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Foued Soufi à Algérie54: Le rapport Stora est destiné à l’opinion  publique française

Le rapport de Benjamin Stora a fait couler beaucoup d’encre, depuis sa remise au président français Emmanuel Macron. Algérie54 est allée interroger un des brillants chercheurs algériens en mémoire, Foued Soufi.

Algérie54:Le rapport de Benjamin Stora, présenté mercredi dernier au président français Emmanuel Macron a davantage boosté les différends entre les deux rives de la Méditerranée, quelle lecture, faites-vous ?

Foued Soufi:Il faut mettre les choses à plat. M. Stora a été missionné par M. le président de la République française, en tant qu’expert français.  Il répond donc à ce qu’on appelle une commande publique. Il s’adresse au chef de l’Etat français et à l’opinion  publique française. Pas à nous, même s’il est question de nous. Il faut tout de même relever trois choses : sa lettre de mission et son rapport ont été rendus publics apparemment en toute  transparence d’une part et que quelque part les réactions algériennes l’intéressent.Par contre, je ne vois pas en quoi ce qu’il a écrit peut booster les différends entre les deux rives, comme vous le dites. Si tel est le cas, cela signifie qu’il a échoué. Sa mission avait pour objet au contraire la réconciliation mémorielle. Par contre, il est tout à fait clair pour moi que ni lui ni personne ne pourra faire changer d’avis à ceux qui chez nous et en France tirent un profit politique, ou autre, de cette situation. Chez nous ce sont ceux qui, quoiqu’il arrive, sont contre la France pour une raison ou une autre. De la même manière, en France jamais les « nostalgériques »  ne changeront d’avis. J’ajoute que la publication en toute transparence du rapport Stora et sa diffusion ont permis l’ouverture d’un débat chez nous

Algérie54: Benjamin Stora a omis d’évoquer plusieurs étapes de la colonisation, suscitant d’acerbes critiques des Algériens qui criaient à la partialité du rapport, que dira Monsieur Soufi ?

Foued Soufi: Je ne crois pas que M. Stora avait pour mission d’écrire l’histoire de l’Algérie. Il s’agit de construire les fondements de cette réconciliation mémorielle à partir de l’histoire française de l’Algérie. C’est du moins ce que j’ai cru comprendre. Les critiques que j’ai pu lire sont contradictoires. Il y a les « pour » et les «contre ». Nous pouvons effectivement en tant qu’Algériens exprimer une opinion sur un texte qui ne nous est pas, en fait et ni en droit, destiné. Il ne propose pas d’écrire de l’histoire de l’Algérie mais propose, pour les Français, une relecture de l’histoire de la présence française en Algérie. Ceci ne pourrait être considéré comme du révisionnisme historique sauf pour les nostalgériques. Donc il n’a rien omis de particulier0. Il a choisi.

Algérie54:Ne pensez pas qu’il est temps d’aller vers une écriture algérienne de cette étape de notre vaste histoire ?

Foued Soufi: Avec toutes les thèses et tous les livres édités chez nous, je crois que l’écriture algérienne sur cette étape de notre vaste histoire comme vous le dites, existe depuis longtemps. Le livre du Cheikh M’barek al Mili date de 1927. Je ne cite pas les études d’histoire locale écrites et publiées au 19ème siècle et au début du 20ème. Quant aux livres sur l’histoire de la Guerre de Libération Nationale, il faut reconnaître et admettre une réalité simple, il s’en publie plus en France que chez nous.Mais il est vrai que le fait que les archives ne soient plus accessibles, chez nous, pénalise lourdement les historiens algériens. Je pense qu’il est temps d’ouvrir les archives aux citoyens algériens et à l’ensemble des chercheurs historiens ou autres, nationaux et étrangers qui souhaitent travailler sur l’histoire de l’Algérie.Il est temps de faire rentrer les Archives nationales au 21ème siècle.

Algérie54: A quelques jours de la commémoration de l’anniversaire des essais nucléaires français dans le sud algérien, beaucoup de juristes algériens proposent d’aller vers les instances judiciaires internationales pour rétablir les algériens dans leurs droits d’indemnisation et de dépollution des sites ?

Foued Soufi: J’avoue que je maitrise mal cette question. Si des juristes proposent d’aller vers des instances internationales pourquoi pas ? Ceci dit, un ami a eu à suggérer des propositions concrètes comme un hôpital dans le Sud,Adrar ou ailleurs, spécialisé dans ce genre de maladie avec la collaboration et un financement de la France au titre d’indemnisations. Mais cela dépasse mes compétences.

Algérie54:Pourriez-vous nous parler du dossier de la restitution des archives et des crânes de nos martyrs et héroïques résistants à la colonisation ?

Foued Soufi:Ce sont là deux dossiers totalement différents. Le dossier des crânes est beaucoup plus facile à prendre en charge que celui des archives. Je crois me souvenir qu’un responsable français avait pratiquement souhaité les remettre sans problème particulier. Or la question s’est tout de même posée pour confirmer que ce sont bien des crânes d’Algériens. Dans son texte, B Stora écrit « présumés algériens» pour ceux qui sont encore conservés à Paris. Par contre les archives sont considérées comme relevant du patrimoine français. En conséquence de quoi,ne seront remis à notre pays que des copies numérisées pas les originaux comme nous l’avons toujours demandé depuis 1963. L’accord de coopération signé en mars 2009 aurait acté l’abandon de la position de principale de notre pays du retour des originaux. Les archives de la période ottomane qui auraient été mises au jour il y a quelques années pourraient nous être remises.

Algérie54:Le rapport de Stora a évoqué l’Emir Abdelkader Fondateur de l’Etat algérien et aurait nourri des préjugés à l’égard de celui qui est considéré comme le personnage universel du 19ème siècle, qu’en dites-vous ?

Foued Soufi:Il ne me semble pas avoir lu que M. Stora ait nourri des préjugés à l’égard de l’Emir Abdelkader. Il évoque l’Emir à trois reprises. Je me permets de dire que c’est plutôt chez nous que l’on trouve des personnes qui ont des préjugés, souvent irrationnels et maladifs, à l’égard de l’Emir et qui ne partagent pas du tout votre appréciation. J’ai cru comprendre que M. Stora préconise l’introduction dans le paysage « historique » français une autre vision de l’Emir que celle de « l’ami de la France » tel que fabriquée par l’Ecolehistorique coloniale d’Alger et que perpétuent les Français nostalgériques.

Entretien réalisé par M.Mehdi

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