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December 8, 2025

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Football : stade suprême de l’aliénation planétaire et terrain topique d’extériorisation de la violence (II)

Par Khider Mesloub

Au cours du XXème siècle, le jeu footballistique évolua, se perfectionna. D’amateur, il devint professionnel. Le jeu de passe se développa au détriment de la prouesse individuelle. Le football repose depuis lors sur la coopération et la construction collective du jeu. Les stades se muèrent en espaces de sociabilité populaire.

Football : espace d’expression politique et d’identité nationale au cours de la Révolution algérienne

Pour autant, dans certaines circonstances historiques exceptionnelles, le football devint un puissant catalyseur de revendications politiques. Parfois, un espace d’expression politique. Le football servit même d’instrument de revendications politiques, d’affirmation d’identité nationale, de moyen de lutte anticolonialiste.

L’Algérie illustra de manière triomphale cette instrumentalisation politique du football comme arme héroïque de lutte. Dans sa lutte pour son indépendance, l’Algérie s’appuya entre autres sur le football pour lutter contre le colonialisme. C’est ainsi qu’en 1958, le FLN créa sa propre équipe de football, incarnée notamment par Rachid Mekhloufi de l’AS Saint-Étienne, Mokhtar Arribi et Abdelhamid Kermali. Ces joueurs, dont certains furent sélectionnés en équipe de France, abandonnèrent leur carrière et leur mode de vie confortable pour s’engager dans la lutte anticoloniale. À l’époque, à l’apogée de la lutte de Libération nationale, 29 footballeurs évoluant dans des équipes de la France métropolitaine, rejoignirent clandestinement la Tunisie pour se mettre au service de la Révolution algérienne. Grâce à leur notoriété, ces footballeurs mirent en lumière la cause algérienne.

Ces joueurs populaires algériens illustrèrent que la lutte contre le colonialisme ne pouvait plus être réduite aux doléances pacifiques politiques et à la marginalité revendicative. Aussi, la lutte anticolonialiste s’invita-t-elle sur le terrain du combat révolutionnaire. Elle refusa d’être toujours mise sur la touche. Elle brûla les règles de jeu imposées par l’adversaire pour chausser les treillis du maquis et enfiler la tenue de combat. Des gradins parlementaires, le combat descendit sur le terrain militaire. De défensive, la lutte devint offensive. Le jeu de plume sémantique céda devant le fusil d’attaque héroïque. Les gardiens de la Révolution algérienne n’eurent qu’un but : remporter la victoire.

Après l’indépendance, après avoir servi de caisse de résonance anticoloniale, les stades de football deviendront des espaces de revendications politiques et sociales pour la jeunesse algérienne paupérisée, issue des quartiers populaires, en butte à la déchéance sociale et la misère affective et sexuelle. En effet, depuis le début de notre siècle, notamment sous le régime de Bouteflika, avec l’émergence de la culture ultra (supporteurisme radical), lors des rencontres de football, les stades servirent régulièrement de tribunes d’expression de contestation politique contre le régime, matérialisée notamment par les chants des supporteurs des clubs de la capitale. Lors de chaque match, les supporteurs de certains clubs entonnaient des hymnes de contestation dont le plus célèbre est La casa del Mouradia, chant composé par les supporteurs de l’Union sportive de la médina d’Alger (USMA). Ce chant fut fréquemment repris par les foules lors des manifestations hebdomadaires au cours de l’Acte I du Hirak.

La casa del Mouradia, emblématique hymne footballistique, résume ce que pensait du régime la majorité de la jeunesse algérienne. Ces multiples chants fustigeaient le despotisme étatique, la corruption des dirigeants, la misère, le chômage, la hogra. On peut citer, en vrac, d’autres célèbres tubes footballistiques : celui des supporteurs du Mouloudia Club d’Alger (MCA), 3am Saïd (« Bonne année ») ; de l’Union sportive de madinet El-Harrach (USMH), Chkoun sbabna ? (« Qui est coupable – de nos malheurs – ? ») ; Quilouna (« Foutez-nous la paix » ; Babour ellouh (« Barque de bois », 2018), qui évoque la situation des harragas. En Kabylie, les berbéristes se servent également des stades pour clamer des slogans hostiles au pouvoir, utiliser les gradins comme tribune de propagande pour appuyer leurs revendications ethnolinguistiques, voire sécessionnistes. Lors de certains matchs, d’aucuns brandissent le folklorique emblème tribal amazigh, entonnent des chants chauvinistes berbéristes pour proclamer leurs particularismes culturels.

Sur le continent Sud-américain, dans les pays latino-américains, le football représenta également un moyen de lutte et d’émancipation. Par exemple, au Brésil, à l’origine le football fut l’apanage de la bourgeoisie blanche. Progressivement, sans jeu de mots, les afro-brésiliens envahirent le terrain et s’emparèrent du ballon pour se transformer grâce au dribble en artistes du football. Avec l’entrée en jeu des afro-brésiliens dans le football, le terrain dès lors devint une scène de spectacle où les plus belles prouesses footballistiques se déployaient au grand bonheur des spectateurs ébahis. Contrairement au football européen demeuré encore très rigide (frigide ?), car il valorisait toujours la rigueur et la discipline.

De nos jours, les joueurs du monde entier ont adopté la technique de jeu martiale européenne. Ils sont devenus les mercenaires des capitalistes en quête d’investissements fructueux. Les joueurs ne mouillent pas seulement le maillot dans le milieu du terrain, mais ils sont aussi mouillés avec le milieu mafieux du football-business international. (Ces millionnaires en crampons se mouillent aussi bien dans les mœurs des affaires que dans les affaires de mœurs – affaires des prostituées).

Assurément, le Brésil incarne le football créatif et distractif. L’Europe, elle, personnifie le football normatif et combatif, et surtout lucratif. Dans le football de cette dernière, prime le jeu défensif et discipliné. Le résultat prime sur la qualité du jeu, tandis que le football brésilien valorise le jeu offensif et créatif ; la gratuité du geste contre l’avidité du gain ; le beau jeu intelligent contre le laid enjeu argent. Nous avons affaire à deux mentalités sportives radicalement antinomiques. Cependant, ces dernières décennies, quel que soit le continent, le football est soumis à la même logique mercantile : le fric.

Marchandisation du football

De toute évidence, au cours de ces dernières décennies, le football a subi d’énormes transformations. On a assisté à une profonde marchandisation du football. Force est de constater que le jeu sur la pelouse ne constitue que le paravent sportif pour dissimuler d’autres enjeux, notamment financiers : droits de retransmission télévisée, recettes, produits dérivés, contrats de sponsoring, sommes faramineuses tirées des transferts, et autres opérations occultes, par exemple les fameuses caisses noires.

En cela, le football incarne l’idéologie dominante car il correspond aux valeurs préconisées par le capital. Les clubs de football, convertis à l’économie de marché, sont devenus de véritables entreprises capitalistes. Certains clubs sont cotés en bourse. Nul doute, le football n’est pas seulement un jeu sportif, il constitue surtout un enjeu économique. Mais également politique. Le football constitue une formidable hypnotique distraction collective capable d’occulter tous les autres événements sociaux.

Le football est le sport politique par excellence. Comme l’avait écrit l’ethnologue Christian Bromberger : » Il (le football) se situe au carrefour de questions capitales comme l’appartenance, l’identité, la condition sociale et même, par son aspect sacrificiel et sa mystique, la religion. C’est pourquoi les stades se prêtent si bien aux cérémonies nationalistes, aux localismes et aux débordements identitaires ou tribaux qui débouchent parfois sur des violences entre supporters fanatiques ».

Le football sert d’exutoire aux nationalismes et d’adjuvant aux guerres

À cet égard, force est de constater qu’on a assisté à une manipulation et récupération politique du football. Sournoisement, le football sert d’exutoire aux nationalismes et d’adjuvant aux guerres. Les tribunes des stades constituent les seules sphères de tolérance de débridement des exaltations hystériques collectives, d’expression des aversions et hostilités bannies par ailleurs dans la vie ordinaire.

Dans le football, au-delà de l’expression des émotions névrotiques, on assiste également à l’éruption volcaniques des particularismes primitifs, des conduites tribales. À notre ère des tribus (des petits groupes, des réseaux sociaux, des communautés identitaires et religieuses) où la Raison a été mise au vestiaire, remplacée sur le terrain sociétal par les affects et les émotions, tous les tacles comportementaux sont permis pour réussir socialement, souvent au détriment d’autrui laissé sur la touche. Un chroniqueur a déclaré « Au football seul le ballon n’est pas payé, c’est pourtant lui qui se prend le plus de coups ». Il a oublié d’ajouter que les joueurs et les supporteurs se prennent également des coups. Et gratuitement. Les supporteurs, en adeptes du sport du Talion, se font toujours un plaisir de rendre la monnaie de leur pièce à leurs rivaux.

Le club de football personnifie la tribu. Et chaque supporteur défend sa tribu. Comme à l’époque antique, devant une nécessité impérative, périodiquement, certaines tribus se fédéraient pour constituer une armée homogène afin de combattre un ennemi commun. De nos jours, cette armée est incarnée par l’Équipe Nationale constituée de joueurs appartenant à divers clubs. Parce que les guerres interétatiques et intraétatiques sont interdites (du moins officiellement les États ne se font pas la guerre tous les jours), par l’effet de sublimation, ces clubs-tribus se livrent légalement des conflits sur le terrain et les gradins des stades.

On peut également les qualifier de vendetta moderne, ces vengeances qui se perpétuaient de génération en génération entre différents clans qui se vouaient une haine meurtrière inexpiable. Excepté qu’aujourd’hui ces revanches entre clubs ennemis sont codifiées par des normes officielles régies par des instances nationales footballistiques civilisées. Certains supporteurs de clubs cultivent des inimitiés irréconciliables, une hostilité fanatique, une haine meurtrière à l’encontre des supporteurs d’un autre club qui rappellent étrangement le phénomène de la séculaire vendetta fondée sur la défense de l’honneur et la vengeance.

De manière générale, régulièrement, dans de nombreux pays les matches de football donnent lieu à des explosions de chauvinisme et de xénophobie. Même les États s’y mêlent. Lors des matches impliquant les équipes nationales, responsables politiques et supporteurs n’hésitent pas à se livrer à des hystériques surenchères d’expression ethnico-identitaires, communautaristes, nationalistes, à la limite du racisme. Seul le football est capable de produire cette sorte de comportements antisociaux.

Ainsi, au nom d’une passion infantile confinant à l’intoxication mentale, le football légitime et banalise ces hystéries chauvinistes et tribales collectives. En résumé, le football est la préparation de la guerre par d’autres moyens, le spectacle civilisé de la violence collective « tolérée ».

Beaucoup de fanatiques footeux ne jurent que par le football, et n’injurient que pour le football. Par ailleurs, le football enferme les identités nationales ou régionales dans des identifications mystificatrices (Barcelone, PSG, JSK, MCA, etc.) générant des comportements de rejet et de haine de l’autre, alimentant des sentiments de vengeance, de revanche (mettre une « raclée », une « déculottée », une « branlée »).

Symptomatique d’une pathologie inhérente au football contemporain, lors des matches internationaux, les supporteurs sont envahis par des élans irrationnels d’identification mimétique à la « mère patrie », donnant lieu à des stigmatisations outrancières de l’adversaire, à des slogans racistes doublés souvent d’agressions physiques, au déferlement du chauvinisme, de l’ultranationalisme, de violences interethniques.

Football : débordements de violences et déchaînements de haine

Plus inquiétant encore, il n’y a qu’avec les matches de football où les stades et les alentours font l’objet d’une bunkérisation milataro-policière pour permettre le déroulement « normatif »   de la rencontre du match sous haute surveillance. Aucune autre manifestation sportive ou culturelle ne suscite de tels déchaînements de violence, furieusement perpétrés en dépit de l’instauration de mesures draconiennes de sécurité matérialisées par le déploiement massif de forces de l’ordre. De fait, nonobstant toutes ces mesures sécuritaires, les matches sont fréquemment émaillés de débordements de violences et de déchaînements de haine (les graves incidents qui se sont produits à Magra lors du match des quarts de finale de la coupe de la Ligue entre le NCM et la JS Saoura viennent rappeler l’ampleur de la violence dans les coulisses des stades).

Ainsi, le football est le seul sport qui se joue sous la férule du fric et du flic.

Lire: Football : stade suprême de l’aliénation planétaire et terrain topique d’extériorisation de la violence (I)

 

 

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