L’indemnisation des victimes algériennes des essais nucléaires français en Algérie ne pourrait intervenir en l’absence d' »excuses » de la France pour l’ensemble de ses « crimes coloniaux », estime Dr Ammar Mansouri, chercheur en Génie nucléaire, soulignant la « responsabilité morale et juridique » de cette dernière devant le Droit international humanitaire.
« Il faut souligner que les archives françaises liées au nucléaire sont frappées du sceau +secret-défense+ ». Et tant que la France continue à refuser la repentance et les excuses, je ne pense pas qu’elle reconnaîtra ses crimes nucléaires en Algérie et, encore moins, concéder à l’indemnisation des victimes, cela impliquant des incidences financières conséquentes pour elle », a déclaré à l’APS Dr Mansouri. Intervenant la veille du 61 éme anniversaire des explosions nucléaires françaises en Algérie « Gerboise bleue » (13 février 1960), il fera remarquer que les présidents français qui se sont succédé ont été « unanimes » à plaider pour « une nouvelle page et des relations privilégiées entre les deux pays, tout en refusant, paradoxalement, la repentance et la réparation ».
Abordant l’actualité du contentieux mémoriel entre les deux pays marquée par le dernier rapport de Benjamin Stora, Dr Mansouri souligne que ce document a bien abordé « la contamination des populations sahariennes par les bombes atomiques »françaises et préconisé la « poursuite du travail conjoint » sur cette question.
Néanmoins, il estime que ledit rapport demandé par le président français Emmanuel Macron « est justifié par les ambitions électoralistes de ce dernier pour 2022 comme ce fût le cas en 2018 ». Aussi, préfère-t-il parler de « non-événement pour l’Algérie », suggérant la mise en place d’une « commission Histoire et Mémoire / Vérité et Justice », en place et lieu de « la commission Mémoires et Vérité » proposée par l’historien français.
Et de revenir sur la première réunion, en 2016, du groupe de travail mixte sur l’indemnisation des victimes algériennes des essais nucléaires français au Sahara ou de leurs ayants-droit, laquelle devait être suivie d’une seconde rencontre dans la capitale française durant la même année.
« Malheureusement, ce groupe de travail, créé pour faire avancer le dossier des indemnisations ne s’est plus réuni depuis », a-t-il déploré, avant de rappeler, qu’à ce jour, une seule victime a été reconnue en tant que telle puis indemnisée, en 2018, considérant, toutefois, que cette réparation demeure « tardive et très restreinte » comparativement à la date des faits et au nombre important des victimes.
Dossier « épineux » et « lourd héritage »….
Pour le chercheur, la commémoration de la « Gerboise bleue » est une opportunité pour « se pencher sur cet épineux dossier et lourd héritage colonial, en particulier les tragédies, les souffrances et les ravages infligés au peuple algérien, comme l’attestent les nombreux témoignages et documents y afférents ». En somme, des « crimes coloniaux dépassant les entendements et imaginaires », fait-il observer, citant, outre les explosions nucléaires et autres essais chimiques et biologiques, les mines antipersonnel. « La contamination des populations sahariennes par les explosions nucléaires françaises n’est plus à démontrer. Des décennies après, la radioactivité continue de tuer et de causer des malformations congénitales parmi les nouveau-nés à Reggan (Adrar) comme à In M’guel (Tamanrasset) », s’indigne celui qui se penche, depuis des années, sur le dossier du nucléaire français au Sahara algérien (1957-1967).
Activant dans le mouvement associatif, Dr Mansouri rappellera que les 57 explosions, essais et expérimentations nucléaires françaises en Algérie ont généré « des déchets radioactifs, sous formes gazeuse, liquide et solide, nocifs pour toutes formes de vie, sachant qu’ils sont toujours enfouis sous le sol algérien et représentant un danger permanent pour la sécurité sanitaire des populations ».
Faisant observer « la difficulté » de la gestion de ces déchets, l’intervenant a également rappelé les caractéristiques des rayonnements ionisants émis par les sources radioactives, à savoir « invisibles, inodores et silencieux ».
« Ce pourquoi, les populations affectées par les explosions nucléaires françaises, aussi bien au Sahara qu’en Polynésie, sont terrorisées car n’ayant pas l’impression d’être maîtresses de leur santé et de leur environnement », commente-t-il, avant d’évoquer la réflexion d’Albert Einstein: « Quoi qu’il en soit, l’atome ne pardonne pas ! « .
A ce propos, Dr Mansouri tient à rappeler que « la France a réalisé ses explosions nucléaires en pleine connaissance des dangers de la radioactivité et de ses conséquences sur la santé humaine, sur l’environnement et surtout pendant le moratoire international sur ces essais décidé par les puissances nucléaires en 1958 ». Ce qui l’amène à souligner la « responsabilité morale et juridique » de l’ancien empire colonial devant le Droit international humanitaire.
Interpellé précisément sur la portée du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), ratifié en 2017 et entré en vigueur fin janvier 2021, le chercheur, ayant contribué à la réalisation de films-documentaires sur les crimes coloniaux, évoque notamment les articles 6 et 7 stipulant » l’assistance aux victimes et la remise en état de l’environnement » ainsi que la coopération et l’assistance internationales. Partant de cela, poursuit-il, la France « est face à son contentieux nucléaire en Algérie et est contrainte de le régler », conviant cette dernière à « exercer des pressions » dans ce sens sur son ancien colonisateur. Plus concrètement, il s’agit de l’amener à « ouvrir » les archives nucléaires, à indemniser les victimes et les ayants droits, à réhabiliter les sites nucléaires affectés, l’enjeu étant d' »assurer la sécurité sanitaire des populations et des générations futures ainsi que la préservation de l’environnement et de l’équilibre de l’écosystème, tout en assurant l’assistance technique nécessaire à ce genre d’opérations ».
Autant de mesures, poursuit l’auteur de plusieurs écrits sur ce dossier, qui ont été préconisées par l’Agence Internationale à l’Energie Atomique (AIEA) depuis 1995 aux Etats auteurs d’essais nucléaires, les conviant à « assumer toutes leurs responsabilités » dans ce registre.
« Malheureusement, la France n’a pas daigné s’y conformer en Algérie et ne l’a fait que pour la Polynésie. Pourquoi ce +deux poids deux mesures+ »? », s’est-il interrogé, avant de faire le parallèle avec des cas d’indemnisations accordées par des Etats nucléaires aux populations impactées par leurs expérimentations, à savoir le Royaume-Uni avec l’Australie, les USA avec les îles Marshall et le Japon ainsi que la Russie avec le Kazakhstan.
Tout en relevant le principe du « pollueur-payeur » préconisé par le TIAN, Dr Mansouri souhaite la tenue d’une conférence internationale pour faire avancer le dossier des essais nucléaires à travers le monde avant de conclure ainsi : « En fait, le plus grand crime perpétré à l’encontre des Algériens, c’est le colonialisme lui-même, car engendrant toutes sortes de crimes contre l’humanité « .