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Gouvernement et patronat français : négriers des temps modernes

Par Khider Mesloub

Dans Le Capital publié en 1867, Marx écrit : « Le système capitaliste développe aussi les moyens (…) d’augmenter en apparence le nombre des travailleurs employés en remplaçant une force supérieure et plus chère par plusieurs forces inférieures et à bon marché, l’homme par la femme, l’adulte par l’adolescent et l’enfant, un Yankee par trois Chinois ».

Entre la date de la rédaction de ce texte et notre époque contemporaine, aucun changement notable de cette réalité décrite ingénieusement par Marx. Sinon, celui des trois Chinois : ils ont été remplacés par des millions de migrants, ces « forces inférieures » disposées à s’employer à bon marché. Cette armée industrielle de réserve mondiale, réservoir inépuisable du capital.

L’immigration devenue le carburant de l’économie anémique européenne

De manière générale, la question migratoire a toujours fait débat. Sujet de controverses, le problème migratoire soulève régulièrement les passions. Du fait de l’État, souvent prompt à durcir les dispositions relatives à l’immigration, comme des partis d’extrême-droite de tout temps, radicalement, opposés à toute installation d’étrangers sur le territoire. Mais aussi, on l’ignore souvent, au sein du mouvement ouvrier, notamment des organisations politiques et centrales syndicales, favorables en périodes de crises à l’adoption de mesures restrictives à l’embauche des immigrés.

Au tournant des XIXe et du XXe siècles, déjà aux États-Unis et au Canada, le « péril jaune » était régulièrement agité pour justifier la fermeture des frontières aux migrants chinois. Et cette politique anti-immigration était soutenue et approuvée par l’ensemble des partis politiques, y compris les organisations socialistes (pour légitimer le protectionnisme économique).

Aujourd’hui, dans cette phase de décadence du capitalisme, marquée par le désordre mondial délibérément entretenu par les puissances impérialistes, notamment par les multiples conflits interétatiques et les boucheries inter-ethniques, induisant un exode massif de populations transformées en hordes vagabondes, la bourgeoisie mondialisée instrumentalise ces convulsions en force opportunément exploitable à son avantage. Notamment la question sensible des migrants, exploitée politiquement à des fins de division des travailleurs entre nationaux et « étrangers », et économiquement par l’exploitation éhontée des exilés.

En Europe, de nos jours, dans une conjoncture marquée par la crise énergétique, plus que le pétrole et le gaz l’immigration est devenue le carburant de l’économie anémique européenne, des marchés du travail exsangues, la dernière planche de salut monétaire de l’enrichissement des capitalistes paupérisés par la crise et les sanctions économiques irrationnelles édictées contre la Russie.

Aussi, quoique son État, officiellement, prône la fermeté en matière de politique migratoire, la bourgeoisie occidentale œuvre en sous-main à l’ouverture des frontières par des appels d’air soigneusement orchestrés par des instances patronales via des filières clandestines.

Une chose est sûre : la bourgeoisie occidentale est consciente qu’elle n’aurait pas à nourrir et à entretenir cette masse d’immigrés importée (c’est l’argent du contribuable qui pourvoit aux rudimentaires besoins matériels et sanitaires des migrants pris en charge, ou celui des âmes charitables qui les secourent par leurs dons).

C’est la spécificité du capitalisme. Contrairement aux précédents modes de production, en particulier le régime esclavagiste. De fait, la classe bourgeoise capitaliste est bien mieux lotie que celle du système esclavagiste, car elle n’a aucune obligation envers les ouvriers, n’ayant investi aucun capital : l’ouvrier coûte donc moins cher qu’un esclave. Le maître esclavagiste, lui, devait nourrir, entretenir, soigner ses esclaves, faute de quoi sa précieuse main-d’œuvre périssait, entraînant la mort sociale du maître esclavagiste. Au demeurant, le mode de production esclavagiste s’éteignit par suite du tarissement d’esclaves. La source de l’esclavagisme tarie, les maîtres furent ruinés faute de forces pour travailler la terre.

Ironie de l’histoire, à notre époque, le capitalisme s’éteindra, a contrario, par abondance d’esclaves salariés inemployés, pourtant sources de plus-value, ces surnuméraires rendus inexploitables dans ces entreprises transformées en cimetières économiques par suite de la robotisation et de la numérisation de l’appareil productif.

Assurément, la différence entre l’esclave et le prolétaire (salarié) est purement formelle, contractuelle. Comme l’écrit Marx, le prolétaire : « Au lieu d’être vendu en une fois, il se vend à la journée, à la semaine, à l’année, et comme aucun propriétaire ne le vend à un autre, il est forcé de se vendre lui-même, n’étant l’esclave d’aucun propriétaire en particulier, mais de la classe capitaliste dans son ensemble ». C’est la définition même du capitalisme : c’est un rapport social (d’exploitation) entre la classe dominante, propriétaire des moyens de production, et la classe laborieuse dominée, contrainte de vendre sa force de travail pour survivre. Tous les prolétaires ne sont pas exploités systématiquement en tant que salariés. Certains sont embauchés irrégulièrement. D’autres sont confrontés à un chômage endémique.  Néanmoins, tous sont soumis au capital du fait de leur condition de travailleur (avec ou sans emploi). Et parce qu’ils sont séparés des moyens de vivre (instruments de production), ils doivent les acheter par un salaire, c’est-à-dire en vendant leurs forces de travail à un patron.

Aujourd’hui, avec la crise systémique du capitalisme, la seule perspective offerte aux prolétaires est le chômage. Le seul avenir échu aux pauvres des pays sous-développés est l’exil vers les continents riches, notamment l’Europe et l’Amérique du Nord. Et cette émigration est favorisée et soutenue par les puissances financières, le grand capital international, assoiffé de main-d’œuvre corvéable et taillable à merci. Immigration convoitée également pour son pouvoir d’inflexion baissière des salaires. Il est communément reconnu que la main-d’œuvre immigrée tire les salaires vers le bas.

Des métiers de merde réservés aux immigrés par la France

Depuis plusieurs années, dans les pays développés, notamment européens, les patrons peinent à recruter des salariés, notamment dans les secteurs réputés ingrats, pénibles et surtout humiliants. Dans le cas de la France (à généraliser à tous les pays occidentaux), voici en vrac la liste des métiers où les difficultés de recrutement sont en constante augmentation   :Aide à domicile et aides ménagères, Serveurs de cafés, de restaurants, Animateur socio-culturel,  Aides, apprentis, Employés polyvalents de cuisine, Viticulteurs, arboriculteurs, Cueilleur, Agriculteurs salariés, Ouvriers agricoles, Cuisiniers, Agents d’entretien locaux, Aides-soignants, Médico-psycho, Auxiliaire puériculture, etc.

On l’aura remarqué : il s’agit, en l’espèce, majoritairement de métiers de merde ! Non pas du fait de leur nature supposément dégradante (il n’y a pas de métiers dégradants mais des systèmes économiques dégradants, notamment le capitalisme, fondé sur l’exploitation et l’aliénation, les humiliations et les harcèlements), mais en raison de la déconsidération et du mépris dont ils font l’objet de la part des élites bourgeoises françaises, toutes obédiences politiques, droite et gauche.

Dans la société capitaliste occidentale, le premier « racisme » est en réalité économique.

Aujourd’hui, confrontée au rejet du travail dégradant manifesté par la nouvelle génération, reflet du refus croissant de sacrifier sa vie pour un emploi aliénant, symbolisé par le phénomène de la « Grande Démission », la bourgeoisie européenne s’organise pour importer la main-d’œuvre étrangère. Ainsi, pour prendre l’exemple de la France, le gouvernement Macron, soutenu par l’ensemble des instances politiques et associatives de gauche, s’apprête à lancer une opération de recrutement de main-d’œuvre migrante dans les secteurs énumérés ci-dessus, c’est-à-dire les métiers de merde.

Autrement dit, au lieu de valoriser ces métiers par l’augmentation substantielle des salaires et l’amélioration des conditions de travail, sources de recrutement autochtone, le patronat français, en collaboration avec le gouvernement et les organisations de gauche, préfère réserver ces emplois toujours merdiques aux migrants. Où se niche le racisme : au sein du gouvernement, du patronat et des associations humanitaires gauchistes favorables à la politique migratoire esclavagiste, ou au sein du Rassemblement National de Marine Le Pen ? Quoi qu’il en soit, comme le souligne un économiste : « En résumé, faire venir de la main-d’œuvre étrangère s’avère une solution en trompe-l’œil qui permettra de soulager les entreprises sans pour autant prendre à bras-le-corps la vraie nature du problème des tensions de recrutement ».

En d’autres termes, les jobs proposés par les négriers des temps modernes seront de plus en plus fuis comme la peste. Aussi, sous prétexte de tolérance et d’antiracisme, le patronat français, secondé par les instances politiques et associatives de gauche esclavagiste, importera la main-d’œuvre étrangère, corvéable et exploitable à merci, pour pérenniser son système capitaliste sénile et décadent. Et, surtout, diviser le prolétariat. Tirer les salaires vers le bas. Accentuer la paupérisation. Diluer la conscience de classe. Favoriser le repli identitaire, le communautaire. Alimenter le populisme. Dévoyer les luttes. Obstruer toute prise de conscience révolutionnaire prolétarienne.

Une France imprégnée par un racisme décomplexé et un mépris de classe crasse

Au reste, en France, dans un contexte marqué par un racisme décomplexé et un mépris de classe des élites et instances politiques françaises à l’égard du prolétariat, un projet de loi sur l’immigration, soutenu largement par le patronat français, a été présenté le 1er février en conseil des ministres. À l’issue du conseil, le ministre de l’Intérieur, Gérard Darmanin, a déclaré : « Nous voulons une immigration choisie ». Quant à son collègue, Olivier Dussopt, ministre du Travail, il a précisé : « Nous voulons créer un nouveau titre de séjour métiers en tension ».

En tension ou sous-tension, c’est-à-dire tellement considérés comme « inférieurs » à la norme professionnelle qu’ils sont fuis comme la peste par les citoyens autochtones ? Ces immigrés « kleenex », autrement dit jetables des frontières du fait de leur titre de séjour temporaire, seront embauchés dans les métiers délaissés par les Français, notamment dans les secteurs d’aides à domicile, d’aides ménagères et d’assistantes maternelles, autrement dit les emplois de la domesticité. Même si on n’emploie plus le vocable domesticité, mais de « services à la personne », ce type d’emploi est assimilé à la condition des domestiques, associé aux notions d’exploitation, de sous-qualification et de déséquilibre de la relation entre les employeurs et les salariés concernés.

Ainsi, ces nouvelles recrues immigrées, importées comme des esclaves des pays africains et maghrébins, serviront de domestiques à la petite et haute bourgeoisie française sénile.

« Tu aideras mieux ton prochain en lui apprenant à pêcher plutôt qu’en lui donnant du poisson » (en plus pourri), dit un adage chinois. Tel est l’humanitarisme hypocrite de l’Occident en général, et de la France en particulier : au lieu d’aider les pays pauvres à se développer, il développe abondamment leur pauvreté jusqu’à acculer leurs populations à s’expatrier vers l’Occident via les filières clandestines dirigées par des ONG européennes, pour les exploiter dans ses ateliers, chantiers, sociétés, domiciles, maisons de retraite.

 

 

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