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December 8, 2025

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Football : stade suprême de l’aliénation planétaire et terrain topique d’extériorisation de la violence (I)

Par Khider Mesloub

« Il y a assez de causes réelles de conflits pour ne pas les accroître en encourageant les jeunes gens à se lancer des coups de pied dans les tibias au milieu de rugissements de spectateurs en furie. »  George Orwell.

Le football : véritable entreprise intégrée à la logique capitalistique

 

Les médias ont toujours présenté le football comme le meilleur vaccin pour promouvoir la paix entre les peuples, l’amitié entre les supporteurs. Or, à observer les fréquents heurts provoqués dans les stades, on redécouvre que le football, depuis plusieurs décennies, recèle un virus congénital qu’aucune vaccination rééducative ne parvient à endiguer : la violence. Jets de projectiles envers des joueurs, bagarres entre supporteurs et joueurs, pelouse envahie par des supporteurs, chants belliqueux et propos racistes : tel est le sinistre spectacle footballistique offert, depuis plusieurs années, dans les stades contaminés par le virus de la haine et de la violence. Cette violence traduit la dépravation morale d’une société capitaliste en pleine crise économique et civilisationnelle, aggravée par les destructions sociales et psychologiques générées notamment par la gestion criminelle de la crise sanitaire, dans une conjoncture par ailleurs marquée par la caporalisation des esprits actionnée pour apprivoiser les populations à la guerre généralisée imminente.

Comme l’écrivait l’écrivain George Orwell : « pratiqué avec sérieux, le sport n’a rien à voir avec le fair-play. Il déborde de jalousie haineuse, de bestialité, du mépris de toute règle, de plaisir sadique et de violence ; en d’autres mots, c’est la guerre, les fusils en moins ».

D’aucuns diraient que le stade est le terrain d’entraînement idéologique privilégié des États nationalistes bellicistes, qui se font également un honneur chauviniste de convertir les gradins en lieu d’exutoire où les foules fanatisées hystériques, galvanisées par une ferveur patriotique incendiaire, viennent en découdre avec les supporteurs du pays adverse.

Une chose est sûre, comme le disait Pierre Desproges : « Les hémorragies cérébrales sont moins fréquentes chez les joueurs de football. Les cerveaux aussi ». En revanche, sur le terrain et les gradins des stades, les hémorragies de violences coulent à profusion. C’est même la principale profession des fous du ballon rond.

Pour autant, le football demeure un sport au rayonnement planétaire éclatant de notoriété et succès. En témoigne la dernière Coupe du monde organisée au Qatar, suivie par plusieurs milliards de téléspectateurs (plus de la moitié de la planète – 3,7 milliards – avait regardé la Coupe du Monde 2018 : la finale entre la France et la Croatie avait rassemblé 1,12 milliard d’individus sur la planète).

L’occasion, pour nous, d’analyser le phénomène du football selon une approche historique et sociologique critique, et non pas sportive, encore moins footballistique.

La Coupe du monde du Qatar est recouverte de sang des martyrs ouvriers immigrés  

Le football demeure un sport au rayonnement mondial indiscutable. Preuve nous est administrée par l’organisation quadriennale de la Coupe du monde : cette grand-messe planétaire footballistique orchestrée par l’organisation lucrative privée, la FIFA, les multinationales partenaires de la FIFA et les diverses organisations mafieuses, sans oublier les États nationaux toujours en quête d’événements cérémonials pour entretenir et attiser la fibre patriotique belliqueuse.

L’année dernière la Coupe du monde s’est déroulée au Qatar, désertique pays de la péninsule arabique, composé de 2,9 millions d’habitants, dont 90% de la main d’œuvre est importée de l’étranger. Cette main-d’œuvre immigrée, vivant dans des conditions d’hébergement insalubres et de promiscuité déplorable, entassée parfois à 40 dans des cabanes sans eau courante, comme jadis les esclaves noirs-américains dans les grands domaines cotonniers des États du Sud, est payée à un SMIC fixé à moins de 200 euros par mois, alors que le PIB par habitant (qatari) est estimé récemment à 150 000 dollars par an, parmi le plus élevé au monde. À noter que, longtemps, pour travailler au Qatar, un étranger devait être « parrainé » par un Qatari, qui avait alors tous les droits sur lui, notamment l’empêcher de repartir dans son pays par la confiscation de son passeport.

Pour construire toutes les infrastructures de la Coupe du monde 2022 organisée au Qatar, les ouvriers étrangers devaient travailler plus de 11 heures par jour, sept jours sur sept, sous des chaleurs caniculaires, le tout payé entre 50 centimes et 2 euros de l’heure. Globalement, le salaire minimum des ouvriers correspond à moins de 2% du salaire moyen qatari (rapporté à la France dont le salaire moyen est de 2500 euros, cela reviendrait à payer un travailleur immigré à 50 euros par mois).

Par ailleurs, des milliers d’ouvriers sont décédés sur les chantiers, certains sont tout simplement morts d’épuisement à la tâche, subitement frappés de crise cardiaque, sous l’effet notamment des chaleurs de plus de cinquante degrés.

Au sein de cette féodale nation artificielle vivant de l’esclavage de salariés importés du monde entier, les Qataris, sur leur propre territoire, constituent que la quatrième nationalité représentée, derrière les Indiens, les Bangladais et les Népalais. Selon les informations relayées par de nombreux journaux, pour la préparation de sa Coupe du monde, l’émirat du Qatar aura déboursé plus de 200 milliards de dollars, dont 140 milliards de dollars pour les infrastructures de transports et 15 milliards dans les installations hôtelières. Mais il aura également sacrifié 6750 travailleurs étrangers sur les chantiers, tués par les exploiteurs-hooligans qataris, ces négriers enturbannés des temps modernes. En tout cas, cette première Coupe du monde, organisée par un pays arabe du Golfe, est recouverte de sang des ouvriers morts pour construire les stades de la honte, les hôtels de l’ignominie, les infrastructures de l’abjection capitaliste mondialisé.

De manière générale, assurément, en dépit de sa pollution par la logique marchande, le football conserve néanmoins sa légendaire dimension populaire. Certes, le football est devenu une véritable entreprise intégrée par le capitalisme, mais il représente toujours, pour la majorité des masses populaires, un spectacle divertissant. Sans conteste, le football, à l’instar de la religion à qui il s’apparente par ses rites solennisés et sa vocation sacrale universelle, est l’objet d’idolâtrie et de dévotion aussi bien par des hordes fanatiques belliqueuses que par des citoyens ordinaires « civilisés ». Et si, longtemps, il fut accompli avec un esprit amateur et ludique dans une ambiance conviviale et fraternelle, ces dernières décennies le football s’est radicalement métamorphosé par sa professionnalisation mercantile outrancière et son embrigadement idéologique chauviniste belliqueux. Le football est devenu le stade suprême de l’aliénation planétaire et le terrain topique d’extériorisation de la violence, de la haine et du racisme. Globalement, on peut affirmer qu’une Coupe immonde des fous du ballon rond déborde soit de fric, soit de violences, de haine ou/et de racisme.

Devenu football-business, son esprit sportif convivial s’est altéré, érodé. Il n’en demeure pas moins que les classes populaires continuent à pratiquer le football dans un esprit amateur et cordial, à l’abri des attractions vénales. En effet, par la simplicité de ses règles, ce sport attire encore une masse importante d’amateurs, d’autant plus qu’il peut aisément et librement se pratiquer dans la rue, même à l’aide d’un ballon confectionné avec des moyens de fortune. Singulièrement pour des d’enfants en quête de jeux ludiques et éducatifs, il constitue une bonne école de distraction et de formation de l’esprit. Grâce à la fois à son jeu collectif mais aussi à ses foisonnants gestes techniques individuels, notamment les spectaculaires dribbles, le football représente un remarquable outil pédagogique de socialisation exercé dans l’euphorie. Outre la beauté du jeu, le football procure également de très fortes émotions lors des matchs. Le suspens tient en haleine les joueurs et les spectateurs jusqu’à la dernière seconde du match. Le football, c’est l’émotion de l’incertitude anxieuse et la possibilité de la jouissance orgasmique ludique.

Du football ludique au football disciplinaire

Historiquement, le football naît en Angleterre en pleine révolution industrielle et expansion de la classe ouvrière. Certes, le football, pratique sportive destinée à l’origine à la formation des futures élites anglaises, fut l’apanage des classes privilégiées, mais il fut progressivement adopté par les classes populaires comme exercice sportif ludique.

Au départ, sport amateur sans règles définies, il devint rapidement objet de sollicitudes de la part de la bourgeoisie pour mieux l’encadrer. En effet, au milieu du XIXème siècle, pour discipliner une jeunesse populaire turbulente et frondeuse, la bourgeoisie prit en charge ce nouveau sport désintéressé et bénévole pour lui insuffler, par une codification rigoureuse inspirée de l’univers carcéral du travail, l’esprit de compétition et de performance, de productivité et de rentabilité, inhérent aux mœurs bourgeoises. 

Dès lors, pour enseigner les vertus de la discipline professionnelle et de la subordination sociale, mieux inculquer l’esprit d’obéissance à l’autorité dans les nouvelles manufactures, les patrons imposèrent aux ouvriers d’intégrer des équipes de football, sport réputé pour son apprentissage de la discipline (à l’instar du système scolaire carcéral imposé aux élèves, contraints de subir une discipline militarisée au sein d’une école où la soumission et le respect de l’autorité constituent les primordiaux apprentissages, gages d’une intégration réussie dans l’entreprise).

Néanmoins, les ouvriers surent avantageusement utiliser ce nouveau sport par la création d’une forte solidarité au sein de l’équipe de quartier, matérialisée notamment par leurs rencontres dans les pubs, et plus tard dans les stades. Progressivement, le football devint un sport populaire, dans lequel la classe ouvrière se reconnut. Corollairement, par la pratique sportive du football, elle se forgea un esprit de lutte et de combativité. Aussi, grâce au football, les classes populaires, après des journées d’exploitation, trouvèrent-elles un exutoire pour se divertir.

À la même époque, les élites bourgeoises, aux fins de se démarquer des masses populaires fraîchement entichées du ballon rond, délaissèrent le football pour s’adonner à l’exercice d’autres sports réputés plus prestigieux, notamment le tennis et le golf.

Globalement, au point de vue technique, la codification du football fut établie au XIXème siècle. Ce fut en 1863 que 17 représentants des publics schools anglais se réunirent pour unifier les règles du football qui variaient alors d’un collège à l’autre. Tout un ensemble de règles encadra ensuite ce nouveau sport, notamment celles relatives à la superficie du terrain, définitivement fixées.

Inéluctablement, comme il sied à une société de classe, progressivement envahi par la logique capitalistique industrielle, le football calqua son fonctionnement sur la division du travail en vigueur dans les entreprises. À l’instar de l’atelier de la manufacture, la spécialisation des joueurs et des postes au sein de l’équipe fut instaurée. Dès lors, l’objectif devint productif : marquer des buts, autrement dit accumuler du « capital-point ». Seule importe la lucarne qui capitalise, sans jeu de mots, tout l’intérêt de l’enjeu footballistique, au détriment du terrain réduit à une surface d’affrontement guerrier occupée 90 minutes durant par des joueurs robotisés équipés de crampons pour neutraliser l’adversaire, abattre l’ennemi.

 Le plaisir du jeu céda devant l’angoisse de l’enjeu. La créativité devant la rentabilité. L’esprit ludique devant la mentalité cupide. L’innocence sportive devant la rouerie athlétiqueÉric Cantona, dernier dinosaure demeuré fidèle à l’esprit du football ludique collectif, à la question sur le plus beau but de sa carrière, répondit spontanément (j’allais écrire sportivement) : » Mon plus beau but, c’était une passe ! » Aujourd’hui, une telle réplique, pour son hérésie sportive, vaudrait à son auteur un bannissement définitif des instances footballistiques dominantes. Car le footballeur n’est pas payé pour jouer mais marquer des buts, remporter des victoires. Comme l’entreprise capitaliste ne fonctionne pas pour satisfaire les besoins humains, mais vendre ses marchandises, remporter des parts de marché, accumuler des profits, valoriser son capital. Au reste, c’est le même romantique Éric Cantona qui a déclaré « Le ballon, c’est comme une femme, il aime les caresses ». Les instances dirigeantes et les amateurs de football diront plutôt « le ballon rond, c’est comme la société capitaliste, il cultive les crasses ».

L’esprit d’équipe du football : terrain d’entraînement de discipline à l’usine

Dès la naissance du football, dans le cadre de la pacification des rapports sociaux, les instances patronales et religieuses s’invitèrent sur le terrain pour valoriser amplement ce nouveau sport fondé sur l’esprit d’équipe et l’efficacité collective, incarnant un modèle identificatoire idéal pour les travailleurs réputés pour leur insubordination. « Les patrons des usines mesurent l’intérêt et le prestige que peut leur apporter un club de football. Celui-ci, à la fois, permet une union plus forte entre les ouvriers et peut assurer une plus grande renommée à l’entreprise. » À l’instar de l’univers industriel, le football valorise la performance individuelle, le travail d’équipe, la division des tâches, la planification collective, la solidarité. Progressivement, le football devint le sport préféré de la classe ouvrière, tandis que le rugby (tennis et golf) deviendrait l’apanage des élites.

De même, ces instances favorisèrent le développement de la pratique du football et la fréquentation des stades. De fait, pour amortir la trop forte pression de l’exploitation salariale, les institutions patronales et étatiques incitèrent (excitèrent ?) les ouvriers à se défouler frénétiquement sur le terrain de football, pour les détourner de l’espace de la contestation sociale. Et, en manière de catharsis, sur les gradins des stades pour leur procurer une aire d’épanchement de leurs ardeurs combatives, une zone de purgation de leurs frustrations sociétales.

Le football constitue ainsi une extraordinaire soupape de sûreté pour l’ordre établi. Un efficace instrument cathartique social apte à purger les énergies libidinales, un mécanisme de sublimation collective efficient. Le football est une excellente école d’usinage des esprits, de façonnement des comportements. Le football est l’antichambre de l’entreprise.

 

 

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