Gramsci et Schmitt (c’est l’idée dominante de nos partis organiques et oligarchiques), n’est pas seulement erroné conceptuellement mais dangereux politiquement.
L’aspiration à un monde qui aurait dépassé la différentiation entre un ‘’nous’’ (les dominés, les pauvres, le peuple, les masses, les opprimés les sans propriétés, les ceux d’en-bas, les sans dents, les sans travail, les miséreux, les groupes sociaux meurtris, etc..) et un ‘’eux’’ (les dominants, les riches, la caste, les enfants et progénitures privilégiés des responsables compradores (c’est l’ultime danger disait Mao Tse Toung), les oligarques etc…) se fonde sur des prémisses fallacieuses, et ce qui adhèrent à ce projet ne peuvent que manquer la tache véritable qui incombe à une politique démocratique.
L’impossibilité d’éradiquer l’antagonisme en politique n’est pas encore assimilée et la dimension conflictuelle de la vie sociale loin de saper le projet démocratique, permet précisément de relever les défis de la vraie compréhension de ce qu’est le politique et de son corollaire la démocratie.
Aucun parti algérien ne remet en cause l’hégémonie dominante et n’a nullement l’intention (par carence et faute de connaissances théoriques et de philosophie politique au sens épistémologique du terme), de transformer en profondeur les rapports de pouvoir via les identités politiques qui ne sont autres que des identités collectives non élitaires.
Nous savons que les décisions fondamentales dans notre pays sont prises dans des sphères très éloignées de la capacité de contrôle des citoyens, et par des pouvoirs non élus (très fort taux d’abstention) et cooptés. Les représentants, de leur côté, se ressemblent de plus en plus et ressemblent de moins en moins à ceux qu’ils représentent. Faute de confrontation et de projets, la démocratie est un cruel leurre en Algérie.
On voit s’accroitre le renoncement, la désaffection de nos populations, la crise et l’imposture de la représentation suivies par l’accaparement des institutions par des pouvoirs venus des puissances de l’argent et de minorités puissantes non élues.
La métapolitique en Algérie a éliminé la chose la plus constitutive de la politique : le caractère partisan.
Pour appartenir à un « nous », il faut qu’il y ait un « eux » qui peut-être soit un ennemi (si les règles du jeu sont faussées) soit un adversaire (si les règles du jeu sont institutionnalisées et respectées). Ami/ Ennemi au sens Schmittien du terme (voir plus loin).
L’individu algérien qui vote est solitaire et aseptisé, envahit par l’espace discursif bondieusement religieux de la rue, son choix se fait dans un fauteuil chez lui, s’il décide de voter !
Une des missions de la politique consiste à récupérer les affects et le plaisir de partager une identification, pour être ensemble dans un vaste espace discursif fécond et loin de la fausse et hypocrite dévotion religieuse proto-fasciste !
Pour cela il faut reconstituer des identités collectives partisanes loin du modèle individualiste imposé et suivi aveuglément par nos partis. Dans notre pays, il y a de moins en moins de gens qui s’intéressent à la politique (un sauve qui peut généralisé, tout le monde croit qu’il n’y a que des solutions individuelles), d’où l’augmentation des abstentions à chaque scrutin. La différence entre les partis d’une part et les courants ‘’politiques’’ d’autre part s’avère insignifiante presque nulle.
Tous les partis algériens se bernent par des programmes administratifs qui se ressemblent tous, des programmes reflets de la pure gestionnite gouvernementale sans aucune consistance ni catégorie politique qu’ils assimilent faussement au (le) politique.
Tous les partis algériens représentent des variantes d’un même consensus qui établit qu’il n’y a pas d’alternatives au néolibéralisme.
Une des meurtrières conséquences est le développement d’un populisme islamiste une catégorie proto-fasciste (le bien contre le mal, l’illicite et le licite, alors que les interdits ne relèvent que de la volonté divine conformément au Saint-Coran), ajoutant qu’une hypocrite bondieuserie et bigoterie religieuse s’est diffusée dans le sens commun de la population et les espaces discursifs de toute la société algérienne avec le laxisme la complaisance voir la complicité du pouvoir (les organisations de l’Etat se sont transformées en une gigantesque affiche murale Dazibao de nécrologie religieuse), cette pseudo religiosité constante, abondante et continue, à tort et à travers, handicape et terrorise tout esprit d’’innovation et de création.
Le meilleur antidote contre l’islamisme est de restaurer le respect envers ceux d’en bas, devant cet ordre injuste, il faut lui donner un nom et le défier. Ensuite reconstruire une idée-force de communauté, récupérer les affects collectifs surtout celui de l’homogénéisation de l’identification nationale, un sentiment national, un esprit national que la fantaisie libérale et l’affairisme ont trop vite écarté.
Nos partis ‘’politiques’’ sont tout à fait inadaptés dans un monde qui a changé. Ils n’arrivent pas à construire un « nous » et la nécessité d’offrir une alternative. On ne peut pas continuer à voir la politique en fonction des diagrammes de répartition parlementaire, du nombre de sièges, de postes ministériels, de leur programme administratif qui n’a rien de politique, ou en dénombrant les apparitions récurrentes de leurs leaders qui pavoisent dans la presse nationale (certains ne peuvent même pas rassembler deux voix à eux seuls) sans substance ni consistance comme si c’était la seule définition possible.
Le renouvellement du personnel politique doit être accompagné par un effort de théorisation calqué sur la réalité algérienne, qui sera de mise et de rigueur. Tout notre personnel métapolitique organique vit un grand vide politique, une carence et une indigence intellectuelle. D’où l’importance de la réflexion théorique, totalement et vertigineusement absente dans la pratique politique algérienne.
Nous sommes en phase d’une crise de l’hégémonie : ceux qui sont au pouvoir et commandent, commandent c’est tout, ils ont cessé de convaincre, ils ont en face d’eux l’hostilité unanime de la population (pas même en situation subordonnée), ils n’ont pas la capacité d’offrir un projet au pays qui inclut la majorité de notre population, ni la capacité de construire un intérêt général satisfaisant pour les réunir ensemble.
Pour les partis oligarchiques de ‘’l’opposition’’ (faute d’assises populaires ne cessent de quémander des postes secrètement et des émoluments alimentaires en échange de leur capitulation sans conditions au pouvoir), la situation est bien pire, ils ont une incapacité structurelle à embraser une conception de la politique qui admet que les positions ne sont pas données, mais qu’elles se construisent.
Ils croient qu’avec un agrément, un costume cravate et un programme administratif qui n’a rien de politique, que la partie est gagnée. Ils ont une conception bondieusement religieuse de la politique qui consiste à réciter des psaumes, des versets du Saint Coran (sans réelle compréhension et hors contexte) et des poèmes.
Depuis l’éclatement de la bulle financière en 2008, nous assistons à une crise du modèle hégémonique néolibéral, nous devrons saisir cette opportunité historique pour ouvrir la voie à la construction d’un ordre plus démocratique et multipolaire. Mais pour apprécier cette opportunité, il est essentiel de bien comprendre la nature des transformations survenues dans notre pays au cours de ces trente dernières années et leurs conséquences pour la politique démocratique.
Cet ‘’ordre politique’’ sédimenté au cours des trente dernières années en Algérie est en train de se défaire et de se fissurer. Concomitamment avec la naissance du terrorisme durant la décennie rouge des années 90 (à l’opposé de la décennie noire de Chadli) nous avons assisté à une offensive oligarchique, c’est-à-dire un processus par lequel le compromis social de ces trente dernières années subit des attaques, ou est brisé et violé, non pas par une montée des luttes populaires et démocratiques, mais par une offensive de secteurs privilégiés (majoritairement, les milieux d’affaires apparus ex nihilo durant la décennie rouge fortement boostés et placés par l’appareil dirigeant des années 90) qui concentrent plus de pouvoir et de richesse que dans les décennies Boumediene et, par conséquent, rompent avec une situation de certitudes, par suffisance et avec des attentes précédentes.
Ce sont les ‘’élites’’ organiques qui nous ont trahis, se sont affranchies en grande partie de contrôle, en abusant de la confiance de nos citoyens et de compromis entre les groupes, et qui provoquent une dérive qui mène à la destruction de notre pacte révolutionnaire érigée durant notre sacrée lutte de libération nationale. Pourquoi nos partis métapolitiques sont totalement déconnectés de ces nouvelles luttes hétérogènes ? Parce qu’ils n’ont jamais travaillé la question et se situent dans la métapolitique.
Ce déphasage avec la réelle politique, il faut le comprendre comme un problème de nature théorique. Ces nouvelles luttes en Algérie ne peuvent être interprétées en termes de luttes de classes, ce qui empêche qu’elles soient comprises par les marxistes (espèce rare en Algérie), car cela découlait de leur conception « essentialiste de classe », dans lesquels les identités politiques dépendaient de la position de l’acteur social dans les rapports de production, rapports qui déterminent sa conscience (Karl Marx).
L’ensemble de la classe métapolitique algérienne n’a pas compris que ces luttes visent à déterminer la répartition des biens collectifs et privés, et des positions.
Il s’agit donc d’un type nouveau de construction de volonté populaire au cœur de laquelle se trouve mêlée la lutte pour la reconnaissance (Axel Honneth) mais aussi la redistribution de richesse, point central de la question, c’est ce qui a brisé notre société durant ces vingt dernières années par la dilapidation sans contrôle populaire de 1300 milliards de dollars une dime offerte par le traitre et corrompu Bouteflika à la France et à l’Europe pour se maintenir en place et qui cause cette crise.
C’est le sentiment que les privilégiés traitent par-dessous la jambe le pacte social avec des syndicats achetés et corrompus, qu’ils se placent au-dessus de la loi et, qu’en plus, les oligarques accumulent des richesses en s’accaparant la rente pétrolière, sans ramener une once de devise au pays (les lettres de crédit sont honorées en devise, l’argent du pétrole et du peuple) plus qu’ils ne l’ont jamais fait auparavant.
Tant et si bien que le sommet de la pyramide a maintenant concentré plus de pouvoir, plus de revenus et plus de capacité d’influer que lors des précédentes décennies.
La naissance d’un nouveau colonialisme intérieur. La destruction de notre système de production collectif et de protection social a mis fin aux espoirs d’ascension sociale individuelle de notre rachitique classe moyenne.
Cette catastrophe a mis à mal les derniers liens qui subordonnaient la classe moyenne à l’oligarchie. En même temps la brèche entre représentants et représentés s’est agrandie, atteignant la situation dite de ‘’désaffection’’, ou ‘’divorce’’ entre gouvernants et gouvernés.
La réelle confrontation politique en Algérie a totalement disparue, et nous assistons, à l’émergence de compétition électorale entre de grandes machineries financées par l’argent sale et le milieu des affaires, qui fonctionnent selon les mêmes règles.
Les consensus sont décidés en dehors de la souveraineté populaire, par les pouvoirs de fait. Mais cela vient en grande partie, de la corruption, sorte de mécanisme généralisée qui interconnecte, ‘’l’élite’’ organique au service du pouvoir, le système des partis tel qu’il est érigé avec le monde du big business et des affaires en Algérie, assurant le pouvoir des privilégiés sans que ceux-ci ne se présentent aux élections juste à travers une série d’ententes ‘’cordiales’’ et ‘’d’échange de bons procédés’’ à la marge des institutions (l’illustration parfaite de cette entente ‘’cordiale’’ reste celle de l’élite organique au pouvoir, des syndicats achetés et des affairistes).
Ce double phénomène de rapprochement idéologique et de corruption a pour conséquence que les élites organiques et les affairistes sont désormais perçues comme cousines germaines, par-delà leurs supposées différences idéologiques. Ajouté à cela les manœuvres actuelles des partis organiques, en phase anaérobique ont besoin d’oxygène, tentent d’incorporer de nouveaux groupes sociaux qui leurs seraient subordonnés.
Ce faisant les partis organiques projettent, de récupérer les groupes sociaux, modifient les conditions institutionnelles et sociales – en incorporant à l’ordre juridique des instances de médiation, de nouveaux contrepoids et des garanties populaires passives (c’est le but d’une nouvelle ruse imposant de nouveaux amendements organiques et antipolitique projetés dans les prochains jours) – et mettent en place un récit et une ‘’intellectualité’’ ridicule, aberrante et stupide qui donnent un semblant de solidité au nouvel ‘’ordre’’.
*Docteur en physique, DEA en économie