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Jacob Cohen à Algérie 54:les États-Unis ne cherchent pas un monde équilibré et pacifié, mais à imposer leur diktat sur toute la planète

La crise ukrainienne serait selon de nombreux observateurs, un important tournant vers un nouvel ordre mondial, multipolaire. Pour mieux comprendre les futurs enjeux d’un affrontement entre le pôle unipolaire dirigé par les USA et les puissances montantes comme la Russie et la Chine, Algérie 54 ouvre ses colonnes au journal et auteur Jacob Cohen dont les capacités d’analyses ne sont plus à présenter.

Algérie54: La crise ukrainienne, augure un nouvel ordre mondial avec d’un côté un monde occidental obstiné à maintenir l’unipolarité, et en face de nouvelles puissances comme la Russie et la Chine contestant ce diktat. Quelle lecture faites-vous des derniers développements sur la scène ukrainienne?

Jacob Cohen:Depuis l’effondrement de l’Union soviétique en 1990, l’Occident, ou si on préfère l’Amérique et ses vassaux, a vu l’opportunité d’écarter définitivement la nouvelle Russie du jeu international, c’est-à-dire de la réduire à un rôle de moyenne puissance sans réelle autonomie. Ce fait démontre, s’il en était besoin, que les États-Unis ne cherchent pas un monde équilibré et pacifié, mais à imposer leur diktat sur toute la planète. La Russie à l’époque avait même proposé de collaborer avec l’OTAN pour trouver des règles de jeu basées sur le respect mutuel des intérêts de chacun. Elle avait d’ailleurs obtenu l’assurance que l’OTAN n’irait pas au-delà de l’ancien rideau de fer qui divisait l’Europe. En cherchant à intégrer l’Ukraine dans son alliance militaire, complétant ainsi l’encerclement de la Russie, en y plaçant des missiles à quelques minutes de Moscou, en y construisant des laboratoires chimiques avec des intentions malveillantes et criminelles, en y fomentant un régime nationaliste anti-russe, l’OTAN a voulu pousser son avantage jusqu’au bout, pensant que Poutine n’oserait pas recourir à la force, ni de cette façon, et que de fortes sanctions le ramèneraient à la raison. Or, on assiste à un renforcement de l’axe Moscou-Pékin, la Chine sachant désormais à quoi s’attendre avec les États-Unis. La même conclusion peut être tirée par l’Inde et tous les autres pays qui croient pouvoir jouer un rôle sur la scène internationale.

 Algérie54: La Russie se dite contrainte d’opter pour la solution militaire pour dénazifier l’Ukraine et la maintenir comme État neutre, ou pays tampon, pour éviter la présence de l’OTAN à ses frontières. Ne pensez-vous pas que le gouvernement ukrainien dirigé par Zelensky a été piégé par les américains au même titre que les européens qui ne peuvent rivaliser avec les Russes militairement supérieurs?

Jacob Cohen:Zelensky apprend à ses dépens la réalpolitik cynique des Américains, leur volonté de puissance, le peu de cas qu’ils font de leurs « alliés ». Il n’est qu’une marionnette à leur usage. Mais avait-il le choix ? N’a-t-il pas été placé là que pour jouer ce rôle ? En échange de quelques avantages bien sûr, révélés par les Panama Papers entre autres.  Depuis la « révolution » de Maidan, pour laquelle la CIA avait dépensé un budget de 5 milliards de dollars selon une responsable US, les Américains tiennent le pays et font ce qu’ils veulent. On a appris récemment que des institutions gouvernementales ukrainiennes étaient co-gérées par des Occidentaux. Le système mafieux est chargé du maintien de l’ordre. Mais le plus dramatique dans l’affaire est de voir la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, pour ne citer que les grands pays européens, suivre le jusqu’au-boutisme américain, au point de perdre leur âme, et de s’engager dans une campagne anti-russe irrationnelle et dangereuse pour l’avenir. Les relations artistiques, scientifiques, culturelles, universitaires sont suspendues. Des œuvres d’art sont menacées de saisies. On assiste à une hystérisation des populations européennes, comme ce groupe hospitalier allemand qui interdit à ses établissements de soigner des Russes, ou le tabassage d’écoliers d’origine russe dans une école en Suisse. La Russie et l’Europe risquent d’entrer dans une période sombre et tendue dont les conséquences seraient terrifiantes.

Algérie54:Les occidentaux sont passés à l’action en imposant des sanctions économiques à Moscou. Quel est l’impact de ces sanctions sur l’économie russe, et quel sera la réaction de l’Europe si Poutine ferme les robinets du gaz sur certains pays européens, comme l’Allemagne?

Jacob Cohen:Les sanctions semblent avoir été prises dans un accès d’hystérie émulatrice. On ne les a même pas graduées pour voir venir, les adapter, comme si on avait pensé abattre la Russie en quelques jours. Les Occidentaux ont oublié que les sanctions adoptées en 2014 suite à la récupération de la Crimée par la Russie n’ont eu pour effet que de contraindre celle-ci à retrouver son autonomie dans les domaines soumis au boycott, notamment l’agriculture. Et depuis les Russes se sont encore mieux préparés à cette éventualité. Les experts indépendants – car comme pour le Covid-19, les experts médiatiques répètent la leçon de leurs gouvernements – estiment que les Russes s’en sortiront sans trop de mal et que les Européens en paieront aussi le contrecoup, de nombreuses entreprises sont obligées de réduire leur activité. Et pas seulement pour eux. Certains imaginent déjà les dégâts pour les pays importateurs de céréales et des émeutes de la faim qui pourraient en découler. Néanmoins, Poutine ne cherche apparemment pas à utiliser l’arme du gaz qui mettrait l’Allemagne à genoux. Celle-ci d’ailleurs est en pointe pour modérer les sanctions et sauvegarder ses intérêts. Et du fait que la Russie peut compter sur la Chine et d’autres pays qui cherchent à s’émanciper de l’Amérique, les sanctions occidentales, notamment au niveau des règlements inter-bancaires, ne la dissuaderont pas d’arrêter son offensive en Ukraine.

Algérie54:La flambée des prix du gaz et du pétrole semble affecter sérieusement la vie sociale en Europe avec une hausse de l’inflation, augurant une explosion sociale. Qu’en pensez-vous?

Jacob Cohen:L’inflation avait déjà commencé depuis quelques mois, et la gestion du Covid-19 a entraîné pas mal de difficultés au niveau économique et social. De plus la dette publique a fait un bond extraordinaires et des mesures restrictives étaient en préparation, les Français bénéficiant d’un petit répit pour cause d’élections. Mais la retraite, avec des restrictions drastiques, viendra vite à l’ordre du jour en cas de réélection de Macron. Les prix du gaz et de l’électricité flambent. Et avec les hausses à la pompe, du jamais vu, des millions de Français sont obligés de prendre leur voiture pour aller travailler, faire les courses, se soigner, on risque de voir la grogne prendre de l’ampleur. Mais les chances d’une explosion sociale me paraissent faibles. Les Européens ont montré dans l’affaire du Covid-19, une propension à la soumission assez étonnante. Quitte à les calmer, on pourra toujours sortir du chapeau un nouveau variant, avec confinement, couvre-feu ou passes sanitaires en tous genres. Enfin, on vit toujours en état d’urgence. Et les polices européennes semblent avoir reçu des instructions pour réprimer les manifestations avec une violence digne des régimes tyranniques.

Algérie54: En parallèle à la situation explosive en Ukraine, les risques d’un affrontement entre l’Iran et l’Israël se précise. Ne pensez-vous pas qu’un embrasement se profile à l’horizon dans cette région région regroupant l’Irak, la Syrie, le Liban et la Palestine Occupée?

Jacob Cohen:Je n’y crois pas trop. Aucun de ces pays n’a intérêt à se lancer dans une vraie guerre. Les escarmouches entre l’Iran et Israël durent depuis une vingtaine d’années. Elles ont certes pris une certaine ampleur lorsque des forces iraniennes ont apporté leur aide sur le terrain au régime syrien, suscitant des attaques israéliennes – deux officiers supérieurs iraniens ont ainsi été tués il y a quelques jours en Syrie suscitant une riposte iranienne sur Irbil en Irak – mais qui restent cependant limitées pour éviter un embrasement. La présence russe en Syrie doit aussi calmer les esprits. Comme elle doit déconseiller aux Syriens, et par la même occasion au Hezbollah, de tenter une action d’envergure. Quant à la Palestine, tenue entre le marteau de l’Autorité palestinienne et l’enclume de la répression sioniste, on ne voit pas comment elle pourrait réussir un grand soulèvement. Enfin le régime sioniste est en pleine lune de miel avec le Maroc et les petites monarchies du Golfe, et il n’entreprendrait aucune action militaire d’envergure – qui n’aurait aujourd’hui aucune justification – qui risquerait de la troubler.

Entretien réalisé par M.Mehdi

 

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