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Universités. Jusqu’où veut aller M. Kamel Baddari ? ( Suite)

Par Abdellali Merdaci

Au moment où j’écrivais et publiais ma contribution (« Algérie 54 », 11 janvier 2023) sur l’actualité de l’université, entre autres la proposition « à l’étude » d’une double licence dans l’enseignement supérieur, je n’en connaissais pas la motivation essentielle exposée, ces jours-ci, par M. Baddari devant les hauts responsables du secteur. Il semble, ainsi, qu’une double formation rapprocherait avantageusement les étudiants du monde du travail (« La Nouvelle République », Alger, 9 janvier 2023). C’est un argument trompeur.

L’improbable deuxième licence

Faudrait-il croire que partout ailleurs dans le monde, les patronats font l’injonction aux universités de renforcer les aptitudes de leurs candidats à un emploi par une double formation, qui n’est jamais une garantie d’intégration et de qualification professionnelle ? Et, aussi, qu’en Algérie la spécialisation des métiers a atteint une telle performance que l’université n’arrive plus à suivre. Cette explication du ministre n’est pas probante.
Par hypothèse, l’université algérienne forme-t-elle mal – très mal, même – ses étudiants  pour les arrimer à une deuxième et probablement une troisième et une quatrième formation pour leur permettre d’entrer dans le marché du travail ? L’intérêt de l’université et de ses étudiants, l’architecture de la formation universitaire actuelle y invite, est de marquer une progression dans les savoirs, de la licence au master et au doctorat, gages de haute technicité. Pourquoi rechercher un discutable ancrage dans une double licence alors même que la formation universitaire, quelle qu’en soit la spécialité, privilégie l’interdisciplinarité ? La sociologie ou l’économie apportent des réponses dans différentes spectres de formations en sciences sociales et humaines, la biologie et les mathématiques le font dans les études médicales et pharmaceutiques, et, souvent, elles y figurent en bonne place.
Cependant, cette fièvre réformiste qui s’est emparée du ministère des Universités indique-t-elle une inquiétude des autorités, qui est aussi celles des syndicats des enseignants-chercheurs, sur la qualité médiocre de la formation universitaire ? Il y aurait de bonnes raisons de le croire. Une refonte des programmes peut être nécessaire et attendue. Mais est-ce seulement de ce côté que réside la crise de l’université ? M. Baddari et les gourous du ministère qui l’entourent devraient aussi regarder les chiffres de l’assiduité des étudiants inscrits dans les universités algériennes.
Si le ministre et ses cadres estiment que les étudiants diplômés de l’université ne sont pas adaptés aux « exigences du travail » dans les domaines économiques et industriels, il faudra en rechercher les causes dans l’inadéquation actuelle des programmes pédagogiques et, pour une large part, dans le type de sélection d’entrée à l’université. Au moins cinq étudiants sur dix sont orientés vers des formations qu’ils n’ont pas souhaitées. Ce qui explique, en partie, le phénomène indéracinable de l’absentéisme. Et pour autant qu’un étudiant soit satisfait – voire passionné – par les études auxquelles le destine le logiciel de sélection du ministère, il ne trouvera pas d’optimales conditions de formation. Comment former un ingénieur mécanicien de l’aviation qui n’aura jamais mis les pieds dans un hangar d’aérodrome, qui ne connaît les moteurs d’aéronefs que par des schémas très théoriques ? S’il devait remédier à l’incompétence des étudiants rejetés brutalement par le monde du travail, le projet de double licence de M. Baddari est plus qu’un aveu de faillite de la formation universitaire.
Une deuxième licence par nécessité. Pour plus de chance, peut être ? Mais, l’université a-t-elle jamais œuvré à ouvrir le chemin à des diplômés qualifiés et compétents ? Dans cette attente précise, le projet de deux licences concomitantes de M. Baddari a un air de flibuste. Il réclamerait de l’étudiant algérien un effort démultiplié, dans une sorte d’opéra de quatre sous où il suivrait la première licence en « présentiel » et la seconde, en ligne, comme le suggère le ministre. Que d’aléas ! Cet étudiant algérien, majoritairement absentéiste, réunit-il les potentialités, en termes de force de travail intellectuel pour y faire droit ? Piteusement formé dans les lycées, dont les programmes ne sont pas régulièrement actualisés, par quel miracle se transformerait-il subitement à l’université en génie des plateformes de formation ?
M. Beddari se soucie des débouchés professionnels de ses étudiants. C’est une aimable attention. Il reste seulement à l’université de convaincre les employeurs. Cependant, la médiocrité de ses diplômés est consentie principalement par ses responsables qui, souvent, imposent le flux d’étudiants admis en exigeant des comités de délibérations des départements des rachats (parfois jusqu’à 8 / 20 !) pour gonfler les statistiques. Mais un étudiant absentéiste, admis par la triche, la complaisance des enseignants ou des rachats répétés, est par définition un étudiant peu formé, qui n’honorera aucun emploi. Pourquoi les managers des entreprises économiques et industrielles ne s’en défieraient-ils pas ? Même, si en la circonstance, ils ne sont pas aussi vertueux que les éminences en costume bleu-roi des universités.

Une nième réforme de l’architecture des formations

Au lieu de supprimer le système LMD, totalement inopérant, le ministère accumule des réformes inutiles. Signe de l’embarras du ministre Baddari relativement aux formations dispensées par l’université et à leur faible rendement, l’annonce claironnée de la réduction des offres de formation de quinze (15) à cinq (5). Elle ne correspond pas à une économie et à une rationalisation des potentialités humaines et matérielles. La perspective entrevue dans cette démarche est de créer des formations propédeutiques (« tronc commun ») dans les grandes spécialités (sciences sociales et humaines, sciences juridiques et économiques, sciences médicales et biologiques, sciences de l’ingénieur, etc.). Cette propédeutique, qui rajoute une année d’étude au schéma en vigueur de la licence de trois années, devrait selon ses promoteurs favoriser l’immersion de l’étudiant dans le travail universitaire et informer un choix objectif de spécialité.
Cette ouverture de propédeutiques, si elle doit être appliquée, susciterait un énorme désordre dans la sélection des candidats bacheliers : où mettre un diplômé de la filière sciences de la vie, reçu avec une moyenne passable ou racheté selon les dispositions de ces dernières années ? A titre d’exemple, un bachelier en sciences exactes, quel que soit son résultat à l’examen, peut légitimement figurer dans une propédeutique de la spécialité puisque les affectations en spécialité ne se feront formellement qu’au terme de ce « troc commun ». Faudrait-il caser, comme cela se fait ordinairement, les moins-disant des filières scientifiques dans les sections des lettres et langues et sciences humaines et sociales pour lesquelles ils ne sont pas préparés ? Comment demander à un biologiste, de surcroit mal classé, de devenir un historien ? Évidemment, le ministère n’a pas de réponse à cette situation prévisible.
Est-ce que le resserrement des profils de formation universitaire, présentement envisagé par le ministère, changera-t-il la donne ? L’université algérienne mettra-t-elle un terme à l’absentéisme des étudiants, son seul problème réel aujourd’hui ? M. Baddari et ses conseillers ne devraient-ils pas, à défaut de s’en passer définitivement, réfléchir à améliorer le système de formation LMD qui est dans sa version algérienne un impensable fourre-tout. Comment y motiver les étudiants ? Il y a plusieurs aspects dans le système LMD européen originel qui demeurent opaques dans sa copie algérienne. Ainsi, ceux de la mobilité des étudiants à travers les formations et des stages en entreprise, quasiment inexistants. Imaginons un étudiant qui a commencé ses études à l’Université d’El Affroun-Blida en philosophie et qui souhaiterait rejoindre celle de Biskra en sociologie, tout en conservant les crédits acquis dans la précédente formation. Et un autre étudiant qui se déplacerait avec ses acquis de biochimie vers la botanique, de Djelfa à El Oued. En Europe, cette mobilité des étudiants est envisageable à l’échelle des nations et du continent. Un candidat qui a débuté une formation à Paris peut la continuer ou la prolonger différemment à Berlin, Vienne ou Rome. À défaut de mobilité géographique et intellectuelle, l’université algérienne – aux programmes extrêmement rigides – propose des enseignements dits de découverte, ainsi l’enseignement de l’informatique dans certaines spécialités des lettres et langues. Mais, cette ouverture n’est ni suffisante ni rentable.

Réformes échevelées

Revenons pour terminer à l’argument, fort spécieux, de M. Baddari pour justifier une double licence : répondre qualitativement à la demande d’expertise des étudiants dans le monde du travail. Certes ! Pourquoi ne pas convenir avec le secteur économique et industriel, comme cela a été fait récemment par Saidal et l’université d’Alger pour les études de pharmacie, d’une codirection de la formation des candidats, de leur accorder de plus substantiels stages en entreprise ? Dans les universités européennes, pour lesquelles a été pensé le LMD, le volume des heures passées en entreprise est aussi important que celui de la formation théorique intra-muros. Est-ce le cas chez nous ? Il y a encore des ingénieurs-mécaniciens de l’aéronautique fraîchement diplômés de l’université qui n’ont pas encore vu un vrai moteur d’avion en dehors de simulations numériques. Les compagnies aériennes leur préféreront toujours, à raison, un mécanicien sans diplôme formé sur le tas.
Pour rester dans l’aviation, notons que le ministre des Universités et ses cadres naviguent à l’estime au gré de réformes échevelées (double licence, propédeutiques, anglicisation d’une génération d’enseignants-chercheurs qui n’en a plus besoin, inscription surréaliste d’universités au patrimoine culturel national…). À un tel rythme, l’université égarera son plan de vol. Pourquoi s’obstine-t-elle à changer dans la confusion au moment où il convient de consolider ce qui existe déjà ? Et, surtout, d’appliquer ses propres réglementations scolaires, dont M. Baddari est le protecteur, qui sont parmi les meilleures du bassin méditerranéen.

https://algerie54.dz/2023/01/11/universite-algerienne-6/

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