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La France forme des soldats saoudiens pour faire la guerre au Yémen, révèle une enquête d’Amnesty

Par Tarek Benaldjia

C’est un nouveau scandale dans la coopération militaire avec l’Arabie saoudite. Selon une enquête publiée par Amnesty International, un terrain d’entraînement aurait été construit sur le sol français pour former des militaires saoudiens. La France avait déjà été pointée du doigt en 2019 pour la vente de matériel de guerre à l’Arabie saoudite, qui combat actuellement au Yémen.

Cette fois-ci, il s’agit de l’implantation d’un centre de formation au maniement des armes d’une entreprise belge dans la Meuse en territoire français.

Voilà comment débute l’enquête d’ « Audrey Lebel (1)», journaliste pour La Chronique, le magazine d’Amnesty International dans un rapport rendu public jeudi.« Ce que j’ai trouvé là-bas, c’est un centre de formation qui avait été créé spécialement pour des soldats  saoudiens, pour les former au maniement d’armes de guerre dont l’ancienne version est utilisée au Yémen, explique-t-elle. Ce centre a pu être implanté dans la Meuse grâce à l’ancien ministre de la Défense « Gérard Longuet. » Membre du gouvernement de François Fillon en 2011-2012, il est actuellement sénateur de la Meuse. Gérard Longuet a « selon ses propres propos, poursuit Audrey Lebel, « branché » le PDG de l’entreprise belge John Cockerill sur le chef d’état-major de l’armée de terre de l’époque ».

Ainsi, l’organisation internationale estime « qu’en toute impunité et en flagrante contradiction avec ses engagements internationaux, la France fournit des armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, pays engagés dans le conflit au Yémen ».
D’ailleurs l’ONU a qualifié ce conflit de « pire catastrophe humanitaire au monde ».

En lien avec sa campagne « silence on arme », Amnesty a donc mené cette enquête qui révèle la « manière dont la France va un cran plus loin, en permettant à des militaires saoudiens de venir se former sur le sol français ».

La guerre de la France au Yémen

Qualifié par les Nations unies de « pire catastrophe humanitaire au monde », a fait plus de 230 000 morts. En effet, l’Arabie Saoudite mène depuis 2015, une guerre au Yémen contre les forces houthis soutenues par l’Iran.

Amnesty critique les autorités françaises « qui ne se privent pas d’accueillir en France, à coup de subventions et d’aides de toutes sortes, une entreprise fabricante d’armes impliquée dans ce conflit »

Des politiques interviennent pour des subventions

Selon cette enquête, dès 2011 Gérard Longuet, alors ministre de la Défense, intervient directement pour faire installer en France le fabricant d’armes belge John Cockerill en lui accordant une subvention d’un million d’euros.

Longuet deviendra membre de conseil d’administration de cette même entreprise et percevra 25 000 euros par an pour ce poste.

Par la suite, via des sous-traitants, pour un montant de 4,5 milliards d’euros, la firme sera chargée de livrer environ 700 tourelles-canons pour équiper les 928 véhicules blindés légers canadiens envoyés à Riyad.

« En plus d’assurer pendant sept ans la livraison de ces tourelles-canons de calibre 105 et 30 mm notamment, le contrat comprend la fourniture d’un système de simulation, créé tout spécialement pour l’occasion, et surtout de la fameuse formation à ses armes avec ce même système », explique encore l’enquête.

Ventes d’armes à l’Arabie Saoudite

Par la suite, le 26 mars 2015, l’Arabie saoudite lance l’opération « Tempête décisive » contre le Yémen. « Pour autant, ce conflit, n’a pas mis fin aux relations entre l’entreprise, la commune et l’État », insiste encore Audrey Lebel.

« Je ne suis pas en mesure d’interdire la guerre dans le monde » Gérard Longuet.

Cerise sur le gâteau, alors que le monde entier a les yeux rivés sur cette guerre, le conseil régional de Lorraine a décidé d’une nouvelle subvention de 600000 € à l’entreprise John Cockerill quelques mois plus tard.

Par ailleurs, le rapport explique « qu’aucun pays ni aucune entreprise n’a le droit, en vertu des traités internationaux de former ou de fournir des armes à une puissance qui les retourne contre des civils ». Pourtant en fournissant des armes et en mettant à disposition un centre de formation, la France bafoue donc les traités internationaux.

Le massacre des civils ne freine pas les ardeurs

Toujours selon l’enquête, « l’État français n’a pas pris ses distances avec l’entreprise belge depuis le déclenchement de la guerre au Yémen ».
Ainsi, l’auteur explique qu’en 2016, lors du Salon Eurosatory, le ministre de l’Économie de l’époque, actuel président de la République, Emmanuel Macron, s’est rendu sur le stand Agueris, société créée spécialement par Cockerill pour le contrat signé avec l’Arabie saoudite afin de développer « le premier simulateur embarqué de tourelle au monde ».

Pour rappel, ce sont donc sur ces appareils que les militaires saoudiens doivent s’entraîner.

Plus récemment, « en avril 2019, Geneviève Darrieussecq, la secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées, vient en personne à Commercy inaugurer le campus Cockerill », révèle encore l’auteur de l’enquête.

« Pourtant citée par plusieurs enquêtes journalistiques prouvant son implication sur le sol yéménite, l’entreprise, a plus que jamais ses entrées jusqu’à la tête de l’État », rapporte Audrey Lebel. Pour preuve, le 1er janvier dernier, le Premier ministre Édouard Philippe nommait le PDG du groupe d’armement, Bernard Serin, chevalier de la Légion d’honneur.

Même chose en Libye ?

Selon des sources diplomatiques, la France a aidé le maréchal Haftar à mener une guerre sans merci contre des civils. L’ONU a d’ailleurs ouvert une enquête sur des charniers découverts dans les zones contrôlées par le maréchal putschiste, notamment dans la ville de Tarhouna.

Publié en 2019, « Histoire secrète de la DGSE », livre du journaliste Jean Guisnel, détaille l’intervention de la France en Libye depuis 2011 et surtout le rapprochement opéré entre le chef de la diplomatie français, Jean-Yves le Drian, et le maréchal putschiste Haftar à partir de 2014. Aujourd’hui, la France fait du chantage à l’OTAN pour que cette organisation se range à ses côtés, sans réel succès pour autant.

Or, au vu de ces révélations, le public est en droit de se demander si la France ne cherche pas, de par ses gesticulations diplomatiques, à cacher ses propres crimes de guerres ?

 

Enquête réalisée par Audrey Lebel

 

L’enquête a été réalisée par Audrey Lebel, journaliste indépendante membre du collectif Les Journalopes, en collaboration avec Michel Despratx, coauteur de l’enquête « Made in France » de Disclose, et interrogé par la DGSI dans le cadre des révélations de l’Enquête.

Le dossier spécial de la Chronique est publié dans le cadre de la campagne « Silence, on arme ! » d’Amnesty International France pour un véritable contrôle et une transparence efficiente du commerce des armes en France : https://www.amnesty.fr/campagnes/silence-on-arme

https://www.amnesty.fr/presse/-armes.-la-france-terre-daccueil-

 

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