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La Guerre d’octobre 1973  : L’Algérie et la Guerre du Ramadan (3ème partie)

Par Mohamed Taleb

Comme nous l’avons signalé plus haut, le président Sadate considérait que la victoire de 1973  (ou semi-victoire) était due à l’apport de deux personnages de grande envergure : le roi saoudien  Fayçal bin Abdelaziz (au premier plan à droite sur la photo avec Boumediene)  et le président Houari Boumediene.

Le Roi Fayçal d’Arabie Saoudite et le président algérien Houari Boumediene lors d’un sommet arabe à Rabat  le 27 octobre 1974, Maroc. 

Ce dernier se trouvait à Moscou pour négocier avec les Soviétiques la livraison d’armements modernes à l’Égypte. Boumediene appela Sadate en pleine nuit pour lui faire part du succès des négociations. Les armes seront livrées et la facture sera entièrement prise en charge par l’Algérie (100 millions de dollars à l’époque, soit l’équivalent de 1 milliard de dollars en 2011, au moment où  Camellia Sadate a eu cette interview).

Le 7 octobre 1973, Boumediene décide l’envoi de troupes et de matériel. L’ordre de mouvement est donné le 10 octobre et le départ du contingent a lieu le 12 octobre à partir du site de Teleghma (Wilaya de Mila). L’acheminement des troupes et du matériel (800 engins et 50 camions- citernes chargés de carburant)  se fait par voie terrestre (sur 3.200 km) et a duré 13 jours. Le 25 octobre, la 8eme brigade blindée  (chars et artillerie) est dans le Sinaï, sous le commandement du colonel Abdelmalek Guenaizia. Les forces aériennes composées de 4 escadrons étaient basées à Benghazi, en Libye. Les troupes algériennes sont arrivées certes après le cessez-le-feu du 22 octobre 1973, mais la guerre n’était pas encore terminée et un cessez-le-feu effectif ne sera opérationnel qu’après les premières négociations.

Sur place, la 8ème Brigade, intégrée au sein de la 3ème Armée égyptienne, a garanti depuis son arrivée jusqu’à son désengagement, en mars 1974, non seulement un apport d’oxygène pour les troupes égyptiennes mais s’est vue directement confrontée  à l’armée israélienne. Elle a assuré en outre l’endiguement des avancées de Tsahal  et représenté un rempart contre les multiples et fréquentes transgressions  au cessez-le-feu de Tsahal, Israël voulant arriver aux négociations en position de force.

Les troupes de l’ANP reçoivent l’ordre de rentrer au pays le 8 juin 1975. Pendant toute cette période, le soutien logistique et financier à la 8eme brigade blindée et aux escadrons de l’aviation a été assuré dans sa totalité par l’Algérie. L’apport financier de l’Algérie aux efforts de guerre a été de 200 millions de dollars au total, hors soutien logistique aux troupes de l’ANP, soit l’équivalent de 2 milliards de dollars en 2011.

Le 6ème Sommet arabe d’Alger [1]de novembre 1973 réitère les fondamentaux concernant :

  • Reconnaissance de l’OLP comme seule représentante du peuple palestinien
  • Libération des territoires occupés en 1967 selon les résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité de l’ONU

et adopte une série de résolutions portant sur l’interdiction aux pays arabes d’exporter le pétrole vers les pays alliés d’Israël, la coopération entre pays arabes et africains et avec les pays non-alignés, l’appel au monde occidental à prendre une position équitable par rapport à la question palestinienne et la levée de l’embargo sur la vente d’armes aux pays arabes.

Apres la visite de Sadate en Israël,  la rupture du front arabe se concrétise avec la création du « Front de la fermeté » lors d’un sommet restreint tenu à Alger en février 1978.

Les autres pays arabes rejetteront à l’unanimité, lors du Sommet de Bagdad de novembre 1978, les Accords de Camp David et il est même question de transférer le siège de la Ligue arabe à Tunis.

Anouar El-Sadate et la paix séparée avec Israël

Le président Sadate acquiert une grande popularité après avoir ébranlé l’invincibilité d’Israël et  lavé  la honte de 1967, revigoré par un succès politique indéniable même si la victoire des armées arabes ne fut pas totale. L’objectif premier de nature politique fixé par Sadate, contraindre l’entité sioniste à la négociation, a été atteint. Pour ce il lui a fallu se séparer pendant les opérations militaires du chef d’État-Major, le général Saad Eddine Chazli[2] qui privilégiait la solution militaire. Le but final étant la récupération du Sinaï et le contrôle du Canal de Suez, vue son importance au plan économique, financier et stratégique.  Tout en persévérant dans sa politique libérale de «  l’Infitah », Anouar Sadate, jugeant la politique soviétique pour le Moyen-Orient ankylosée par les dynamiques de la guerre froide et considérant l’URSS soucieuse de ses propres intérêts de puissance mondiale,  se distancie de plus en plus de celle-ci jusqu’à la rupture, en 1976,  du traité d’amitié et de coopération soviéto-égyptien de 1971. Parallèlement et avec une conviction croissante, il se rapproche des Etats-Unis qui, selon lui, sont les seuls à pouvoir effectuer des  pressions utiles sur Israël en vue de l’ouverture de négociations, ce dernier étant de surcroit affaibli par son récent fiasco. C’est la voie qui convenait le plus à Henry Kissinger, soucieux quant à lui d’éliminer l’influence soviétique dans le Monde arabe. La voie de la négociation bilatérale entre États, en dehors du cadre des Nations-Unies, sera privilégiée et le traitement global du conflit arabo-israélien ne sera plus à l’ordre du jour.
L’initiative, unilatérale, du président Sadate d’entamer en 1977 un voyage en Israël, est le prélude à la fragmentation et de la rupture au sein du Monde arabe, déjà entamée avec les évènements de Septembre noir de 1970 en Jordanie. Dans son discours à la Knesset, Sadate fait à peine allusion aux droits des Palestiniens. Sa démarche sera couronnée  par la signature des Accords de Camp David aux Etats-Unis le 17 septembre 1978 (sur la photo : Anouar El-Sadate à gauche, le président américain Jimmy Carter et le premier ministre israélien Menahem Begin).

La question palestinienne est mise en sourdine. C’est la fin au conflit entre l’Égypte et Israël. L’Égypte récupère le Sinaï et sa souveraineté sur le Canal de Suez. Un accord de paix est signé en mars 1979 entre l’Égypte et Israël. Le plus grand pays arabe est ainsi écarté de la dynamique de combat et de lutte contre le colonialisme sioniste.

Le 6 octobre 1981 le président Anouar Sadate est assassiné lors du défilé annuel de la victoire au Caire (le choix de la date n’est pas fortuit) par des militaires appartenant à l’organisation Jihad islamique égyptien. Il avait reçu le prix Nobel de la paix avec le Premier ministre israélien Menahem Begin (ancien membre de l’organisation terroriste sioniste Irgoun).

L’entité sioniste demeure encore de nos jours hantée par le spectre de la débâcle de 1973.

Par Mohamed Taleb

Auteur de  «Palestine : le plus grand hold-up du XXème siècle ». Éditions APIC 2019.

[1] – Voir link: Le 6e sommet arabe à Alger (calameo.com)

[2] – Voir link: La surprenante éviction du Général Saad Eddine Chazli, en pleine guerre d’Octobre 1973 (3/4) – Madaniya

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