Par Abdellali Merdaci
Le petit monde littéraire algérois, qui n’est pas très courageux et peu soucieux de défendre sa patrie littéraire, est secoué en ce mois de septembre par une nième affaire de plagiat (Cf. Aomar Mohellebi, « ‘‘Orages’’ de Hedia Bensahli. Plagiat ou intertextualité ? », « L’Expression », 7/09/2022). Mme Hedia Bensahli, romancière en devenir de la maison d’édition Frantz Fanon, a été accusée, preuve matérielle à l’appui, d’avoir « emprunté » indélicatement un texte de Mme Nadia Belkacemi, publié il y a huit années sur sa page Facebook, qu’elle a inséré sans les précautions d’usage dans son roman « Orages » (Boumerdès, Éditions Frantz Fanon, 2019). Quelque soit le site, le contexte de publication et le statut du texte de Mme Belkacemi, fusse-t-il une rapide ébauche, il reste protégé au premier plan par la morale de l’écrivain qui devrait s’interdire tout brigandage littéraire et ensuite, juridiquement, par le droit de la propriété intellectuelle. Il est clair dans ce cas qu’il s’agit de plagiat et il n’y a pas d’autre nom pour désigner un vol littéraire crépusculaire.
Il est évident que les excuses de Mme Bensahli et les promesses d’encadrer de guillemets le texte chapardé de Mme Belkacemi, accompagné de sa référence, lors d’une éventuelle réédition du roman « Orages », ne sont qu’une triste échappatoire. Ceci dit, il faut s’inquiéter de la défense de Mme Bensahli par son éditeur, M. Amar Ingrachen, qui licite proprement la rapine littéraire en l’enveloppant dans une vile canaillerie prétentieusement scientifique. M. Ingrachen croit pouvoir convoquer la théorie littéraire pour justifier l’infamie de son auteure et protégée, affranchie de toute culpabilité. Il invoque ainsi deux concepts, le pastiche et l’intertextualité, qui dédouaneraient Mme Bensahli, décidément irréprochable.
Expliquons donc. Le pastiche est une imitation annoncée sans équivoque d’un auteur par un autre, comme cela est perceptible dans les écrits de Marcel Proust « à la manière de… » Balzac, Sainte-Beuve, Flaubert, Saint-Simon, Renan, Michelet, Jules et Edmond Goncourt, appelant à la fois l’intérêt et la sympathie, au-delà de l’hommage supposé. L’intertextualité, souvent indécidable, est une sorte de monstre marin de la théorie littéraire de la fin du XXe siècle. De Mikhaïl Bakhtine, qui en conçoit le protocole, à Julia Kristeva, qui l’adapte, et à Gérard Genette qui en propose une définition affinée, ce qui ressort principalement dans le concept d’intertextualité, c’est le dialogue d’œuvres. Cela est très perceptible dans les emprunts à la tradition orale locale dans le théâtre de Kateb Yacine, mettant en scène Nuage de Fumée, un alter ego de Djeha. Il s’agit, en l’espèce, d’une valorisation du patrimoine culturel national et, sûrement, d’un échange de l’oral vers l’écrit qui ne pervertit pas la créativité littéraire de l’auteur de « La Poudre d’intelligence » (« Cf. « Le Cercle de représailles »,1959). Soit. Mais Mme Hedia Bensahli n’est ni dans le pastiche ni dans l’intertextualité. Ingrachen ne force-t-il pas quelque peu l’argumentaire théorique et n’en fait-il pas une lecture triviale ? Il soutient, ainsi, que beaucoup de grands écrivains dans le monde, Rachid Boudjedra, Romain Gary, Milan Kundera, Amin Maalouf, Paul Auster, se sont égarés dans une exploitation de textes des autres, par oubli ou par fascination. Retenons dans cette galerie d’auteurs, aux incriminations longuement débattues par la critique, Rachid Boudjedra, écrivant « Les 1001 années de la nostalgie » (1977), dans une double référenciation qui apparaît principalement dans le titre renvoyant au récit indo-arabo-persan « Les Mille et une nuits » et au roman « Cent ans de solitude » (1967 ; 1968) de Gabriel Garcia Marquez, impliquant une captation littéraire du temps, qui n’est pas si nouvelle puisqu’elle remonte au théâtre grec de l’Antiquité (Eschyle, Aristophane).
Si Rachid Boudjedra touche au « réalisme merveilleux », que beaucoup de critiques et d’historiens de la littérature lient spécialement au romancier colombien, Prix Nobel de Littérature 1982, il est aussi présent dans les œuvres de plusieurs écrivains d’Amérique latine, ainsi en Argentine Julio Cortozar (1914-1984) et Carlos Fuentes (1928-2012), au Mexique. Il a, aussi, été nettement éprouvé par les Ultraïstes argentins (Jorge Luis Borgès, Adolfo Bioy Casares, Victoria Ocampo) contemporains des surréalistes en France et des Futuristes en Russie. Mais au-delà de ce que disent les titres et l’empreinte d’un réalisme décomposé chez Boudjedra, le lecteur chercherait vainement une transcription de texte à texte. M. Boudjedra n’a plagié aucune œuvre pour servir de garant littéraire – ou d’excuse – à Mme Bensahli.
Par contre, l’auteure d’ « Orages » s’inscrit dans la peu honorable liste de plagiaires de la littérature algérienne. Comme l’a magistralement analysé M. Mohamed Balhi, le fameux texte attribué longtemps dans nos années de feu à l’écrivain Tahar Djaout (« Si tu parles tu meurs, si tu te tais tu meurs, alors parle et meurs ») est bel et bien un plagiat, une reprise non référenciée du poète palestinien Mouïn Bsissou. Pourquoi revenir là-dessus ? L’histoire de la littérature algérienne est une suite de plagiats jamais révélés, jamais sanctionnés. Pour autant que le fait soit pittoresque, dans les années 1980, la section locale de l’Union des écrivains algériens (UEA, aujourd’hui disparue) de Constantine, gardait sous clé des « mjaled », des textes plagiés de ses membres, y compris de sa direction. Plagiat aussi, je dirais plagiat éhonté de Mohammed Dib, d’abord imitateur de l’Américain Erskine Caldwell, reprenant dans « L’Incendie » (1954) de longs passages des romans italiens « Conversation en Sicile » (1941) d’Elio Vittorini et « Le Christ s’est arrêté à Eboli (1945) de Carlo Levi. Et, aussi, plagiat de Rachid Mimouni, ressassant dans « Le Fleuve détourné » (1982) thèmes et images du roman de Mengouchi-Bachir Dahak « Les Folles nuits d’Alger » (daté de 1975).
Mme Bensahli n’est pas secourable. L’auteure d’« Orages » est bien à l’étroit dans ses sombres éclaircissements. Elle a aimé ce texte de Mme Belkacemi et l’a furtivement copié en vue d’un usage qu’elle ne contrôlait plus. Je me souviens que le romancier français Joseph Macé-Scaron, convaincu d’avoir largement pillé Bill Bryson (« American rigolos. Chroniques d’un grand pays », Paris, Rivages et Payot, 2001) dans son roman « Ticket d’entrée » (Paris, Grasset, 2011), avait avancé la semblable excuse, qui ne l’a pas exonéré au regard de ses lecteurs et de ses critiques. Un écrivain, qui apprécie au plus haut point la prose (ou la poésie) d’un confrère ou d’une consœur est-il fondé à la cannibaliser dans une écriture prédatrice ? Le texte volé par Hedia Bensahli ne portera pas d’autre identité que celle de Nadia Belkacemi.
La seule question qu’il conviendrait de poser en marge de cette polémique littéraire, c’est de savoir si M. Ingrachen aurait sorti son improbable cavalerie « théorique » dans le cas où Mme Bensahli aurait été victime d’un vol caractérisé de la part de Mme Belkacemi. Alors, finissons-en : les Éditions Frantz Fanon auraient gagné à reconnaître le plagiat de leur auteure et à dédommager en conséquence la propriétaire des droits du texte délibérément reproduit dans son œuvre. Si l’opprobre devrait marquer le front de l’auteure, l’éditeur a une obligation de responsabilité pénale. Il est désagréable, et même cruel, qu’Ingrachen, patron des Éditions Frantz Fanon et du site d’information et d’analyse culturelle « Algérie Cultures », qui a son rond de serviette dans tous les médias algérois, puisse accabler Mme Nadia Belkacemi au moment où Mme Bensahli a reconnu les faits, en noyant cette sordide intrigue littéraire qui relève du droit commun dans le déni et dans la rodomontade, dans le pastiche et l’intertextualité. Faudrait-il constater qu’en littérature, comme dans les petites et grandes sorcelleries de mafias, la vérité appartient au plus fort ?
Comment ne pas exprimer aussi une vive désapprobation envers le jury du prix littéraire Yamina Mechakra qui sait, aujourd’hui, qu’il a sacré un roman et une auteure à l’intégrité morale douteuse, qui ne devrait pas se taire ?
POST-SCRIPTUM
La vogue des prix littéraires scélérats.
Nous sommes dans un pays où les prix littéraires sont antinationaux. Simple rappel : le jury d’un prix littéraire de l’Université Constantine 1-Merntouri a consacré en début d’année 2022 un roman de propagande de la politique française de peuplement colonial de l’Algérie (Cf. « ‘‘La Kafrado’’ de Malika Chitour Chitour Daoudi. Une apologie de la ‘‘colonisation heureuse’’ primée par l’Université », archives d’ « Algérie 54 »). Ni le recteur de cette Université, ni son supérieur direct le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique n’ont réagi à cette félonie, que ne devrait pas admettre l’Algérie indépendante. Et, c’était le rôle du ministre des Moudjahidine et des ayants droit et du secrétaire général de l’Organisation des Moudjahidine de dénoncer cette injure à la mémoire et à la résistance des Algériens face à la conquête française et à son œuvre de colonisation européenne de l’Algérie. Ils se sont tous tus.
Abdelmadjid Tebboune, président de la République, a défendu, à l’occasion de la célébration du soixantième anniversaire de l’Indépendance et de la commémoration des 20 aout 1955 et 1956, le devoir de mémoire envers nos Martyrs et nos Combattant de la Guerre anticoloniale (1954-1962). Ce devoir de mémoire et de fidélité envers une Algérie et des Algériens, morts et blessés, dans une histoire si proche pour être injuriée, a été bafoué par de hauts responsables de l’État.
Je le répète encore, ici, la littérature est libre en Algérie et aucune censure d’écrivain et d’éditeur n’est justifiable. Mais il devrait être acquis qu’aucun organisme d’État, qu’aucun agent d’autorité de l’État, ne devraient permettre que soient rehaussées par des distinctions nationales les valeurs de la colonisation française de l’Algérie.