A mon épouse, camarade exigeante de lutte, qui m’a toujours soutenue, envers et contre tous et nourrie ma réflexion.
Par Charef Elyassar.
C’est la critique d’un film, mais aussi celle de la gentrification de l’Histoire, de l’Histoire d’un peuple.
La gentrification désigne ce processus par lequel la petite bourgeoisie s’accapare des pans entiers de quartiers populaires, s’appropriant leur histoire, leurs modes de vies, ou plutôt en les esthétisant et « customisant » selon ses valeurs et ses intérêts, ou encore en les rendant « Mimi tous plein la praline« . Une sorte de disparition organisée des lucioles comme l’avait écrit Pier Paolo Pasolini.
Et il en va de même de la culture et de l’Histoire, comme de l’urbanisme ; la petite bourgeoisie et sa vie sans reliefs ne peut s’empêcher de spolier aux classes populaires ses héros et ses exploits, en la réécrivant à son avantage, en renversant les valeurs, grâce à son contrôle de « l’industrie culturelle* ». Ceci pour mieux imposer la prééminence métapolitique de ses valeurs bourgeoises, pour ne pas dire la « dichotomie* » immorale de la bourgeoisie.
Le générique du film parle pour lui-même : un condensé de grosses ficelles, de procédés cinématographiques type projet de fin d’études, un sur-jeu des acteurs à la limite de l’hystérie, de trop longs travelings ou ralentis. Il fallait bien remplir les 01h58mn de pellicule d’un suspense artificiel dont le dénouement est évident, des séquences courtes à la Netflix, et qui jouent à saute-moutons. Et bien sûr dans la plus pure tradition du cinéma français : des gros dialogues bien caricaturaux au stabilo rose ! Histoire de bien nous expliquer ce que l’on doit ressentir, penser, comment, et à quel moment !
Il s’agit de ne pas trop fatiguer le temps de cerveau disponible du cœur de cible : le Bobo « Hirakiste » algérien et son meilleur pote journaliste-intermittent, qui le soutient d’une terrasse de café.
Éclatez-vous avec le générique, qui est assez représentatif et pénible, donc
L’exposition coloniale de 2023, vous présente le cirque Zaphira et sa dernière reine d’orient : https://www.youtube.com/watch?v=HUi4GkOG63Q
Le seul grand intérêt de ce film réside bien là : analyser comment la minuscule bourgeoisie très très moyenne d’Algérie se met en scène, et se donne à voir dans le regard du dominant ; masque blanc peau noir quand tu nous tiens !
Et pour vous je me suis sacrifié, je suis allé subir l’ultime film de Damien Ounouri et de Adila Bendimerad : Zaphira ! La dernière reine Mytho(illogique) d’Alger.
Pourtant les interviews – des (auto-réalisateurs, auto-scripteurs/auto-acteurs/ Auto_Tout)-avaient l’air encore plus prometteuses que l’affiche du film. Une tête de gondole vraiment bien vendue ! On allait voir ce que l’on allait voir, on allait découvrir :
« Des pans entiers de notre histoire méconnus », « une égérie féministe des temps anciens », « valoriser nos ancêtres et notre histoire », « un Alger-New-York » : bonjour l’anachronisme et la vision occidentalo-centrée ! « Un film inspiré du Hirak », sorte de nouvelle tarte à la crème de cette caste sociale, sans égale pour récupérer de façon très commerciale les luttes des autres.
Et que l’on ne me reproche pas de faire une critique politique de fonction à une œuvre de fiction, car les « auto-Tout » revendiquent eux-mêmes la dimension politique, voire métapolitique de leur « chef d’œuvre », comme dirait Guy Debord :
« Il faut suivre le mensonge qu’il y a dans la vérité, afin de dévoiler la vérité du menteur », ou encore « suis le menteur jusqu’à sa porte », comme on dit chez nous.
Il s’agit donc d’un film avec des prétentions historiques, selon l’interview des réalisateurs, et ce malgré l’ignorance des masses et l’esprit dilettante des équipes du film !! Pas sympa pour vos équipes les gars. S’il vous plait, sauvez-nous de notre inculture chronique !!!
Un film de détail esthétisants vous dis-je, jusqu’aux plus infimes détails des costumes.
A la sortie, ça fait pschiit ! Une œuvre en beaux costumes d’étoffe, en costumes de soie même, un film hystérique et nombriliste, symptomatique de notre caste « peau noir, masque blanc », qui s’intéresse plus au ragot sur les mœurs des uns et des autres, qu’à l’histoire avec un grand H ! Notre bourgeoisie tout simplement.
Un film où le dominé s’y fantasme dans le regard du dominant, selon ses critères, dans un déplacement schizophrénique, se met en scène en s’autoproclamant élite et porte-parole d’un peuple, qu’il n’a jamais vraiment fréquenté.
Un peuple dont il ne partage au fonds ni le vécu, ni l’histoire ni les valeurs, et dont il ne saisit ni le quotidien ni les enjeux. Une pseudo-élite qui n’est préoccupée qu’à obtenir l’acquiescement des médias des néo-colons, par des danses du ventre obscènes, sur les médias bobos français, et paradoxalement tout cela : avec l’argent du peuple, au nom du peuple ! ….Mais pas pour le peuple.
Effectivement, au final, il s’agit d’un film très inspiré du Hirak, surtout des procédés de récupération, d’inversement des valeurs, de mystification : des ténors autoproclamés.
Le seul intérêt d’analyser cette « œuvre » réside dans le fait qu’il s’agit d’un condensé symptomatique de stéréotypes, une caricature de notre si chère caste d’élite autoproclamée. Car elle nous coute très chère cette caste en argent publique, tout comme ce film d’ailleurs, financé par le Ministère de la Culture, le FDATIC, sous l’ère Bouteflika. Certainement, encore une fois, la dichotomie charme discret de la bourgeoisie, mais une telle inconséquence éthico-morale, et à ce point !!!? Je comprends mieux pourquoi ce film a perdu son visa de diffusion en Algérie.
En Algérie on appelle ça prosaïquement : mordre avec le loup, et crier avec le berger.
A la sortie, un « chef d’œuvre » où l’incohérence historique (I) le dispute au mépris de classe et à la récupération historique (II), au féminisme d’intrigantes orientalistes de Harem(III). Bien loin du courage combattant des femmes d’Algérie.
Donc je me lance dans une explication de texte, une analyse de ce dont ce « chef d’œuvre » serait le nom, comme diraient les psychanalystes :
I-Incohérence historique : L’art de faire rentrer au chausse-pied la vérité historique dans ses fantasmes :
Je commence par le décor de fond ! Il laisse à voir une ville d’Alger au carrefour de la Méditerranée, multilinguistique, avec d’élégants palais, de belles étoffes, où des corsaires et des personnages de tous horizons s’entrecroisent ! Une période qui a effectivement existé……80 ans plus tard, après l’époque décrite de 1516. Période qui n’a pu exister entre autres, que grâce à des personnages courageux, intrépides et romantiques, comme le fameux Raoudje Barberousse, tant décrié dans le film, et rabaissé à l’image d’un personnage frustre et brutal, au bord de la pulsion animale. Mama Li Turchi….
Un Raoudje mort au combat après avoir libéré Jijel, Bejaia, Alger, Tlemcen des espagnols.
Un Raoudje à qui l’on attribue l’assassinat de Salim Toumi, bien qu’il soit décédé un an avant la mort du Cheikh-commerçant !
Ce même cheikh-commerçant bombardé Roi pour les besoins des fantasmes sociaux et mégalos de notre bourgeoisie très très moyenne !
Donc, un Salim Toumi connu historiquement – et surtout – pour son sens du commerce, sa couardise et son opportunisme légendaires, qui l’ont amené à faire toutes les concessions aux forces espagnoles et à payer de lourds tributs à la Cour d’Espagne, notamment leur offrir le « Penon », à la pointe de l’amirauté.
Ce même cheikh qui a accepté d’appeler à la rescousse l’armada ottomane des frères Raoudje, uniquement sous la pression de la population et des guildes commerçantes d’Alger, ces dernières ne supportant plus de payer pour les compromissions de leur « Roi ».
Mais rappelons un peu le contexte : une époque où la tribu des Thaalibi avait restauré une ville d’Alger vétuste et abandonnée par ses habitants depuis des siècles certes, mais nous sommes bien loin de l’Alger « carrefour puissant de la Méditerranée », qui n’a existé qu’à partir du 17ème siècle……justement grâce à ses mêmes ottomans tant décriés et à leur mémoire trahie dans ce film. Ainsi donc, le comble de la dichotomie, charme discret de la bourgeoisie !! L’inversion de l’histoire et des valeurs, l’usurpation, la désappropriation de classe ! La gentrification de l’histoire !
Un film où la petite bourgeoisie « compradore » valorise ses lâches et ce au dépend des héros populaires et romantiques.
En effet, réécrire l’histoire pour imposer son éthique et son esthétique de classe, jusqu’ici rien de nouveau sous le soleil : l’histoire serait écrite par les vainqueurs, comme le disent les vainqueurs eux-mêmes, afin d’organiser la défaite spirituelle des classes populaires.
Il faudrait expliquer à nos élites « françologues » qu’à ce stade, elles auraient déjà dû nous vaincre ! Hélas pour elles, ce n’est pas encore gagné et ce, malgré le soutien de France24, TV5 Monde et toute la clique des ONG de l’OTAN et du CAC 40 et autres RSF. Par ailleurs, afin qu’un récit fondateur soit crédible, il faut qu’il soit à minima fondé historiquement ! Ce qui est encore très loin du compte.
Ce qui nous amène à nous poser cette question : pourquoi tant d’arrogance et de mépris de classe cachés derrière de beaux costumes d’étoffe et une langue aseptisée ! Au point où l’on se croirait à un vernissage d’Alger-centre ma foi, ou à l’Institut des françologues et sa fameuse programmation de MJC de la Courneuve ! Cela doit être parce que l’Institut doit ménager les neurones de nos « intellos » ! Mais qu’à cela ne tienne : la nuit des idées c’est une fois par an, pas plus !
II- Mépris de classe et colonisation de l’Histoire :
Si l’on se pose la question du lien entre esthétique et éthique dans ce film, notamment à travers le prisme de Molière dans « Tartuffe », l’on se demande comment des personnes qui se présentent comme Algériennes, avec un film à prétention historique, peuvent-elles tomber à un tel point dans une caricature orientaliste, dans des stéréotypes anti-ottomans dignes des pires diatribes du Moyen-âge, et ne trouver aucun romantisme et idéalisme aux frères Raoudje.
Rappelons que ces frères étaient de pauvres pécheurs grecs partis de rien, devenus esclaves, autodidactes polyglottes, et qui réussirent, grâce à leur courage intrépide de corsaires, à participer à la fondation des républiques marines corsaires : Tripoli, Djerba, Bejaia, Jijel, et dont la plus prestigieuse fut la république d’Alger ! Et de cadrer ainsi, avec l’archétype des héros populaires Algériens : romantiques, intelligents et intrépides, généreux et courageux, au point où 99% du peuple algérien les a adoptés dans son cœur comme des héros authentiquement algériens par leur histoire et leurs valeurs.
Aussi, pourquoi les désapproprier de leurs mérites de combattants, pour les attribuer à un petit cheikh dit « Roi », en dehors de toute vraisemblance historique et temporelle, si ce n’est pour favoriser les « diseurs de l’Histoire ou les racontars de ragots » au détriment des vrais « faiseurs de l’Histoire », issus de milieu populaire. C’est ce que nous appelons communément : une opération de pure spoliation historique, avec une conception de l’histoire assez particulière ! Très ethniciste tout ça ; quelle drôle d’idée me direz-vous !
Présenter Raoudje comme exogène, alors qu’il est l’un des fondateurs de l’Algérie moderne, et en lui opposer Selim Toumi comme un pur produit du terroir ?! …Une construction historique de toute pièce, ni très humaniste comme conception de l’histoire et de la nation, ni basée sur un contrat social et de communauté de valeur, mais plutôt une sorte d’agrégat d’ethnies plus ou moins « pures ». Ça m’en rappelle certains !
Mais la question demeure : mais pourquoi ?
Il y a au moins 3 pistes de réponses :
1 – Peau noir, masque blanc : c’est la proportion de nos élites compradores à adopter le point de vue occidental, orientaliste des néocoloniaux. Un point de vue qui dénigre l’histoire des « autochtones et indigènes », au profit de l’historiographie coloniale. Tout cela évidement en prétendant parler au nom de ce même peuple dénigré sur les plateaux télévisés.
2- Le commençant qui se fantasme en grand combattant : dans ce film, comme dans un mauvais Batman, nous serons tous sauvés par de riches Cheikh-épiciers-commerçants aristocrates. Des épiciers qui, à l’image de notre élite intellectuelle, feraient mieux d’arrêter de faire du trafic avec les oligarques, d’arrêter de « bavarder », d’aller travailler, et de commencer à payer leurs impôts, au lieu de nous refaire à chaque fois le petit numéro des tartuffes de la République. C’est vraiment l’art d’organiser la dépression et la défaite des classes populaires, que de calomnier ses héros qui prennent des initiatives.
Tout ceci n’a qu’une seule visée : qu’on abandonne notre libre arbitre entre les mains de spéculateurs opportunistes, qui feraient partie d’une supposée élite auto-représentative retorse, et qui penserait à notre place, par égard à sa pseudo-ascendance noble !
Cette même élite qui s’est surtout illustrée par la désappropriation des luttes héroïques du seul héros : le peuple, afin d’en revendiquer la paternité. Mais que lui importe-t-il me direz-vous : la rentabilité de ses propres points de vue, à savoir esthétiser, maquetter, manager la révolution, l’histoire…afin de mieux la marchandiser auprès du CAC 40 et des néocoloniaux.
Une société du spectacle au rabais pour compradors, du harkisme à l’ancienne, l’électricité en plus.
Evidemment, toute ressemblance avec des événements récents n’est que pure fiction ! Ce n’est pas de nos jours que l’on verrait des gens jouer aux artistes révolutionnaires sur les marches du Théâtre national d’Alger, pendant qu’ils préparent un film avec les subventions du Ministère de la Culture, issu du même Etat qu’ils attaquent.
Ni évidemment, en se filmant tout en conservant les « rushs » : le cas échéant, ça pourra toujours être bradé à TV5 monde ou France24, et cela, en profitant de résidences d’artistes, de subsides de pseudo-ONG, dépendantes directement d’institutions du capitalisme occidental ! Et sans oublier les fonds d’oligarques corrompus.
Jamais dans l’Algérie du Hirak de 2019, jamais, promis tout cela n’est jamais arrivé !
Pas même des shootings photos scénarisés, imitant le tableau : « La Liberté guidant le peuple », De Delacroix – déjà publié sur Facebook, tiens – et profitant de jolis décors offerts par les manifestations, histoire de faire du business calibré pour télés étrangères, sorte de « real TV ».
Petit conseil avisé : quand on retourne sa veste aussi vite, et aussi souvent, il faut vraiment avoir un très bon tailleur et un excellent pressing !
On comprend mieux la logique sociale sous-tendue par le film : voler au combattant Raouje ses exploits et sa noblesse, pour les attribuer à un roitelet commerçant. La seule source de cette « supercherie historique » est le livre d’un officier de la Marine hollandaise, Laugier De Tassy, : « histoire du Royaume d’Alger ». Somme toute, une espèce d’instrument de vengeance et d’horreur pour discréditer Raouje (Arroudj dans ses écrits) qui venait de perdre un bras en se battant pour libérer Bejaia. Mais de Tassy est le seul auteur à raconter cette histoire, qui a ensuite été reprise et amplifiée par les auteurs coloniaux pour devenir un véritable mythe et qui est, rappelons-le, un officier qui a subi plusieurs défaites de la part de la République corsaire d’Alger.
Et autant dire qu’il ne portait ni Raoudj ni les ottomans dans son cœur, tous ces combattants de Méditerranée convertis à l’Islam……A mon avis, aux combattants des républiques corsaires, De Tassy devait préférer comme certains aujourd’hui, les « businessmen de l’époque », décadents féodaux et fédéralistes.
Allez : oligarques féodaux de tous bords, unissez-vous dans une fédération mafieuse ethnicisante, contre cette république unitaire et sociale, qui a l’outrecuidance de vous priver de vos serfs, et de vos rentes de situation héréditaires, et qui vous empêche de continuer trafiquer le cadastre convenablement !
Il est clair que du point de vue de la domination de classe, il vaut mieux inventer l’histoire de Salim Toumi et le placer comme ancêtre héroïque, plutôt que d’écrire la véritable histoire de Raoudj et de la naissance de la République corsaire.
In Memoriam : Raoudje est mort sur un champ de bataille, avec gloire et panache à la tête des siens, laissant ses richesses, et sa veuve, pour assurer la protection des musulmans de toute ethnie. Là où Salim Toumi est mort assassiné par les siens, dans sa baignoire, au milieu de son harem et de ses richesses ! Essayer de nous faire passer Marmont pour Marrât, sous prétexte qu’il serait mort dans une baignoire, la voilà la supercherie. Comme on dit : révèle-moi qui sont tes héros, je te dirai qui tu es.
3- Féminisme d’intrigante de harem : « Mama li Turchi ».
«Mamma li Turchi!» (Maman ! Les Turcs arrivent) : expression employée par les italiens depuis le moyen âge, pour annoncer l’arrivée d’une chose terrible ou pour faire peur à leurs enfants. On comprend mieux après coup, la diffusion du film à la Mostra de Venise, hors compétition ; cela fait tellement écho à la peur ancestrale de tout ce qui porte un turban et qui vient de l’autre côté de la Méditerranée !
Au passage, on se demande pourquoi des marins mettraient des turbans en haute-mer, si ce n’est pour faire plaisir au pire stéréotype orientaliste !
Dans une interview, l’un des « Auto-Tout » du film, prétend qu’ils se sont davantage inspirés de la peinture Hollandaise et Italienne que des orientalistes.
Du pur déni ! De la part d’une personne qui sait très bien ce qu’elle a fait, mais les faits sont têtus camarade ! Un enfant de 10 ans constatera immédiatement que les décors et la lumière du film, sont plus proches de Delacroix que de Bruegel l’Ancien !
Extrait du film Zaphira
« Men and woman in a tavern », « Femmes d’Alger dans leur appartement »
Adriaen Van Ostade, 1660-65 Eugène Delacroix, 1833
A l’image de cette « intrigante » de Zephira, inventée de toute pièce par l’officier de marine hollandaise De Tassy Laugier, et cela de son propre aveu. Lisons-le : L’auteur avance d’abord la thèse du coup d’Etat, Arroudj s’appropriant la ville d’Alger :
« Selim Eutemi ne fut pas longtemps à s’apercevoir de la faute qu’il avait faite, d’appeler au secours d’Alger, le fier Barberousse qui ne faisait aucun cas de lui, et ne prenait jamais son avis. Les habitants traités avec autant de hauteur et de tyrannie par la soldatesque, reconnurent aussi le dessein du pirate, et le publièrent ouvertement. Barberousse se voyant découvert ne garda plus de mesures, et s’abandonnant à son naturel violent, il résolut d’ôter la vie au prince Selim, de se faire proclamer roi par ses troupes, et reconnaître, de gré ou de force, par les habitants. » (De Tassy Laugier, Histoire du Royaume d’Alger, 1725, p. 11).
Dans un second temps, l’auteur, fait apparaître de son imagination fertile en stéréotypes, Zaphira: « Le pirate ayant été d’abord vivement touché de la beauté et du mérite de la princesse Zaphira, se servit inutilement de toutes sortes de voies de douceur pour se rendre maître de son cœur. Le mépris avec lequel Barberousse en fut reçu, alluma toute sa rage, et lui fit prendre la résolution d’acquérir Zaphira par un crime, dont son ambition avait commencé de lui inspirer. Il se flattait d’épouser la princesse dès qu’elle serait veuve, et qu’il serait souverain du pays. » (De Tassy Laugier, 1725, p. 12)
De Tassy Laugier, monte ensuite un scénario imaginaire du déroulement du crime, parce qu’à cette époque il n’y avait pas de palais à Alger, ni rois ni princesse d’ailleurs, ce qui n’est pas plus mal d’ailleurs, on déplaise à notre « élite intellectuelle » qui n‘en finit plus de parvenir :
« Barberousse ne différa pas longtemps l’exécution de ce projet. Il avait observé que le prince arabe restait ordinairement quelque temps seul dans son bain, avant la prière du midi. Comme Barberousse était logé dans son palais, il eut un jour la commodité d’y entrer sans être vu par le prince. Il le surprit nu et sans armes, et l’étrangla avec une serviette, sans lui donner le temps de se reconnaître. » (De Tassy Laugier, 1725, p. 13).
Doué d’une imagination féconde, il fait tourner autour d’Arroudj les soupçons. Ce dernier essaie de se disculper à travers des lettres échangées avec Zaphira et que l’auteur imagine et écrit. Pour renforcer le caractère barbare de son héros et son côté violent, il lui fait commettre plus d’une trentaine de crimes sur des soldats ottomans et sur son conseiller, le vieux Ramadan Choulak, afin de se disculper aux yeux de Zaphira. Croyant s’être blanchi, il décide de prendre Zaphira de force mais celle-ci se donne la mort en absorbant un poison. Fou de rage, Arroudj tue alors toutes les femmes de sa suite et les enterre avec Zaphira dans le jardin du palais.
Mais, contrairement à Damien Ounouri et Adila Bendimerad, « auto-tout » du film, De Tassy a eu cependant, l’honnêteté de reconnaitre dans la préface du livre qu’il s’agit d’un roman inspiré par un manuscrit qu’il a obtenu auprès d’un marabout de Constantine se disant parent de Sélim Toumi : « Pour celle (l’histoire) des amours d’Arroudj Barberousse avec la Princesse Zaphira, il y a peu de personnes qui la sache dans le pays même. Elle pourrait passer pour un roman, et je ne voudrais pas être garant de sa véracité. Je l’ai mise telle qu’on la traduite d’un manuscrit en Vélin, qui est entre les mains de Sidi Ahmed ben Haraam, marabout du territoire de Constantine, qui prétend descendre de la famille du Prince arabe Selim Eutemi, mari de Zaphira. » (De Tassy Laugier, 1725)
Mais bien entendu, toute cette explication est « alambiquée » : se peut-il qu’il y ait réellement eu un marabout se nommant ben Haraam, signifiant « fils du péché » ?
Conclusion ?
La prochaine fois qu’un journaliste demandera d’un air niais mais profond :
si la reine Zaphira deuxième épouse, intrigante de Harem et femme orientale passionnée, transgressive mais lascive, a existé, histoire de mieux coller au poncif de la mauresque du patriarcat occidental ? Vous pourrez répondre, et sans aucune hésitation : historiquement parlant Non !
A contrario, l’officier de marine hollandaise De Tassy, semble être le véritable scénariste du film : Zaphira, une invention orientaliste et exotique, une intrigante de harem, plus proche de Mata Hari, et bien loin de nos camarades femmes d’Algérie, plus connues pour être des reines combattantes intransigeantes.
De la Kahina, à Lalla fatema N’ssoumare, en passant par toutes les moudjahidettes, et nos camarades de luttes actuelles. Elles sont plus connues pour manier le franc-parler et se battre dans les mêmes conditions que les hommes, que pour le port de douces et belles étoffes, afin obtenir des traitements de faveur dans des harems de palais, en utilisant la compromission et la séduction pour parvenir à leurs fins !
Au moins, le titre du film Zaphira – comme masculin Zephir – du grec ancien : vent de l’Ouest qui vient des ténèbres et du néant, a bien été trouvé par ce farceur De Tassy Laugier. Sans doute histoire de calomnier Raoudje Barberousse à titre posthume, pour les défaites subites.
Drôle d’idée d’adopter le point de vue colonial pour écrire l’histoire de notre peuple tout de même !
Le mot de la fin : de quoi cette mystification est-elle le symptôme ?
Au mieux, elle est le symptôme d’une œuvre esthétique et esthétisante, sans réelle culture et rattachement historique. Si ce film avait été révélé et porté comme une pure fiction « à la hollywoodienne », dont manquerait cruellement le cinéma algérien, cela aurait bien pu parfaitement fonctionner. Hélas, le manque de conscience politique de ses créateurs, en fait un faux récit historique.
Au pire, cette mystification est l’aveu d’un point de vue de caste, qui dénigre un héros romantique des classes populaires algériennes fondé historiquement, au profit du faux héroïsme d’un cheikh-commerçant couard et vénal. Nous y verrons une filiation « pseudo-noble » d’un ancêtre qui pourtant ne s’est jamais battu, sauf peut-être pour esthétiser, marqueter, et commercialiser les luttes du peuple. Une sorte de gentrification de l’histoire, de l’esthétique et de l’éthique. Cela n’est pas sans nous rappeler l’opération de mystification qu’a subi notre mouvement social populaire, que cette caste de tartuffes a « customisé » en HIRAK, plus facile à exporter et à vendre aux télévisions étrangères.
Et dire que ce film a été financé par l’argent du contribuable algérien, par le Ministère de la Culture sous l’ère Bouteflika, le FDATIC !
Après la « gentrification » et la récupération historique, il serait intéressant d’étudier celle de la langue et des mots ; cette « novlangue » de nos pseudos démocrates, pleine de termes et concepts valises, aseptisés et sans relief. Sorte de langue visant à grossièrement singer la voix de son maitre, et à décérébrer les masses populaires de leur conscience politique.
Mais cela fera l’objet d’une analyse dans un prochain article, ou comment notre caste de « françologues » autoproclamée élite, est passée de la langue de Molière à celle de Tartuffe.
A bientôt
Définition de concepts, pour aller plus loin :
*Gentrification selon Ruth GLASS :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gentrification
*Industrie culturelle selon Theodor.W.ADORNO et Georg LUKACS :
https://journals.openedition.org/variations/1953
*Disparition des lucioles chez Pier Paolo PASOLINI :
https://www.cairn.info/revue-lignes-2005-3-page-63.htm
*Hégémonie culturelle selon Antonio GRAMSCI :
https://www.agirparlaculture.be/lhegemonie-culturelle-selon-gramsci/
*Société du spectacle selon Guy De Bord :
https://la-philosophie.com/debord-la-societe-du-spectacle-resume
*Charme discret de la bourgeoisie de Luis BUNUEL :
https://books.openedition.org/puv/1682?lang=fr
Peau noir et masque blanc selon Frantz FANON :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Peau_noire,_masques_blancs
https://www.youtube.com/watch?v=mggriDkwC70
*Un grand remercîment au travail de Mostefa Khiayati dans son article quotidien d’Oran du 12/12/2022). https://www.djazairess.com/fr/lqo/5317403, qui m’a ouvert les yeux sur cette supercherie historique et hysterique.