A la une, Contribution

L’histoire est aussi une question de souveraineté. 

Par Djeha

Le Préalable

Je suis d’une oreille distraite les aventures potagères de cette ritournelle sur le destin de notre histoire nationale, relancé de manière récurrente et unilatérale par nos amis français.

Le dernier voyage en août du président français n’y a pas échappé. Après M. Draghi, préoccupé par des problèmes d’énergie, il est venu à Alger nous proposer un marché de dupes : de la poudre de perlimpinpin et des « concessions » historiques contre un peu de gaz.

Il faut le dire une fois pour toutes.

L’Algérie est tenue de mettre en ordre son histoire pour produire les références nécessaires à la gestion de son présent et de son futur. Mais si elle est ainsi tenue de le faire, fut-ce au prix d’inévitables et salutaires controverses et de confrontations des interprétations, il n’est pas question de l’entreprendre une baïonnette dans le dos.

Depuis de nombreuses années, l’histoire algérienne est soumise à une improvisation, et même à une injonction, itérative française. C’est à Paris qu’est ordonné, selon des circonstances et contraintes propres aux autorités de ce pays, un agenda auquel Alger est sommée de se joindre en une fonction et des procédures réservées à l’avance.
La fameuse et imprudente verticalité jupitérienne : quand je veux, avec qui je veux, où je veux, comme je veux…

La réponse devrait être claire et ne doit souffrir aucun malentendu.

Nous avons tous bien compris que l’histoire algérienne (sous le label général de « la présence française en Algérie ») est, et n’a jamais cessé de l’être, une affaire franco-française.

La collaboration qui est offerte aux Algériens est au mieux un malentendu, au pire, un piège.

Il est nécessaires que nos compatriotes et le gouvernement algérien comprennent que la maîtrise de l’écriture controversée de notre histoire -par essence et par nécessité, car il ne s’agit pas d’histoire sacrée et révélée- doit d’abord relever d’une initiative nationale.

C’est d’abord aux Algériens de se concerter en toute liberté sur cette question en mobilisant toutes ses ressources humaines, intellectuelles, tous les témoignages, les écrits et tous les legs hérités de toute nature qui concerne la période coloniale mais aussi toute l’histoire du pays et des populations qui l’ont habitées depuis la fin du paléolithique, au moins.

Rien n’interdit de solliciter des collaborations étrangères nord-américaines, européennes, asiatiques, proche-orientales arabes et non-arabes…

Sinon, le risque serait très grand, sous prétexte qu’une part de nos archives est détenue à l’étranger, de voir notre histoire formalisée et écrite sous une plume et selon des conjonctures étrangères (le comble de l’aliénation !), quelles que soient les (bonnes ou mauvais) intentions des historiens français qui y prendraient part.

Certes, le retard pris en ce domaine a laissé proliférer une jungle de publications fantaisistes et opportunistes à visées politiciennes évidentes qui échappent à tout échange, à tout débat raisonnable et rationnel.

La responsabilité de ce chaos est imputable en premier aux autorités algériennes qui n’ont pas su organiser un espace de réflexion libre et paisible sur ce sujet. Il l’a abandonné en toute irresponsabilité à toute sorte de factions moins intéressées par l’histoire que par le pouvoir (même si partout l’histoire est un enjeu politique, ne nous faisons aucune illusion là-dessus), qui chancelait depuis une quarantaine d’années et encore plus dangereusement dans les années 1990.

En sorte que répondre aux sollicitations françaises (dont il est facile de discerner les objectifs politiques intérieurs qui n’ont rien d’académiques) c’est se fourvoyer dans une voie semée de chausse-trappes.

Ceux qui ont oeuvré à notre libération méritent meilleur hommage.

Naturellement, il ne s’agit pas de fermer les yeux et les oreilles aux échanges et propositions venus de l’étranger et de croiser nos points de vue avec ceux de TOUS nos voisins, proches ou lointains.

Il ne s’agit pas davantage de confier cette tâche à des scribouillards tarifés avec des historiens de complaisance pour tenir la chandelle. On en observe le résultat dans nos manuels scolaires avec une pédagogie pavlovienne et pas seulement dans l’enseignement de l’histoire…

L’Algérie n’est (et n’a jamais été) isolée ni dans l’espace ni dans le temps.

On n’écrit jamais son histoire tout seul. C’est vrai.

Mais on ne confie pas davantage son écriture à son voisin.

Encore moins si celui-ci insistait, courtoisement et très régulièrement, pour vous y aider.

Aussi proches qu’aient pu être l’Allemagne et la France et aussi chaleureuse qu’a pu être l’amitié franco-allemande après 1945, elle n’a jamais débouché une histoire identique. Chacun raconte la sienne, chez lui, à ses enfants.

Le préalable (le défi) qui s’impose à nous : nous saisir de notre histoire et y mettre bon ordre problématique.

C’est la condition préliminaire à une réflexion sur les interférences historiques entre notre pays et nos voisins maghrébins et méditerranéens, d’Europe et du Proche Orient.

Il serait toutefois inique et inculte d’oublier que l’Algérie a été le cadre d’une expérience coloniale et une libération singulière que peu de pays ont connu dans leur histoire. Une expérience mortifère qui renvoient à des événements rares à l’échelle des siècles qui ont bouleversé l’ordre de leur temps : 1453, 1789, 1917, 1949, 1954 (mai et novembre), 1959, 1962, 1975…

Que nos amis français écrivent l’histoire de « leur épopée bienfaitrice en Algérie » (ils ne nous ont d’ailleurs pas attendus pour le faire) de la manière qui leur convient. C’est leur affaire.

Mais pour ce qui concerne les Algériens, qu’ils se fassent à l’idée que pour eux l’histoire algérienne est d’abord une affaire algérienne.

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