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Algérie/France: des avancées sur les questions mémorielles, en dépit de l’acharnement des nostalgiques de la colonisation

  Par  Ait Mouhoub

Au moment où les voix qui s’élèvent en France pour la reconnaissance d’un passé colonial avec son lot de violence et de crimes contre l’humanité se font nombreuses, d’autres persistent à vouloir tourner le dos à un passé d’une violence extrême, en tentant encore de mettre au goût du jour des « aspects positifs de la colonisation », une tentative largement décriée en son temps en France.

Le dossier de la colonisation, dont des pans entiers liés à la torture, aux disparitions forcées, massacres et crimes contre l’humanité, sont aujourd’hui étalés au grand jour, a lourdement pesé sur les relations entre les deux pays, faisant que la mémoire commune, marquée par la longue nuit coloniale, resurgit à chaque fois pour altérer les rapports entre les deux Etats.

Depuis 2017, les sorties du chef de l’Etat français, Emmanuel Macron, sur les questions mémorielles se font nombreuses.

Lors de sa visite en Algérie, M. Macron avait déclaré que la colonisation était un « crime ». « C’est un crime contre l’humanité. C’est une vraie barbarie, et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis ces gestes », avait-il concédé.

Une année après, c’est-à-dire en 2018, le président Macron reconnaissait clairement et au nom de la République française que le jeune mathématicien Maurice Audin, qui militait pour l’indépendance de l’Algérie, a été torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile.

Cette reconnaissance du fait de la torture par le président Macron n’a été possible que grâce aux recherches d’historiens et journalistes qui, sur le chemin de Pierre-Vidal Naquet, avaient pu mettre au jour la vérité sur la disparition de Maurice Audin. Officiellement, on reconnaissait alors que le jeune militant, disparu en juin 1957, est « mort sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France ».

A celui de Maurice Audin s’ajoutent des milliers de cas de disparus, lors de la seule Bataille d’Alger. Pour rappel, le secrétaire général de la préfecture d’Alger, chargé de la police, Paul Teigen, avait déploré, dans  sa lettre de démission, 3024 disparus durant l’année 1957 à Alger.

Cet ancien résistant français à l’occupation allemande qui, « usé et écoeuré » par le soutien systématique et indéfectible de ses supérieurs, Yves Lacoste et le préfet Serge Baret, aux parachutistes qui avaient les pleins pouvoirs dans Alger, avait lui-même été menacé de mort.

Plusieurs dénonciations de ces pratiques eurent des échos en France et dans le monde. Le recours systématique à la torture et aux liquidations extrajudiciaires du fait des pouvoirs spéciaux octroyés aux militaires, ont été décriés par l’ancien rédacteur en chef du journal « Alger Républicain », Henri Alleg, dans son livre « La Question », écrit sur papier toilette et dont des précieuses pages furent publiées en format livre par les Editions minuit en 1958, ainsi que le livre « Pacification », préfacé par Abdelhafidh Keramane et édité par Nils Anderson.

Ces cris furent reliés, le 6 septembre 1960, par des voix libres en terre française. C’était le manifeste des 121 intellectuels, universitaires et artistes français, appelé aussi « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la Guerre d’Algérie ».

Les héritiers d’Aussaresses

Les aveux de l’ancien responsable du commando « O », Paul Aussarsses, qui fut à l’origine d’une grande part des disparitions lors de la Bataille d’Alger, et en dépit du fait qu’il avait légitimé la torture, pratiquée durant la Guerre de libération nationale, avait ébranlé le lobby des nostalgiques et des défenseurs d’une prétendue « mission civilisatrice de la colonisation ». Dans ses mémoires publiées en 2001, Aussaresses reconnaissait avoir été derrière la disparition de Larbi Ben M’hidi, Ali Mendjeli et d’autres militants de la cause nationale algérienne.

Ces aveux eurent des répercussions telles qu’il y eut des tentatives de mettre l’histoire de la République française, notamment celle empêtrée dans le marécage des ex-colonies, à l’abri, à travers la Loi de 2005.

Les héritiers d’Aussaresses tentèrent, alors, de faire passer via l’Assemblée nationale, une loi glorifiant la colonisation, largement condamnée par de nombreux historiens français. Des voix s’étaient élevées pour condamner « un trou de mémoire colonial ». Les questions de la « repentance » et des « aspects positifs de la colonisation » avaient été mises à contribution pour des raisons électoralistes.

Des tentatives de mettre « la victime et le bourreau à la même enseigne », avaient été déplorées. Ces tentatives sont à inscrire dans cette démarche des institutions politiques françaises qui semblent, selon l’historien Gilles Manceron, « rester figées dans des représentations héritées de l’époque coloniale ».

La loi du 13 février 2005 est, selon l’affirmation de Manceron, « largement le résultat de la rencontre entre le lobbying mémoriel de groupes extrémistes pieds-noirs proches de l’OAS (…) avec des parlementaires qui leur ont prêté une oreille favorable et dont l’ignorance notoire des travaux historiques récents laisse libre cours aux pires justifications refoulées de la colonisation ».

Le début du deuxième millénaire va connaître une accélération dans le débat sur les questions liées à la mémoire. Les révélations se sont succédées pour mettre au banc des accusés un passé largement condamné par l’histoire de l’humanité.

Dans cette panoplie de révélations, des personnalités politiques françaises, connues pour leur nostalgie pour l’empire colonial, furent éclaboussées. C’était le cas de Jean-Marie Le Pen, ancien président du parti d’extrême droite, le Front National (FN), qui avait intenté un procès au quotidien Le Monde, en 2003, pour des articles sur sa participation à la torture en Algérie, publiés les 4 mai et 4 juin 2002.

La 17e Chambre correctionnelle du Tribunal de Paris avait relaxé, pour rappel, Le Monde le 26 juin 2003 et débouté Jean-Marie Le Pen de ses poursuites en diffamation.

Persévérant sur la voie du déni de l’histoire, Marine Le Pen, héritière biologique et idéologique du fondateur du FN, et actuelle présidente du Rassemblement français, a tenté, encore, à travers un tweet, de masquer ce passé colonial, en persistant dans la glorification du colonialisme.

C’est ce qui justifie, selon des observateurs, les propos du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, lorsqu’il avait déclaré, lors de sa première entrevue avec des représentants de la presse nationale, en janvier 2020, qu' »il existait en France un lobby qui a de la rancoeur pour l’Algérie ».

M. Tebboune avait également évoqué, lors d’un entretien accordé au Figaro, ces lobbies, en affirmant notamment que le président Macron « essaye de régler ce problème + mémoire+ qui empoisonne les relations entre nos deux pays « .

Parfois, il est incompris, et parfois il fait l’objet d’attaques virulentes de la part de lobbies très puissants (…). Il y a un lobby revanchard, qui rêve du paradis perdu (…) ».

 

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