Dans une interview accordée à Algérie54, le journaliste et auteur du « Printemps des Sayanims » Jacob Cohen, revient sur les derniers développements de l’actualité maghrébine, à savoir le renforcement de la coopération maroco-sioniste , le scandale de l’ambassade sioniste à Rabat,la succession au Trône, la crise entre Rabat et Paris et enfin la brouille entre le Maroc et la Tunisie
Algérie54: Le Chef d’état-major de l’armée marocaine Farouk Belkheir est annoncé en Israël pour participer à une conférence sécuritaire internationale. Quelle lecture faîtes-vous de cette visite?
Jacob Cohen: Cette visite est une preuve de plus d’une collaboration de plus en plus étroite avec le régime sioniste, et surtout qui paraît irréversible. Ce qui fait craindre le pire. On pourrait spéculer que le régime marocain souhaitait une « normalisation » classique, c’est-à-dire des relations diplomatiques et quelques échanges commerciaux. Mais qu’il a dû être entraîné dans cette spirale de collaboration militaro-stratégique avec des « alliés » – les Etats-Unis et Israël – dont on connaît le cynisme, le mépris du droit international et le sens de la trahison. Hassan 2 avait su garder cette distance avec le régime sioniste tout en collaborant discrètement avec lui. Au stade actuel des relations israélo-marocaines, je ne vois pas ce que le régime chérifien pourrait encore refuser à Israël, même d’entrer dans un conflit généralisé.
Algérie54: Un scandale vient de secouer l’ambassade d’Israël à Rabat, impliquant l’ambassadeur David Govrin. Que diriez-vous de cette affaire?
Jacob Cohen: L’affaire semble suffisamment sérieuse pour entraîner le rappel du diplomate israélien. Et on peut faire confiance aux médias israéliens, suffisamment libres et friands de ce genre d’affaires pour ne rien lâcher. C’est tout de même surprenant qu’une représentation diplomatique ait pu se laisser aller à ce genre de comportements, surtout d’une part dans un pays musulman et d’autre part dans un environnement encore largement hostile à la présence sioniste. Ou alors cela démontre que les diplomates israéliens au Maroc se sentent tellement intouchables qu’ils se permettent tout et n’importe quoi.
Algérie54: Rien ne va entre Paris et Rabat, dans le sillage de la visite de Macron en Algérie et l’accueil de la militante sahraouie par le Parlement français. Que pensez-vous du devenir des relations franco-marocaines secouées par le logiciel espion Pegasus?
Jacob Cohen: Je ne crois pas que les relations franco-marocaines sortiront affaiblies par ces deux crises. Elles seront digérées puis oubliées. Le Maroc depuis son indépendance demeure une priorité stratégique de la France et de l’Occident. Relations privilégiées avec le capitalisme français. Forte présence des institutions culturelles françaises. Rien par exemple, ou pas grand-chose, n’est fait pour gêner l’image du Maroc en France. Notamment les condamnations à de longues peines de prison pour des journalistes. La France demeure d’une neutralité bienveillante dans l’affaire du Sahara. Je dirais presque qu’en France tout est fait pour « sauver le soldat M6 ».
Algérie54: En pleine bataille de succession au Trône, des médias marocains et étrangers accusent le puissant conseiller du Roi, André Azoulay d’exercer une OPA sur le Royaume. Que diriez-vous?
J’ai toujours soutenu que André Azoulay, banquier international, natif d’Essaouira au Maroc mais complètement occidentalisé, est arrivé au Maroc au début des années 80 sur instruction du Mossad (il ferait partie des ces fameux sayanim ces juifs sionistes qui collaborent avec ce service secret dans l’intérêt d’Israël) et avec l’aval de Hassan II qui bavait d’admiration pour l’Etat juif. Azoulay était l’œil et le cerveau de Tel Aviv, de Paris et de Washington à Rabat. Son rôle a été de rendre acceptable par une partie éclairée de la société marocaine la présence sioniste au Maroc et la future paix avec Israël. C’est encore lui qui assure le tempo de la pénétration sioniste. Le problème est qu’il est excessivement discret, comme tous les personnages de l’ombre importants. Ses déclarations sont d’une banalité mortelle. Mais ce qui arrive aujourd’hui, c’est-à-dire la mainmise du Mossad sur le pays et la possibilité d’une dérive vers l’aventure, est en grande partie son œuvre, ou en tout cas son principal exécuteur.
Algérie54: On a assiste depuis quelques jours à une tension entre Tunis et Rabat, suite à l’accueil du président de la RASD, Brahim Ghali, par le président tunisien Kais Saed, à l’occasion du Sommet TICAD 8 tenu à Tunis. Ne pensez-vous pas que cette brouille est liée à l’opposition de Kais Saed de normaliser les relations de son pays avec l’Etat hébreu?
Jacob Cohen: L’hypothèse est très plausible. A tort ou à raison, la Tunisie est considérée comme le maillon faible du Maghreb. Le pays sur lequel des pressions peuvent être exercées avec des chances de réussite. D’ailleurs on avait toujours pensé que la Tunisie serait le premier pays du Maghreb à signer la paix avec Israël. Comme quoi on peut se tromper sur la capacité d’un petit pays à résister et à mener une politique relativement indépendante. On peut estimer, pour renforcer votre hypothèse, que le régime marocain doit se sentir un peu seul dans cette alliance avec Israël et qui va trop loin. D’autant que le vent semble tourner en faveur des pays qui contestent l’hégémonie américaine. Alors d’ici à ce que le Makhzen fasse pression sur la Tunisie pour qu’elle le rejoigne dans cette aventure qui commence à sentir le soufre, il n’y a qu’un pas que l’on pourrait aisément franchir.
Entretien réalisé par M. Mehdi