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La Guerre d’octobre 1973    (1ère partie)

Par Mohamed Taleb 

État des lieux avant 1973

Après la défaite  retentissante des États arabes à l’issue de la Guerre des Six Jours en juin 1967, les sionistes, disposant entre autre de l’arme nucléaire (mise au point  avec le concours décisif de la France à partir de 1955),  sont plus que jamais convaincus de leur invulnérabilité, de leur invincibilité et de leur suprématie militaire.
La superficie de l’État d’Israël passe en 1967 de 21.000 km² (correspondant à la Ligne Verte établie en 1949 par les Accords d’armistice israélo-arabes de Rhodes) à près de 90.000 km² avec les territoires nouvellement conquis. Toute la Palestine historique est désormais occupée par les sionistes qui contrôlent le Sinaï égyptien et le Plateau du Golan syrien (annexé par les sionistes quelques années plus tard).

Le déploiement des forces de Tsahal (armée sioniste) sur la rive Est du Canal de Suez, à quelques dizaines de mètres de la rive occidentale, est, pour l’Égypte, une scène encore plus humiliante et insoutenable que la défaite militaire.
La réaction du président égyptien, Gamal Abdel Nasser, ne se fait pas attendre longtemps.

Jamal Abdenasser, le Rais égyptien 1952-1970

Sur fond de bouleversement au sein des États arabes après le Sommet de Khartoum du 1er septembre 1967 (conclu avec les trois  « non »: Pas de paix avec Israël ;  Pas de reconnaissance d’Israël ; Pas de négociations avec Israël),  Nasser décide de lancer des opérations à partir de l’été 1968 en direction de la rive Est du Canal, occupée par Tsahal, lequel y  répond instantanément. Attaques et contre-attaques se poursuivent, ponctuées par des pauses plus ou moins longues jusqu’à la fin de 1970. En novembre 1968, l’entité sioniste entreprend la construction d’une chaine de fortifications tout le long de la côte Est du Canal, la célèbre Ligne Bar-Lev (sur 200 km, avec un coût réalisation de près de 500 millions de dollars) du nom de son concepteur, le général et chef d’état-major Chaïm Bar-Lev. La ligne  deviendra également une cible des tirs et des  incursions aériennes égyptiennes.
C’est la « Guerre d’usure », pour signifier la non-abdication arabe sinon égyptienne de Nasser devant les forces sionistes. Le but est aussi celui d’encourager l’engagement et l’intervention des grandes puissances pour mener à de nouvelles négociations.

Les Palestiniens et la direction de l’OLP, encore sous tutelle des pays arabes mais s’opposent aux positions égyptienne et jordanienne qui sont en faveur de l’application de la résolution 242 (votée à l’issue de la Guerre des Six jours de 1967 et dans laquelle il n’est nullement fait allusion à la question politique palestinienne en dehors de l’aspect humanitaire).  La tragédie de Septembre Noir de 1970 en Jordanie (suite à des tentatives d’assassinat du roi Hussein)  a fait des milliers de victimes au sein de la population palestinienne. La direction de l’OLP et les résistants palestiniens sont contraints de quitter  la Jordanie et s’installent au Liban. À partir de ce moment, dans un souci de donner une résonnance internationale à la cause palestinienne, débute une série d’actes terroristes dans le monde dont le plus spectaculaire fut celui de Munich durant les jeux olympiques en septembre 1972. Tous les actes terroristes sont suivis de représailles brutales du côté  israélien, visant des cadres de l’OLP et du FPLP dans les pays arabes et en Europe. Les « terroristes » palestiniens ont été, dans leur grande majorité, éliminés par le Mossad israélien.

Le Roi Hussein de Jordanie

Le conflit entre l’Égypte et l’entité sioniste prend des dimensions plus intenses voire inquiétantes à même de faire intervenir les Etats-Unis moyennant la proposition d’un plan de paix échafaudé sur la base de la Résolution 242 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies (résolution du 22 novembre 1967 à la suite de la Guerre des Six-Jours – stipulant le retour des forces israéliennes aux frontières du 4 juin 1967). Le nouveau plan de paix,  élaboré par le Secrétaire d’État du président Richard Nixon, le républicain William Pierce Rogers, a suscité l’intérêt du président Nasser qui a souligné son vœux de règlement global du conflit, excluant tout accord séparé entre Israël et un quelconque État arabe.
Le plan prévoyait la restitution des territoires occupés en 1967, l’établissement d’une zone démilitarisée et la réunification de la ville de Jérusalem sous une administration conjointe israélo-jordanienne. Le plan de paix est rejeté par Israël et par les États arabes.

En juin 1970, une deuxième mouture du plan de paix américain, présentée par William P. Rogers, est acceptée par le  président Nasser qui, devant le manque d’efficacité de l’appui  soviétique, veut mettre fin à la Guerre d’usure.

L’entité sioniste a rejeté la nouvelle proposition de Rogers. Á ce sujet, Golda Meir avait déclaré: « Tout gouvernement israélien qui accepterait un tel plan se rendrait coupable de trahison nationale… » (Voir Le Monde Diplomatique – Août 1970).
Devant l’engagement des Etats-Unis à garantir  et assurer  la souveraineté à Israël, sa sécurité sur l’ensemble du territoire ainsi que le soutien militaire, Israël donne son avis favorable au plan le 31 juillet 1970.

Un  nouvel acteur, Henry Kissinger, juif d’origine allemande,  dans un premier temps conseiller pour la sécurité nationale, va jouer un rôle prépondérant dans la politique extérieure américaine de 1969 à 1977. Il reçoit le Prix Nobel de la paix en 1973 (Vietnam), année durant laquelle il devient aussi Secrétaire d’État sous la présidence Nixon, après avoir torpillé, en collusion avec ce dernier, les divers plans de paix de Rogers, à travers sa politique de « l’immobilisme » (jusqu’en 1973). Nixon et Kissinger mettaient en outre la question du Proche-Orient en deuxième position après celle du Vietnam. Malgré tout un cessez-le-feu est entré en vigueur à partir du 7 août 1970 lequel sera par la suite suspendu sous prétexte, pour les Israéliens, que l’Égypte n’aurait pas respecté l’accord de cessez-le-feu.
Le président Nasser décède le 28 septembre 1970 à la suite d’une crise cardiaque. Anouar Sadate lui succède à la tête de l’État. Considéré au début par la plupart des analystes et des élites, aussi bien du côté arabe qu’israélien, comme un politique médiocre, sans le charisme et l’aura de Gamal Abdel Nasser, il passe pour être un homme de transition. Mais peu de temps après être passé aux commandes du pays,  Sadate affiche  une inversion de tendance.

Il opère une purge au sein de l’armée en éliminant les « gardiens du temple » nassériens. Les options socialistes et laïques nassériennes sont au fur et à mesure abandonnées au profit d’orientations économiques libérales (Infitah – ouverture au libéralisme) et religieuses (Les Frères musulmans, traqués par Nasser et entre-temps exilés en Arabie saoudite et dans les royautés du Golfe, sont autorisés par Sadate à rentrer en Égypte et seront  appuyés et financés en sous-main par les USA).   Mais c’est surtout sur le plan politique qu’il  a un changement substantiel. Il abandonne les positions prises lors de la Conférence de Khartoum de 1967 (les trois ‘’non’’ arabes) en proposant, déjà en février 1971, un cessez-le-feu à Israël  et sous certaines conditions, la réouverture à la navigation du Canal de Suez et l’évacuation des territoires conquis en 1967. Sadate, plaçant les intérêts égyptiens au premier plan, envisageait des négociations avec Israël dans le but  d’obtenir l’évacuation des territoires occupés et d’établir une paix entre les pays concernés – « Initiative[1] de paix » du 4 février 1971. Déçu par une fin de non-recevoir de Tel-Aviv à sa démarche,  Sadate s’en remet au patronage américain.  Les USA, voyant en cela une possibilité de réduire sinon d’éliminer l’influence soviétique dans la région,  se rapprochent aussi de l’Égypte.

Le statu quo perdure jusqu’en février 1971, et sur son initiative les négociations reprennent sans toutefois aboutir à des résultats concrets.
Une troisième mouture du plan Rogers est de nouveau rejetée par les sionistes,  le président Sadate déclare devant le parlement égyptien: « la guerre devient inévitable pour la récupération des terres égyptienne et arabes occupées par les forces sionistes ».

Au cours de l’été 1972,  le président Sadate expulse entre 12.000 et 15.000 militaires et experts soviétiques (20.000 selon d’autres sources) présents en Égypte depuis 1969, sans pour autant rompre les relations avec l’URSS, contraire à l’option d’une nouvelle guerre au Proche-Orient et d’une confrontation avec les Etats-Unis.  dans un climat de guerre froide certes mais caractérisé par en cette période par une relative détente. Une rencontre a lieu à Oslo[2] entre les deux puissances pour faire maintenir le statu quo entre Égypte et Israël.

Mohamed Anouar Sadate, président égyptien-1970-1981

Devant un tel scénario, les sionistes vont-ils baisser la garde ?  Mais le rapprochement de Sadate vers les Etats-Unis et sa nouvelle politique libérale vont contraindre le Kremlin, après intervention de l’Algérie, à consentir à la livraison d’armes et d’équipements militaires auparavant objet de refus.

Successivement  les sionistes ne se sentent nullement inquiétés, ni par les déclarations de Sadate ni par les mouvements de troupes le long du Canal de Suez ou les exercices militaires de mai et août 1973. Pour Tel-Aviv, les Arabes sont porteurs d’une faiblesse innée, ancrée dans une culture inférieure du Monde arabe et sont considérés  incapables de mener une guerre, qui plus est, en plein mois de Ramadan. Nonobstant le degré très élevé de conviction de leur invincibilité, il y a des discordances de vues au sommet de l’Etat sioniste  (gouvernement Golda Meir et Etat-major de l’armée) et entre les divers services de renseignement (Mossad, Aman…). Les stratégies à adopter fluctuent avec le temps et le statu quo s’installe.
Le 25 septembre 1973, le roi Hussein de Jordanie, transporté secrètement  dans un hélicoptère, est reçu à Tel-Aviv par le chef du gouvernement israélien, Golda Meir. Le souverain hachémite prévient la direction sioniste de l’imminence[3] de l’attaque égypto-syrienne d’octobre. Cependant Golda Meir ne tient absolument pas compte de cet avertissement, enfermée dans l’idée que les Arabes n’oseraient pas attaquer Israël après leur défaite humiliante de 1967. Les exercices militaires se multiplient aussi bien du côté égyptien que du côté syrien sans soulever des questionnements du côté israélien, d’autant plus convaincu qu’une offensive sans l’armement soviétique  n’était pas envisageable.

Grâce à l’intervention opportune du président Houari Boumediene[4] , les Soviétiques vont pouvoir livrer l’armement nécessaire à l’Égypte. Il faut rappeler la participation de l’Algérie contingent algérien pendant la guerre des Six jours de 1967.

Houari Boumediene, président Algérien(1965-1978à

Selon les propos du général Khaled Nezzar, sur les lieux en 1967 avec d’autres officiers supérieurs dont Ahmed Gaid Salah, le contingent algérien n’a pas pu déployer toutes ses potentialités en raison de blocages des autorités militaires égyptiennes. Les troupes algériennes restent sur les lieux jusqu’en 1969, et seront impliquées en partie dans la guerre d’usure.

Par Mohamed Taleb

Auteur de  «Palestine : le plus grand hold-up du XXème siècle ». Éditions APIC 2019.

[1] – Voir link : La Guerre d’Octobre 1973 – André Versaille (andreversaille.com)

[2] – Voir link : Guerre du Kippour (guerre d’Octobre ou guerre israélo-arabe de 1973) (timenote.info)

[3] – Voir link : Occasions perdues au Proche-Orient, par Dominique Vidal (Le Monde diplomatique, mai 1997) (monde-diplomatique.fr)

[4] – Voir link : La démarche du président Boumediene (lemonde.fr)

Voir aussi (à la minute 15): ALGERIE – La guerre du Kippour (la 8emeB.B) – YouTube

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