Par Khider Mesloub
Bis repetita non place ! On reprend les mêmes pions pour rejouer la même partie de jeu dénuée d’enjeux politiques et économiques. À l’occasion du scrutin européen, de nouveau, l’élection attendue, selon tous les sondages, de plusieurs candidats du Rassemblement national au Parlement européen fournit l’opportunité à la classe dominante française, en particulier le gouvernement Macron, d’agiter l’épouvantail du fascisme par la diabolisation de l’extrême droite. Elle lui offre surtout l’occasion politique d’exhorter les prolétaires à défendre la démocratie bourgeoise en portant leur suffrage sur les candidats dits « Républicains », qui incarneraient le camp du « Bien », selon la bien-pensance.
Comme à chaque scrutin, notamment en 2002, 2017 et 2022, la classe dominante française tente d’entraîner l’électorat dans un faux dilemme : démocratie ou dictature. Cependant, contrairement aux « mobilisations antifascistes » menées dans un esprit « front républicain » en 2002- 2017-2022, cette fois-ci la propagande contre le prétendu danger de l’extrême droite n’a pas rencontré le succès escompté. Et pour cause. Le fort taux d’abstention prévu au scrutin européen, couplé aux crispations et dissensions entre les « partis de gouvernement », aura fissuré ce « front républicain ».
Fondamentalement, existe-t-il un danger fasciste comme le martèlent les médias stipendiés ?
Sans conteste, au contraire des années 1920-1930, en dépit de ses scores électoraux relativement élevés, le parti de Marine Le Pen, le Rassemblement national, ne constitue pas une menace fasciste. En revanche, une chose est sûre, contre la désaffection de la politique par les classes populaires, illustrée par la forte croissance de l’abstentionnisme et la discréditation des partis traditionnels, pour rabattre les électeurs désabusés (à force d’être abusés) vers les urnes, faute de programme politique authentiquement réformateur mobilisateur, la classe dominante française recourt fréquemment, afin de défendre sa démocratie bourgeoise corrompue, à l’assourdissante campagne de mobilisation citoyenne pour contrer le « péril fasciste ».
Il est de la plus haute importance de rappeler que l’intronisation des régimes fascistes au pouvoir au cours des années 1920-1930 intervient après l’écrasement du mouvement ouvrier, dans des pays sortis vaincus de la Première Guerre mondiale, qui plus est humiliés par des traités géographiquement désavantageux et par des versements de répartition de guerre exorbitants. Cette instauration de régimes fascistes fut surtout favorisée par le soutien financier et logistique apporté par le grand capital allemand et italien.
Par ailleurs, l’émergence des régimes fascistes avait correspondu aux nécessités du capital de ces pays, engagés désormais dans une économie de guerre, la militarisation du travail et la concentration de tous les pouvoirs au sein d’un État despotique expurgé de toutes les dissensions et rivalités au sein de la bourgeoisie, comme de la société totalitairement verrouillée, en vue de la préparation d’une nouvelle guerre mondiale aux fins de la partition et répartition impérialistes du monde.
À l’instar du stalinisme, autre excroissance purulente totalitaire percée sur l’échec de la Révolution russe, les régimes fascistes, surgis dans des pays tardivement créés et imparfaitement intégrés dans le capitalisme, furent l’expression brutale de l’inclination historique vers le capitalisme d’État (devenue la norme gouvernementale dans tous les pays).
Ainsi, contrairement à l’idée erronée communément répandue par l’historiographie et les médias, le fascisme n’a pas été engendré par un racisme ethnique ou sociologique, mais a été démocratiquement procréé par la Première Guerre mondiale couplée à la dissolution de la lutte des classes dans le nationalisme belliciste propagé, telle une épidémie pestilentielle contagieuse, par les classes dominantes. En revanche, le colonialisme, notamment français, est consubstantiellement raciste. On peut considérer le fascisme – et le nazisme – comme le colonialisme des nations pauvres, dépourvues d’empire. Faute d’asservir des populations étrangères par le colonialisme pour les exploiter et piller leurs richesses, ces États se sont lancés dans une politique d’assujettissement de leur population autochtone.
En tout état de cause, le fascisme ne fut pas l’émanation de la petite bourgeoisie déclassée, hargneuse et haineuse, précipitée dans la paupérisation par la crise. Il fut l’œuvre de la bourgeoisie revancharde de certains pays, dans un contexte historique déterminé. Néanmoins, la petite bourgeoisie comme le prolétariat furent instrumentalisés comme masse de manouvre dans les formations politiques fascistes pour réorganiser la société et l’économie dans une perspective foncièrement militariste.
De nos jours, le Rassemblement national, comme tous les partis populistes, ne dispose d’aucun « programme économique » novateur, fédérateur et salvateur. Pis : dans le cadre de la mondialisation actuelle et l’union européenne, certaines propositions économiques sont totalement inapplicables du point de vue des intérêts du capital national français. Leur application entraînerait une chute immédiate de l’économie nationale, déjà amplement affaiblie. Au vrai, aucun patron consciencieux ne pourrait adhérer au programme économique fantasmagorique et autarcique de l’extrême droite. D’autant plus que, contrairement aux partis fascistes belliqueux et volontaristes des années 1920-1930, l’extrême droite contemporaines ne propose aucune alléchante option impérialiste conquérante, susceptible de galvaniser les foules, d’enflammer l’appétence financière des patrons en quête de nouveaux marchés coloniaux exclusifs, un nouveau repartage impérialiste du monde. De nos jours, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, cette « mission impérialiste » est assurée directement par les États dits démocratiques ou classiques dictatoriaux : les États-Unis, la Grande Bretagne, la France, l’URSS (la Russie aujourd’hui), la Chine, etc.
Certes, ces deux dernières décennies, notamment en Europe, plusieurs partis d’extrême-droite dits populistes ont conquis démocratiquement le pouvoir. Mais au prix du reniement de leur programme économique, autrement dit de leur conversion à l’ultra-libéralisme et à l’européanisme ; au prix du rabotage et du sabordage de leur nauséabonde idéologie. Ce fut le cas avec le FPÔ d’Haider en Autriche qui, pour accéder aux responsabilités gouvernementales, avait dû modérer son programme. Bien avant le FPÔ autrichien, ce fut le MSI de Fini en Italie qui avait répudié son idéologie fasciste pour épouser le dogme libéral et européaniste. Et de la première ministre italienne, Giorgia Meloni, dirigeante du parti Fratelli d’Italia. C’est le cas du Rassemblement national, devenu un parti « républicain », appartenant à la droite nationaliste classique. Soit dit en passant, dans cette période de tensions inter-impérialistes et de marche forcée vers la guerre généralisée, le Rassemblement national est le seul parti, notamment sur le conflit russo-ukrainien, à prôner une solution pacifique.
On l’oublie souvent : la condition historique sine qua non pour l’intronisation du fascisme au pouvoir, c’est l’écrasement politique préalable du prolétariat par l’État bourgeois. Or, le prolétariat français (européen, occidental), loin d’être vaincu et brisé, est au contraire triomphant et combatif, comme il l’avait illustré lors du mouvement des Gilets jaunes.
Eu égard à ces considérations sociologiques et politiques contemporaines défavorables au capital tenté éventuellement par l’option du fascisme, le péril de la résurgence de régimes fascistes, agité comme un épouvantail par les médias français, est quasiment irréalisable. Car le surgissement des partis populistes contemporains s’inscrit dans un contexte historique radicalement différent des années 1920-1930. La flambée des idéologies populistes actuelles illustre la dégénérescence du capitalisme, marqué par le délitement du lien social, l’anomie, le désenchantement, l’insécurité professionnelle et urbaine, les exodes occasionnés par les guerres sanglantes, les flux migratoires provoqués par la paupérisation généralisée. Et non l’inauguration du fascisme.
Pour nuancer mon propos, j’ajouterai le point suivant : si inauguration du « fascisme » (plus exactement tournant totalitaire) il y a actuellement, elle est l’œuvre directe des gouvernants européens atlantistes, et non de partis populistes lilliputiens.
Si un tournant « fasciste » (totalitaire) est perceptible dans plusieurs pays européens, notamment en France dont le gouvernement est engagé dans une « économie de guerre », la militarisation de la société et du travail et la concentration de tous les pouvoirs au sein d’un État policier répressif, il est directement l’œuvre des gouvernements et des États « démocratiques ».
Le sociologue Ugo Palheta définit ainsi le fascisme : « La victoire du fascisme est le produit conjoint d’une radicalisation de pans entiers de la classe dominante, par peur que la situation politique leur échappe, et d’un enracinement social du mouvement, des idées et des affects fascistes. »
N’est-ce pas ce à quoi nous assistons en France ? Radicalisation de la classe dirigeante française, incarnée par le va-t-en-guerre Macron, fidèle soutien de l’État fasciste d’Israël qui mène une guerre génocidaire contre le peuple palestinien ; et enracinement graduel des idées et affects « néofascistes » (totalitaires) distillés directement par l’État et ses appareils idéologiques dans toutes les strates de la société française, et non par l’inoffensif Rassemblement national dépourvu de tout pouvoir politique, économique, institutionnel, médiatique.
Au vrai, le fascisme, au sens originel et politique du terme (Tout par l’État et Tout pour l’État), et non au sens idéologique et racial tel qu’il est galvaudé, est déjà au pouvoir à l’Élysée : l’ukase 49.3, le Conseil de défense, le règne par la terreur policière, la militarisation de la société, incarnent ce totalitarisme actuel.
Pour information, le fascisme n’est pas synonyme de racisme. En revanche, la démocratie bourgeoise occidentale a toujours été synonyme de racisme (l’époque de la ségrégation raciale des Noirs institutionnalisée par l’Amérique démocratique, encore prégnante), de racisme de classe (mépris du prolétariat) ; synonyme de racisme colonial (l’époque récente de la colonisation de l’Algérie par la démocratique France, encore survivant).
Par une opération d’inversion accusatoire et manœuvre de diversion, le « péril fasciste, agité par le gouvernement et les médias français, recèle néanmoins un puissant adjuvant d’amollissement de la conscience de classe du prolétariat, diluée dans la défense de la « démocratie » totalitaire bourgeoise.
L’agitation de ce péril sert d’épouvantail à la classe dominante française décadente pour dévoyer la colère sociale vers un ennemi « fasciste » fantasmagorique. Ou plutôt réellement existant, mais tapi dans l’ombre institutionnelle, positionné là où la majorité de la population, aveuglée par son conditionnement idéologique, ne peut le percevoir ou refuse de l’admettre : à l’intérieur des institutions étatiques françaises tyranniquement radicalisées ou déjà radicalement tyranniques, posté également au sommet du pouvoir représenté actuellement par le « sniper gouvernement » macroniste, un gouvernement ouvertement impérialiste, belliciste et raciste, au « doigt policier et militaire » sur le gâchette et à la « tête gouvernementale » animée de projets politiques foncièrement destructifs et de plans économiques socialement génocidaires.