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Le dévoiement de la pratique Soufie en Algérie.

Par Mohammed Belhoucine

Tout au début Ibn Roshd avait raison. Ce dernier souhaitait donner le pouvoir aux philosophes (aristotéliciens) en destituant les théologiens (ash’arites). Cette position n’est pas sans rappeler en effet l’élitisme de Platon, qui appelle de ses vœux la prise de pouvoir par des « philosophes rois » et des « Mathématiciens ».

L’argument principal d’ Ibn Roshd est que les philosophes sont les seuls à même d’interpréter correctement la Parole sainte, là où les théologiens de nos 04 écoles se perdent dans des circonvolutions dialectiques qui mènent au sectarisme, aux pratiques anachroniques qui relèvent plus de l’usage, des mœurs, des rituels, de l’habitus et des conduites sociétales que du Saint-Coran ; Cette incapacité congénitale à amorcer une Némésis  civilisationnelle, à l’origine de la stagnation du monde arabo-musulman depuis 14 siècles ; tandis que la foule doit s’en tenir à une lecture littérale (exotériste) des textes sacrés du Coran, n’ayant pas l’intelligence suffisante pour comprendre la lecture philosophique et rationnelle du Saint Coran (anagogique et ésotérique).

Ainsi, selon Ibn Tufyall, la Cité idéale musulmane consiste en l’union des philosophes dirigeants à haut potentiel, seuls à même d’interpréter les textes sacrés, mais place sera réservée aux gens du commun ignorants, capables de mener leur vie d’après la lettre de ces textes.

Je dois rappeler uniquement pour le non initié, que le soufisme n’est pas une secte hors de l’Islam, n’est pas une secte islamique hétérodoxe, n’est pas une ‘’innovation blâmable’’ (bid’a), n’est pas une secte qui adore un maître, n’est pas une recherche égoïste du salut individuel, n’est pas du maraboutisme, n’est pas un ‘’milieu de collabos’’ et de traitres, n’est pas une philosophie, n’est pas un islam ‘’light’’ cher aux révisionnistes intellectuels musulmans en Occident qui développent un discours que l’européen ou l’occidental aiment entendre.

Urgence de mener un véritable travail de ré-exégèse, de refondation et d’approfondissement ontologique de notre spiritualité (tout le monde se prétend Soufi sans avoir jamais exposé son corps à la souffrance, nécessaire voie pré-initiatique dans le chemin de la Tariqa, par exemple faire un trajet Saida-Adrar à pieds nus dans le recueillement, l’élévation et la prière (souffrance initiatique des véritables soufis que nous avons connus à une période reculée), par analogie au ‘’chemin de Saint-Jacques de Compostelle’’ à genoux ! (Comme du temps du grand grammairien Sidi Abderrahmane Ettâ’alibi à Alger ou du grand poète des pauvres Sidi Lakhdar Benkhlouf à Mostaganem), le soufisme ne se mesure pas à l’aune d’une chambre confortable, du faste des familles de cheikhs bourgeois du sérail ou ‘’d’échanges de bons procédés’’ ou ‘’entente cordiale’’ avec le souverain.

Il y’a urgence d’aller au-delà d’une lecture essentiellement exotériste du Coran (lecture littérale, formaliste de l’islam et de ses sources scripturaires) et insister sur une lecture ésotériste ou anagogique (à travers laquelle l’homme tente de connaitre le divin et les mystères spirituels selon une interprétation profonde des textes scripturaires).

Beaucoup en parle, mais très rare sont ceux qui maîtrisent cette nécessaire théosophie. Les authentiques soufis ont cette approche extraordinaire, la pratique de l’islam, ne peut-être nourrie que par une expérience et une compréhension intérieure.

Toute l’œuvre du grand maître soufi Ibn Arabi repose sur une doctrine sous-jacente, l’unité de l’Être, wahdat al-wujud (que presque personne ne maîtrise), Ibn Arabi est amené à poser sa doctrine sous l’angle du paradoxe (nous remarquons l’extrême humilité de ce personnage fabuleux, auteur de plus de 400 ouvrages, volés et cachés dans les caves du Vatican) : le paradoxe de ‘’l’union des contraires’’, pour se libérer de la dualité de ce bas monde et s’élever vers l’unicité.

Je cite Ibn Arabi, qui affirme que le monde est à la fois ‘’ Lui (Dieu) et non Lui)’’, il ne faut pas le lire au ciseau, il faut continuer :

« Dieu le monde, les créatures et le créateur ne font

Qu’un. Croire à un Dieu séparé du monde n’est qu’un

Dualisme, opposé au Tawhid (Unicité divine). La multiplicité

N’est qu’une apparence, une illusion. »

Tout le travail réactionnaire d’Ibn Taymiyya (qui a vécu célibataire et mort assassiné)était de dénoncer ‘’l’unicité de l’Être’’. Dieu nous est immanent et transcendant à la fois, à défaut les répercussions seront dévastatrices pour la Multitude face aux agents de la domination et de l’oppression.

Ce que tout le monde n’a pas admis dans le soufisme, que nous les créatures et la Multitude ne sont donc que le pur néant. Nous faisons qu’emprunter notre existence à « l’Être absolu’’, grâce au soutien ontologique (El Mâ’dad) dont Dieu les pourvoie, grâce à ses Théophanies (la signification de ce mot, c’est la manifestation de Dieu dans le cœur de l’Homme ou dans le monde phénoménal du commun de la Multitude). Le Coran affirme à maintes reprises que Dieu envoie en permanence des ‘’signes’’ (âyât) aux Hommes, sans cesse renouvelées dans le monde.

« Dieu est la lumière des cieux et de la terre » Coran 24 : 35.

Dieu habite notre ontologie.

« Nous leur montrerons Nos signes dans l’univers et en eux-mêmes jusqu’à ce qu’ils voient que c’est le réel (Dieu) » Coran 41 : 53

Hélas, toutes nos Zaouiates ne sont pas soufies, la plupart d’entre elles (sans généraliser) présentent les signes de la sclérose et des graves dérives (je regrette que certains initiés et narrateurs complaisants des Zaouiates n’ont pas mis le doigt dessus, par souci organique sans doute, pour ne pas heurter leurs intérêts et mettre en péril leurs positions pour être conforme aux attentes du pouvoir afin d’avoir ce privilège à accéder à la richesse :

1-Leurs membres n’ont pas des prédispositions spirituelles, se cachent dans le soufisme pour moult raisons. Le soufisme est devenu le refuge des bondieuseries de tous les bigots, faux dévots et affairistes (Chirurgiens, notaires, hauts fonctionnaires etc..).

2- Beaucoup de nos Zaouiates fricotent totalement avec les classes possédantes et dominantes, les affairistes, les carriéristes, ritualisent de façon mécanique des contenus spirituels légués par le maitre fondateur ce qui les amènent à perdre l’essentiel.

3- Beaucoup d’adeptes naïfs et sincères se perdent et tombent dans la confusion car embrigadés par certains groupes qui revendiquent la détention exclusive du « secret initiatique » des fausses Zaouiates, refuges de bondieuseries ou le soufisme est devenu commercial , ce qui ouvre le champs à une compétition et concurrence inutiles sur le nombres d’adeptes ou au rang spirituel surfait de leur cheikh (le meilleur exemple est une  Zaouia de l’ouest algérien), contrairement à d’authentiques et saintes Zaouiates que l’on doit prendre pour servir comme modèle telle celle de  Labiod Sidi Cheikh au Sud ou celle de Sidi Ben Cherqui à El Attaf( Wilayas d’El-asnam) , les seules actuellement sur la scène détentrices du secret initiatique.

4- Poids de plus en plus affirmé de la famille du cheikh, qui produit parfois un véritable clientélisme et adulation imposés par le cheikh.

5- Certains descendants désignés cheikhs ne sont que des ‘’gestionnaires du sacré’’ (caractéristique propre aux familles commerçantes des descendants de cheikhs illustres) tandis que les véritables détenteurs du secret initiatique sont écartés et agissent de façon discrète : c’est la routinisation du charisme.

6- Un autre panel grave, les adeptes sombrent dans la vénération du cheikh que nous retrouvons dans deux Zaouiates de l’ouest algérien, alors que le but est au-delà : c’est confondre la fin avec les moyens.

7- Affaissement de l’exigence spirituelle vers les pratiques psycho-magiques (‘’sorcellerisation’’ du soufisme, panel très fréquent dans nos campagnes reculées) : c’est aussi la figure de notre enfance, la présence sur la place publique du marabout qui distribue recettes et formules de protection, des talismans de désenvoutement…ces pratiques seront redoutablement combattues par des hommes distingués dont notre Histoire est fière, Malek Bennabi, Cheikh Tayeb El Mahadji (grand grammairien et exégète du Saint Coran), Cheikh El Okbi, Cheikh Ibrahimi, Cheik Ouartilani en somme l’association des Jemiat El Oulamas dans sa globalité.

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