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Projet de loi sur l’activité cinématographique :Un texte rachitique et inutile

Par Nedjma Baya Merabet

Lorsque la révolution bolchevique ébranla l’histoire, une des premières choses qu’ils ont faites, était la création d’une école de cinéma, la première au monde. Le Vgik a été créé en 1919, c’est-à-dire qu’il est né avant même l’URSS !
En Algérie, la révolution a eu lieu, elle ébranla le monde, bouleversa sa face, mais le cinéma y demeure une mascarade.

Selon ce qui peut être intelligible, un comité de professionnels a été chargé de proposer un avant projet de loi sur l’activité cinématographique, texte catégoriquement rejeté par le président de la République, après avoir exprimé sa colère. Par conséquent, des assises du cinéma ont été convoquées, un long processus censé permettre de poser le débat, pour dégager les vraies problématiques et défis qui se posent à ce secteur aussi sensible que sinistré. Malheureusement, il faut avoir ses entrées pour pouvoir y assister, aucun programme de ces assises n’est disponible ou diffusé.

Dans le sillage de cette actualité du secteur du cinéma en Algérie, le ministère de la culture, sur la base de ce préalable de texte, s’est employé à le peaufiner pour en faire un projet présentable à l’assemblée qui toute fois, il faut le rappeler, était singulièrement absente lors de la lecture du projet de loi sur les médias et l’audiovisuel ( code de l’information ) par le ministre de la communication.

Commençons par cette observation : l’article 7 prévoit que seuls des personnes physiques de nationalité algérienne, ou personnes morales de droits algériens, peuvent exercer les activités relatives à l’industrie cinématographique ! Sans autre détail. Cependant l’article 13 prévoit que pour que le film soit considéré comme algérien, le producteur doit être algérien ou avoir un domicile fiscal en Algérie. Il semble dont contredire l’article 7. Une loi très générale qui laisse beaucoup de portes ouvertes.
Concernant le cadre réglementaire et législatif qui doit régir les relations de travail, seul l’article 11 prévoit l’obligation pour le producteur de signer un contrat officiel avec tout producteur délégué ou associé. Non seulement aucune instruction n’est établie concernant le cadre légal qui régit ces contrats, mais surtout, il n’y a aucune obligation de contrat pour tous les autres concernés : le(s) réalisateur(s), le(s) scénariste(s), les techniciens, comédiens etc … un désert législatif qui permet de continuer d’exploiter les travailleurs du cinéma dans l’impunité magistrale qu’ils ont imposée dans ce secteur. Un des points principaux qui doit être pris en charge par ce cadre juridique est donc complètement ignoré. A croire que les acteurs du cinéma n’ont pas encore compris ni le moment historique que nous vivons, ni l’importance stratégique que revêt le cinéma. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir été exprimé par le président de la République et les pouvoirs publics. La preuve étant, après la dissolution du Fdatic, le Cnic (centre national de l’industrie cinématographique) est mis sous la tutelle du premier ministère.
Mais cela ne semble pas déranger outre mesure nos parangons de la défense de la liberté d’expression, des droits de l’homme, de la liberté artistique etc… En somme, soyez libres d’être des esclaves.
Si les pourfendeurs de notre histoire aboient contre l’article prévoyant le contrôle par le ministère des Moudjahidine du contenu des films historiques ou ayant trait aux personnages historiques etc … ceux qui soutiennent « démocratiquement » Rachad se plaignent d’une loi « directement inspirée de la charia » ! Il nous est donc interdit de protéger notre histoire, et de vouloir une meilleure qualité artistique.

Il me semble pertinent de citer ici une anecdote vieille de plusieurs années. Une discussion houleuse se tenait entre quelques techniciens du cinéma. L’un d’entre eux, fier de dénigrer son pays devant un étranger présomptueux à force de voir les courbettes qu’on lui réserve ; s’énerve pour affirmer qu’il n’y a pas de monteurs en Algérie. Manque de chance, se trouvait un monteur algérien à côté, qui prend la parole calmement, et déclare que si les réalisateurs (surtout ceux des films historiques) préfèrent les monteurs étrangers, c’est parce que le montage est la dernière écriture du film, et qu’un étranger non seulement n’a cure de notre histoire, mais qu’en plus il l’ignore complètement ! En aparté, ce monteur me dit que c’est faut d’affirmer qu’il n’y a pas de techniciens compétents en Algérie, qu’il y en a beaucoup qui travaillent à l’étranger car on les en empêche de le faire dans leur propre pays, on les exploite, on ne les paye pas, on ne leur reconnait pas leur travail, voire pire, on le leur vole. Ceci n’est pas de la complainte stérile et geignarde mais une réalité dangereuse.
Concernant les quotas : Il est fait obligation d’employer au moins 10% de techniciens issus des écoles de cinéma. Nous sommes, certes, impatients de connaitre ces écoles ; mais il restera tout de même 90% de places pour les divers agents étrangers, les copains et les cousins.
Même Aïda Ababsa, l’actrice fétiche de la série edamma a récemment exprimé sa colère quant au fléau du népotisme dans le secteur du cinéma et de l’audio-visuel. Une idée pourrait aider à ralentir ce phénomène serait de présenter des dossiers anonymes à la commission chargée de la validation des projets et de l’octroi des aides publiques pour les projets cinématographiques.
Faisons un petit rappel historique : en Algérie, depuis l’indépendance, seule l’ANP s’est munie de ses propres laboratoires de développement de films (postproduction : étalonnage, mixage, montage, synchronisation etc …). Le cinéma civil est resté tributaire de sociétés, parfois offshore, qui procèdent à la postproduction des films algériens à l’étranger. Si cela permet de jolis bénéfices à certains, c’est cependant honteux que notre pays ne soit doté d’aucune de ces structures. Et cette loi ne prévoit absolument rien concernant ce volet ô combien stratégiquement capital.
C’est donc une loi qui ne change pas grand-chose au fonctionnement actuel. Nous avions besoin d’un cadre juridique, nous nous voyons proposer une énième balourdise.

Nedjma Baya Merabet

 

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