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Guerre des gazoducs

Par Mohamed Amine Hattou

« Un bon politicien est celui qui est capable de prédire l’avenir et qui, par la suite, est également capable d’expliquer pourquoi les choses ne se sont pas passées comme il l’avait prédit. »

 Winston Churchill

Les gazoducs constituent les nerfs du marché énergétique mondial et le dessous des politiques sécuritaires des États. L’investissement, la construction et la gestion de ces corridors de plusieurs milliards de dollars dans ce domaine  suscite toujours intérêt et intrigue .

Après une accalmie de plusieurs mois, sans doute c’est suite à la brouille entre Alger et Madrid, et pour la consommation interne, que nous assistons à un battage médiatique tout azimuts concernant le projet du gazoduc offshore Nigeria-Maroc le NMGP (14 pays en droit de passage, 5660 km en offshore qui viendra à se greffé sur le West African Gas Pipeline ) , proposé par le « roi chérifien » en 2016 . Abuja n’a jamais caché son vœux d’acheminer son gaz vers le marché européen, l’idée d’un gazoduc reliant les champs gazier du delta du Niger à hassi r’mel en Algérie via le Niger, le transsaharien NIGAL (deux pays en droit de passage , 4128 km)  date quant à lui des années quatre vingt, l’étude de faisabilité, le tracé, de ce projet ont déjà été finalisés loin des aspects politiques et obéissant aux seuls aspects commerciaux, au moment où l’on assiste ses derniers temps à un affolement du marché gazier suite aux événements d’Ukraine . Qu’en est-il réellement des deux projets de gazoducs qui ont pour objectif de relier le Nigeria à l’Europe.?

Disponibilité et coûts: entre règles du marché et realpolitik. 

l’actuelle crise Ukrainienne instruit énormément sur l’interaction entre les choix stratégiques et économiques dans les relations internationales, et leurs conséquences,  étant à la fois une remise en cause des accords de Bretton woods (avec l’introduction du Rouble russe comme nouvelle monnaie dans le marché des hydrocarbures) c’est aussi une redistribution géopolitique majeure des rapports entre producteurs et importateurs d’hydrocarbures, entre pays émergent et pays leaders, enfin tout simplement entre puissances , avec une incidence certaine sur les projets d’investissement régionaux dans ce secteur névralgique des énergies (précisément le gaz) , déjà tributaire de plusieurs facteurs que seuls les pays producteurs peuvent être mis à contribution . C’est la seconde fois dans l’histoire que les hydrocarbures sont utilisés comme  arme pour une conjoncture stratégique.

[La position des hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) dans la politique étrangère des pays industrialisés est un fondamental depuis la seconde Guerre mondiale,  L’énergie  devint ainsi une composante structurante de la sécurité nationale et de la politique étrangère des pays dont le meilleur exemple reste celui des Etats-Unis d’Amérique.] 

l’accès à une énergie sûre et abordable est vitale pour la croissance économique et l’hégémonie américaine dans le monde qui avait devancé ses alliés en mettant un système financier mondial à son avantage, en effet les accords conclus  suite à la tenue de la conférence monétaire à Bretton Woods (New Hampshire, États-Unis) en juillet 1944, entre 44 pays, aboutiront à l’instauration d’un système monétaire(dollar indexé sur une once d’or) et basé sur la libre convertibilité des monnaies et la fixité des taux de change. Indexant par l’occasion l’économie mondiale sur le Dollar américain,

Ces accords ont été revisités en 1971 par l’administration Nixon qui mit fin au système de taux de change fixes (sur l’or), le pétrole fit office de ressource-clé pour tenter de conserver la suprématie américaine avc le dollar : le « pétrodollar » comme nouvelle monnaie-étalon. En 1973, Henry Kissinger, secrétaire d’État américain, signa des accords secrets avec l’Arabie saoudite puis avec les différents pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) pour s’assurer que le pétrole serait vendu uniquement contre des dollars, permettant le maintien d’une demande permanente de dollars sur le marché international, liée à la dépendance croissante au pétrole.

L’administration Carter poursuivit ensuite l’établissement d’une présence militaire dans la région du Golfe persique .Souhaitant ainsi le maintien de l’accès continu au pétrole, empêchant la présence d’une autre puissance dans la zone (malgré l’éloignement géographique) et assurant la survie de l’entité sioniste. Sur un autre volet pour dire l’influence des sources d’énergies dans les relations internationales, la prépondérance de la disponibilité et les coûts sont les seuls facteurs régissant le marché énergétique mondial, le Canada avec sa proximité est toujours, le premier fournisseur américain de pétrole et de gaz.

Selon la même notion de proximité de cercles producteurs, les exportations Mexicaines étaient aussi dédiés au voisin du nord, le Venezuela est l’un des quatre principaux fournisseurs des États-Unis en pétrole brut malgré les relations tendues entre les deux pays depuis le coup d’état manqué (soutenu par la CIA contre Chávez en 2002), les différentes administrations américaines continuent tout encourageant un changement de régime, à s’approvisionner en brut à Caracas. (Important fournisseur  pour les États-Unis et les ventes de pétrole contribuent pour une grande part à la santé économique du Venezuela. Même si ce dernier menace régulièrement de remettre en question ses débouchés vers les Etats-Unis au bénéfice de la Chine).

[Il faut comprendre, que les perpétuelles mutations géopolitiques dans le monde, qu’elles soient d’ordre économique ou stratégique, le facteur énergétique est un driver essentiel, donc en dépit des conflits, des sanctions économiques et autres embargos de façade, pour les besoins énergétiques, la transgression du droit international est monnaie courante et surtout une règle non avouée ,ainsi les hydrocarbures iraniens, irakiens et libyens continuerons par des subterfuges commerciaux à approvisionner les marchés mondiaux, de même pour le gaz Russe en direction du marché européen en dépit de cette actualité Ukrainienne et il en sera toujours ainsi, puisque quand il s’agit des besoins énergétiques rien ne va et c’est chacun pour soi, le seul credo restera : disponibilités et coûts, c’est ce qui explique que les projets et les investissements dans le monde des hydrocarbures soient très sélectifs .]

La renaissance énergétique américaine: « shale gas» et « tight gas» Américains, gaz conventionnel et l’Europe 

À la venue de l’administration Obama, le mix énergétique américain était le suivant :charbon (39 %), suivi du pétrole et du gaz, représentant chacun 23 %, l’énergie nucléaire (8 %) et des énergies renouvelables 7 % ( notamment hydroélectrique). le gaz naturel était souvent l’énergie d’appoint vu son prix élevé et du manque de réserves locales  et le déclin de la production Canadienne. Tout en cherchant à relancer leur production domestique et à diversifier leurs approvisionnements, les États-Unis étaient contraints d’annoncer devenir les premiers importateurs de gaz naturel, notamment de gaz naturel liquéfié (GNL) .

En 2012 Obama, entame son second mandat avec un programme énergétique axé sur les énergies fossiles, d’où le recours aux ressources non conventionnelles, pour assurer la sécurité énergétique des Usa, la production de gaz non conventionnel,  le gaz de schiste « shale gas » pourrait représenter plus de 50 % de la production gazière américaine vers 2040 et 75 % avec le gaz compact « tight gas »,  qu’importe l’impact environnemental, rien que cela. Même avec une grande production de gaz non conventionnel, les parts de marché de ce dernier ne dépasseront jamais le cap d’appoint ou de menace comme par exemple, le gaz de schiste américain est apparu comme appoint palliatif dans le cadre du conflit russo-ukrainien depuis 2014, ce qui n’avait pas été le cas lors des tensions précédentes. Les gouvernements ukrainien et polonais et plusieurs autres pays ont ainsi officiellement déclaré leur souhait d’importer du GNL des Etats-Unis comme moyen de pression.

En 2015, les Etats-Unis sont devenus les premiers producteurs d’hydrocarbures liquides devant l’Arabie saoudite. Face à une contraction de la demande – notamment dans le secteur des transports – et à une hausse de l’offre, les importations ont logiquement diminué, accentué après avec la pandémie COVID 19, les Etats-Unis demeurent le deuxième importateur mondial, derrière la Chine. L’impact réel n’est pas à négliger, avec une baisse de la dépendance pétrolière américaine d’environ 32 %. Et des relations internationales sans cesse en renouvellement .

En outre, même si les Etats-Unis deviennent exportateurs de gaz non conventionnelle la sécurité énergétique de l’Europe restera toujours tributaire du gaz conventionnel donc des obligations de contrats á long terme, des arbitrages possibles, de différence de prix entre zones et de la rentabilité de l’exploitation et du transport . Les équilibres entre les sources d’approvisionnement et les pays constructeurs doivent être préservés coûte que coûte, d’où tout l’intérêt mondial pour les nouvelles découvertes de gisements gaziers, des nouveaux projets de gazoduc, conflit… Sécurité énergétique oblige. Pour rappeler que les relations internationales obéissent à des facteurs qui restent quelques fois très opaques pour la plupart.

[Avec cet exemple américain, nous mettons en évidence le vœux perpétuelle des pays producteurs à vouloir de plus en plus de parts de marché et une position énergétique confortable dans un marché très versatile, aussi la recherche d’un équilibre entre optimisation des potentiels, des coûts, des débouchés, c’est ce qui pousse, les uns et les autres à vouloir tirer profit, à prendre des parts, à investir d’une quelconque manière dans chaque opportunité qui se présente dans ce marché qui a encore de beaux jours devant lui comme c’est le cas pour ce projet de gazoduc à partir du Nigeria.]

Gazoduc Nigeria-Maroc: rêve royal VS réalisme commercial

 

Ce projet a été annoncé pour la première fois en décembre 2016, lors de la visite d’État du souverain marocain au Nigeria. En Mai 2017, des accords de coopération ont été signés à Rabat pour engager les deux parties à parrainer une étude de faisabilité, ainsi qu’une pré-étude des détails (FEED). En Juin 2018, des accords relatifs à sa construction sont signés à Rabat. Dans la phase de pré-études.

Ce gazoduc devrait mesurer environ 5 660 kilomètres de long. Il longerait la côte Ouest Africaine en traversant ainsi 14 pays : Nigéria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, les trois Guinée, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie, la RASD et le Maroc, pour un coût d’investissement estimé pour l’instant entre 25 et 35 milliards $., les travaux après étude seront réalisés en plusieurs phases qui s’étaleront pour au moins 25 ans et viendra à se greffer au « West African Gas Pipeline »  WAGP (gazoduc ouest-africain long de 678 km, géré par Wapco, un consortium comprenant des Etats mais aussi Chevron et Shell, d’une capacité de 5 milliards de m3 /an, à titre indicatif soit quelque 10% de la capacité du gazoduc NordStream reliant la Russie à l’Europe), le WAGP relie le Nigéria au Ghana, en passant par le Bénin et le Togo.

[Afin  de vendre son projet et en vu aussi d’intégrer la CEDEAO et voulant faire croire que c’est un terrain de concurrence régional entre grandes puissance ,  Rabat fait preuve  d’un amateurisme flagrant en mettant en avant comme à l’accoutumée des campagnes de communication présentant des arguments qui n’ont rien à voir avec les réalités commerciales et platonique en présentant ce projet, non seulement comme étant le précurseur du développement économique des pays de la CDEAO, mais aussi à plus d’indépendance vis-à-vis de l’extérieur, notamment l’indépendance énergétique à travers le gaz, en permettrait l’électrification de la région en étant bénéfique à plus de 300 millions de personnes. Le comble, ce gazoduc placerait l’Afrique de l’ouest et Rabat comme nouveau pôle gazier pour l’Europe face à la Russie, la Norvège et l’Algérie.] 

Sauf que l’initiateur de ce projet à savoir le Maroc, n’est pas un pays producteur et ne dispose ni du know how nécessaire ni d’infrastructures gazières pour faire valoir une telle ambition, les dirigeants à Abuja (disposant d’une réserve de cinq trillions de m3 de gaz naturel, et exporte 45 milliards/an.  des centaines de km de gazoduc, une usine de liquéfaction à Bonny Island) , en producteurs aguerris, savent pertinemment qu’un tel projet ne pourra aucunement être rentable car , avec un minimum de 7% de redevance pour les 14 pays que traversera ce gazoduc (soit 91%), ils arriveront au final à un taux injecté de seulement 9%  d’exportation vers l’Europe (sur un total prévu de 30 milliards de m3 /an) , aussi la difficulté du financement d’un tel projet qui présente un début de retour sur investissement après  25 ans, nonobstant les coûts d’exploitation, de maintenance et les aspects sécuritaires, cependant ce qui est choquant c’est que l’étude de faisabilité du projet n’a même pas été entamé, pour cause, Rabat n’a même pas pu réunir les 90 millions $ coût de l’étude( elle n’a obtenu jusqu’à l’heure que 14 millions $ et peine à trouver les autres 76 millions $). Quand se fera l’étude ? Quand obtiendront-t-ils les finances nécessaires ? Quand démarreront les travaux?

Le Maroc , Etat vassal et fonctionnel, devrait méditer avant de fantasmer quant à une quelconque assistance de pseudo alliés pour réaliser cette chimère, à voir le sort qui à été réserver par Washington au gazoduc  « Eastmed  » en annulant son financement pour des raisons commerciales et géostatiques au profit d’Ankara et au détriment de Tel-Aviv et ce malgré la viabilité du projet, l’Europe s’étant aligné sur cette décision tout en lorgnant sur le gaz russe, pourtant un projet qui présente moins de contraintes et beaucoup moins coûteux et surtout rentable à très court terme.

[« EastMed » est un projet de gazoduc de 1 900 km destiné à relier les réserves de gaz de la Méditerranée orientale à la Grèce. Le gazoduc aura une capacité initiale de transport de dix milliards de m3/ an  de gaz vers la Grèce, l’Italie et d’autres pays d’Europe du Sud-est. La capacité devrait être augmentée à un maximum de 20 milliards de m3/an au cours de la deuxième phase. Le projet de 6,7 milliards $ a été confirmé comme projet d’intérêt commun (PCI) par le gouvernement européen. Il est développé par IGI Poséidon, une coentreprise à 50/50 entre Public Gas Corporation of Grèce (DEPA) et Edison International Holding.] malgré cela il a été mis aux calendes «grecques»

À lire aussi sur le sujet :

https://algerie54.dz/2021/11/27/entite-sioniste-gaz/

Cela va s’en dire que plusieurs ONG écologiques sont contre ce projet de gazoduc Nigeria-Maroc et œuvrent vigoureusement à empêcher sa réalisation.

https://www.cadtm.org/spip.php?page=imprimer&id_article=15998

Aussi L’agence Américaine de notation internationale  « Fitch Solutions» a rendu public un rapport remettant en cause la pertinence du projet à cause des complications soulevées par le nombre de pays impliqués et de leur législation en vigueur. De nombreuses difficultés seront à surmonter lors de la mise en place d’un cadre politique, juridique, technique et financier global entre les 14 pays concernés ainsi que la présence sur le marché européen déjà très concurrentiel de la Russie, de la Norvège et de l’Algérie. Bien évidemment, le conflit russo-ukrainien survenu en février 2022 et la décision prise par l’UE de réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de Moscou revalorise un projet d’un nouveau fournisseur sur le marché européen.

D’où l’opportunité très réaliste pour l’aboutissement du Nigal (projet de gazoduc de 4125 km, traversant le Niger) , initié par le Nigeria et l’Algérie tout deux pays producteurs disposant d’infrastructures gazières (60 % du tracé est existant) , les études ont déjà été finalisés, ce gazoduc terrestre traversera seulement deux pays, par le Niger et l’Algérie ( qui dispose de deux gazoducs offshore desservant l’Europe)  et qui en terme de redevance de passage est minime ( un minimum de 7% soit 14 %, ce qui laissera un total exportable vers l’Europe de 86 % pour le Nigeria qui compte exporter 30 milliards m3 /an ) quant au financement du coût de l’investissement estimé à hauteur de 8 milliards $, de nombreux pays ont exprimé leurs intérêts, c’est sans doute la coopération commercial et sécuritaire à coup de Milliards de $ dont à parler Blinken lors de sa visite à Alger le mois dernier, Aussi la Russie  qui a proposé le financement total ( pratique courante de prise de parts dans le transport d’hydrocarbures entre pays producteurs), le retour sur investissement se fera quand à lui à la première année de mise en service, à savoir que les coûts d’exploitation et de maintenance des infrastructures terrestres sont moins onéreuses que celles réalisées en offshore .

Sachant qu’il reste à réaliser seulement quelques centaines de kilomètres du côté Nigerian et Algérien pour arriver aux frontières Nigérienne , quant à l’aspect sécuritaire sur le tronçon du Niger il faut rappeler le grand programme Allemand (grand pays importateur de gaz) qui investit dans le cadre du protocole de l’ECAT plusieurs milliards $ dans la formation et l’équipement des services de sécurité du Niger, de même que Le français Prométhée (concurrent d’Ariane) se dit prêt à lancer vingt nanosatellites pour l’agence spatiale du Niger  pour la lutte contre le terrorisme et la surveillance, la même offre ayant été faite à Alger et Abuja, à noter aussi la proposition américaine de drones pour Alger, qui est depuis l’adoption de la nouvelle constitution très sollicité par la communauté internationale pour des interventions militaires dans le cadre des missions onusienne.

Le pari est fait de savoir lequel des deux projets de gazoducs aboutira, en cas d’échec quel sera l’argument que présentera son altesse royal à ses sujets qui sont habitués aux rêves et aux miracles royaux comme ceux : kérosène et voyage dans lune de son grand père 

 

 

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