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Salim Lamrani à Algérie 54: l’Algérie et Cuba symbolisent la solidarité intercontinentale autour d’un idéal commun

A l’occasion de la célébration du 60ème anniversaire des relations diplomatiques entre l’Algérie et Cuba, Algérie 54 a jugé nécessaire de poser quelques questions à l’un des grands spécialistes des questions cubaines, en l’occurrence Salim Lamrani , enseignant-chercheur, historien ,essayiste, journaliste, maître de conférences en civilisation hispano-américaine à l’université de La Réunion, chercheur au CRIMIC de Sorbonne Université et au GRIHAL de l’université de Versailles Saint-Quentin.  Salim Lamrani écrit sur Cuba et ses relations avec les Etats-Unis ainsi que sur les représentations médiatiques des réalités cubaines.

Salim Lamrani a soutenu une thèse intitulée « De Fulgencio Batista à Fidel Castro : Cuba et la politique étrangère des Etats-Unis (1956-1959) » en 2010, devant un jury de spécialistes de l’Amérique latine et de Cuba, dont le professeur Paul Estrade2 (auteur en 2017 de José Martí 1853-1895. Les fondements de la démocratie en Amérique Latine, Paris, Les Indes Savantes) ; Paul Estrade a aussi été membre de son jury d’habilitation à diriger des recherches (HDR). La thèse et l’HDR portaient sur les relations entre Cuba et les États-Unis sous Batista et aux débuts de la révolution cubaine. Salim Lamrani est membre du Centre de recherches interdisciplinaires sur les mondes ibériques contemporains (CRIMIC) de la faculté des lettres de Sorbonne Université (ancienne Paris-IV)3, et du Groupe interdisciplinaire sur les Antilles hispaniques et l’Amérique latine (GRIAHAL)4, rattaché au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines (CHCSC) de l’université Versailles Saint Quentin5. Salim Lamrani est par ailleurs membre du Conseil académique de la Revista Latina de Comunicacion Social de l’Université de La Laguna (Espagne)6.

À partir de 2017, il est l’interprète de l’entraîneur argentin Marcelo Bielsa sur qui il a publié un livre, Le football selon Marcelo Bielsa.

Algérie54:Le 17 octobre prochain, l’Algérie et Cuba célèbrent le 60ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays. Quels sont les enseignements à tirer des relations historiques entre les deux pays et les deux peuples?

Salim Lamrani: Malgré la distance géographique qui sépare les deux pays, l’Algérie et Cuba symbolisent la solidarité intercontinentale autour d’un idéal commun : la lutte pour l’émancipation, l’autodétermination des peuples et l’abolition de l’oppression sous toutes ses formes. Cuba a naturellement soutenu la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Les Algériens, quant à eux, fidèles au principe de gratitude, n’ont pas oublié pas le concours apporté par les Cubains dans les moments de détresse et n’ont pas d’exprimer leur reconnaissance dont le symbole a été la visite d’Ahmed Ben Bella à Cuba en octobre 1962, en pleine crise des missiles.

La Havane, en Amérique latine, et Alger, en Afrique, ont été les deux principaux bastions de la lutte anticoloniale, où les mouvements révolutionnaires et indépendantistes ont refuge et soutien. Au-delà de la vision commune pour les pays du Sud, une connexion émotionnelle, née de l’identification à l’idiosyncrasie et à la cause de l’autre, a cimenté les liens entre les deux pays : Cuba a été la meilleure amie de l’Algérie en Amérique latine et l’Algérie a été la meilleure amie de Cuba en Afrique.

Algérie 54: Les Cubains n’ont pas oublié le geste de l’ancien président Benbella de s’être rendu à la Havane, deux jours après avoir été reçu par le président américain John. F. Kennedy à la Maison Blanche, en pleine crise des missiles. Idem pour les Algériens qui n’ont pas oublié cette solidarité infaillible du gouvernement cubain dirigé par le président Fidel Castro, lors de la Guerre des sables et l’agression du régime marocain. Que diriez-vous, sur la similitude des faits et cette symbiose manifeste entre deux peuples réputés d’être révolutionnaires et anti-impérialistes?

Salim Lamrani: Au début des années 1960, Cuba et l’Algérie ont tissé une relation spéciale forgée par une histoire de lutte similaire, des idéaux partagés et une vision émancipatrice commune pour les pays du Sud. Alger, « La Mecque des révolutionnaires », et La Havane, « l’île de la liberté », ont naturellement opéré un rapprochement, renforcé par les liens d’amitié entre Fidel Castro et Ahmed Ben Bella. Les peuples algérien et cubain ressentaient une admiration mutuelle qui découlait de l’identification réciproque à la cause de l’autre : la lutte contre l’impérialisme pour les Cubains et la lutte contre le colonialisme pour les Algériens.

L’idéal révolutionnaire a cimenté les rapports entre les deux pays, reléguant les considérations dites pragmatiques au second plan. En effet, Cuba avait peu à gagner à soutenir l’indépendance de l’Algérie, pays ravagé et ruiné par des années de guerre, sinon s’attirer l’inimitié de la France du Général de Gaulle, dans un contexte géopolitique déjà marqué par l’hostilité des Etats-Unis. De son côté, l’Algérie nouvellement indépendante, dont les besoins en investissements étrangers étaient criants, avait également beaucoup à perdre à exprimer sa solidarité envers la Révolution cubaine. Washington avait en effet décrété un isolement général de l’île, faisant plier sous la menace de sanctions tous les pays du continent américain, qui mirent un terme à leurs relations diplomatiques avec La Havane, à l’exception du Canada et du Mexique. Mais les convictions anticolonialistes et anti-impérialistes ont Cuba et l’Algérie à faire de l’internationalisme, c’est-à-dire de la solidarité active avec les peuples en lutte pour leur émancipation, un pilier de leur politique étrangère.

Algérie 54: La célébration du 60ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre La Havane et Alger, coïncide cette année avec une conjoncture particulière marquée par une volonté exprimée à l’édification d’un nouvel ordre mondial multipolaire, plus juste. Que dira Monsieur Amrani sur ce sujet?

Salim Lamrani: Les peuples du monde aspirent à un ordre nouveau, régi par le droit international, le respect de la souveraineté, de la réciprocité et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des nations. C’est une nécessité démocratique. Le monde ne se limite pas à aux intérêts et aux considérations des pays occidentaux et une minorité, aussi puissante qu’elle soit, ne peut pas décider du sort de l’humanité.

Algérie 54: L’Algérie revient en force sur la scène internationale, après de longues années de disette. Aujourd’hui sa voix est plus entendue et ses récentes initiatives pour le règlement des conflits régionaux sont respectées. Est-ce le retour de l’Organisation des Pays Non-Alignés, dont l’Algérie et Cuba étaient les fers de lance?

Salim Lamrani: L’Organisation des Pays non alignés a joué un rôle fondamental dans l’équilibre du monde, dans la préservation de la paix et dans la recherche de solutions pacifiques aux différents conflits. Il est impératif que cette institution retrouve son influence afin de faire face aux grands défis de notre époque. L’Algérie, qui historiquement a joué un rôle extrêmement important dans la défense des intérêts des pays du Sud et qui est une puissance politique et énergétique, doit continuer à faire entendre sa voix et à contribuer à la paix mondiale.

Algérie 54: L’Algérie a émis le vœu d’intégrer le BRICS, pour s’éloigner de la confrontation des blocs. Qu’en pensez-vous?

Salim Lamrani:  Le BRICS est en train de devenir la plus importante organisation au niveau mondial et a pour principe recteur le multilatéralisme et la coopération. De nombreux pays, attachés à ces principes, souhaitent à juste titre intégrer cette institution et s’émanciper ainsi de l’influence des grandes puissances occidentales, dont les intérêts ne coïncident pas forcément avec ceux des pays du Sud. Le vœu de l’Algérie est légitime et son intégration sera bénéfique à tous les membres du BRICS.

Entretien réalisé par M. Messaoudi

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