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Le cinquantenaire de la Guerre du Ramadan 6-23 octobre 1973

Par: Mohamed Taleb

La lourde défaite arabe à l’issue de la Guerre des Six jours de 1967 a conféré à l’entité sioniste une position de supériorité tous azimuts. Les territoires conquis, près de 70.000 km² entre Sinaï, plateau du Golan et Palestine historique, s’ajoutent aux 21.000 km² déjà en possession de l’entité sioniste,  dont une première partie (54%) a été  illégalement octroyée par les Nations Unies lors du partage de la Palestine historique en 1947. L’entité sioniste occupe désormais toute la Palestine historique et affiche sa supériorité militaire dans la construction d’une gigantesque ligne de défensesur la rive orientale du Sinaï, la ligne Bar Lev sur 200 km,  avec un coût de réalisation de 500 millions de dollars, , sous les yeux incrédules des Égyptiens.

Le président égyptien Djamal Abdel Nasser, soucieux de raviver la volonté de résistance arabe et de maintien des principes du Sommet de Khartoum de septembre 1967 (les trois « non »), entreprend une série d’opérations à partir de 1968 en direction de la ligne Bar Lev.

Les incursions égyptiennes et les réponses  immédiates et ponctuelles de l’armée israélienne (Tsahal) donnent lieu à une guerre larvée, la « Guerre d’usure » qui va durer jusqu’à la mort du président Nasser.

La direction de l’OLP, encore sous tutelle des pays arabes,  est en conflit avec les positions égyptienne et jordanienneconcernant l’application de  la résolution 242 (1967) du Conseil de Sécurité. Les résistants palestiniens et les dirigeants de l’OLP présents en Jordanie sont contraints à quitter le pays après la tragédie de Septembre noir de 1970 et à s’installer au Liban.  La question palestinienne est pratiquement ignorée sur la scène internationale.

Les États-Unis, sous la présidence de Richard Nixon, engagés dans une guerre au Vietnam qui ne voit pas sa fin, prennent un tant soit peu en charge le conflit entre Égyptiens et Israéliens et proposent, par la voie du Secrétaire d’État William Rogers, un plan de paix en décembre 1969.  Le plan prévoyait la restitution des territoires occupés en 1967, l’établissement d’une zone démilitarisée et la réunification de la ville de Jérusalem sous une administration conjointe israélo-jordanienne. Une deuxième mouture du plan de paix, en juin 1970, est acceptée par le président Nasser. Les sionistes ont refusé toutes les propositions.

Le président Nasser meurt à la suite d’une crise cardiaque le 28 septembre 1970. Sa succession au sommet de l’État est assurée par Anouar Sadate, un personnage qui passait pour être un homme de transition, ne possédant pas le charisme de son prédécesseur et peu consistant comme homme politique.
La surprise vint après peu de temps passé  à la tête de l’État. Une véritable purge est opérée au sein de l’armée à travers l’éloignement systématique des pronassériens. L’éradication par phase intermédiaires de la politique socialiste nassérienne– entamée déjà avec la nationalisation du Canal de Suez en 1956 – évolue parallèlement à l’élimination de l’ancrage aux principes de la laïcité.

Le président Sadate s’engage dans une politique économique libérale (Infitah : ouverture au libéralisme) et dans une nouvelle entente avec la mouvance des Frères musulmans dont une grande partie, autrefois traqués par la politique nassérienne et poussés à l’exil vers les monarchies arabes, en les autorisant à réintégrer le pays. Sadate se libère des choix politiques assumés par Nasser lors de la Conférence de Khartoum de 1967 en proposant un cessez-le-feu à Israël (Initiative[1] de paix du 4 février 1971) qui sera aussitôt rejeté par ce dernier.

Le patronage américain, sur demande de Sadate,  refait surface avec une troisième version du Plan Rogers et sera de nouveau rejetée par les sionistes.

Aux yeux de Sadate, la solution militaire s’impose pour la récupération des territoires occupés par Israël.

L’expulsion au cours de l’été 1972 de militaires et d’experts soviétiques (entre 12.000 et 15.000) ne provoque pas de rupture de relations avec l’Union soviétique qui,  face au rapprochement significatif  de l’Égypte vers les USA, va consentir à la livraison d’armes et d’équipements militaires. Le rôle assumé à cet effet par l’Algérie et par son président Houari Boumediene  a été déterminant et d’une importance capitale.

Déplacements de troupes le long du Canal de Suez, exercices militaires  et prises de positions de Sadate ne font nullement inquiéter les Israéliens d’autant plus convaincus que les Arabes, porteurs d’une carence innée, ne sont point en mesure de mener une guerre,  qui plus est, en plein mois de Ramadan. Le roi  jordanien Hussein en personne, se déplace secrètement à Tel Aviv, le 25 septembre 1973,  pour faire part aux dirigeants israéliens d’une attaque imminente égypto-syrienne. Golda Meir, Premier ministre sioniste, du haut de sa conviction sur l’incapacité des Arabes,  ignore l’avertissement du monarque.

Le  5 octobre 1973, le chef du Mossad à Londres, ZviZamir, envoie tard la nuit un message à Tel Aviv dont la teneur est d’une importance hors mesure : une attaque contre Israël est programmée pour le 6 octobre (le lendemain) à 18 heures.

[1] – Voir Link : La Guerre d’Octobre 1973 – André Versaille (andreversaille.com)

ZviZamir venait d’être informé par le gendre du président Nasser, Ashraf  Marwan[1], nommé « l’Ange » et considéré comme le plus grand (double) espion de tous les temps.

Incrédulité totale et déroute au sein de la direction sioniste composée de Moshe Dayan (défense), David Elazar (État-major) , Eli Zeira (services), ZviZamir (Mossad) ainsi que IgalAllon et Galili (ministres),  se font sentir lors d’une réunion d’urgence convoquée à huit heures du matin du 6 octobre, quoique certains parmi eux demeurent toujours avec le doute d’une attaque arabe malgré toutes les mises en garde et signes précurseurs (fermeture de l’espace aérien égyptien, départ d’experts russes avec leur famille, rupture du jeune pour les soldats égyptiens…).

La deuxième surprise est encore plus grande car l’attaque débute à 14 :00 heures et non à 18 :00 heures. Mille chars sont déployés du coté syrien pendant que l’armée égyptienne traverse le Canal de Suez avec 1500 chars et 60.000 soldats[2]. Le 7 octobre,  la Ligne Bar Lev n’existe plus et le mythe de l’invincibilité d’Israël avec.

Devant cette débâcle, un pont aérien gigantesque  est mis en place immédiatement entre les USA et Israël à même de renverser la situation au profit d’Israël au bout de quelques jours.

Les États arabes, avec en pole position l’Arabie saoudite sous le roi Fayçal, réagissent en utilisant l’arme du pétrole à partir du 16 octobre : le prix du baril est multiplié par 4, la production de pétrole est réduite et un embargo sur les exportations de brut est mis en place envers les États-Unis et les pays soutenant Israël.

Les économies européenne et japonaise, frappées de plein fouet par la crise, marquent le pas devant la crise. Les États-Unis, débarrassés de la concurrence européenne et japonaise, profitent largement de cet étranglement. Le dollar, monnaie de change au niveau mondial et  libéré de sa convertibilité en or, suspendue  après la décision en 1971 du président Richard Nixon, va booster l’économie américaine qui nécessite, à partir de 1973, des apports importants en capitaux  pour combler les déficits engendrés par la guerre du Vietnam et pour permettre à son industrie[3] pétrolière offshore en Mer du Nord et en Alaska de se développer, une industrie qui demande un investissement qui se chiffre en plusieurs milliards de dollars.

[1] – Ashraf Marwan cesse son activité d’espionnage en 1976 et se lance dans les affaires avec succès. Il décède dans des circonstances obscures le 27 juin 2007 à la suite d’une chute du balcon de son appartement à Londres. Ashraf Marwan a eu droit à des funérailles nationales sous la présidence de Hosni Moubarak.

[2]– Voir Link :   La guerre du Kippour – Citron IL

[3]– Voir Éric Laurent: La face cachée du pétrole – Éditions Plon – L’enquête – 2006. Page 144-145

solution diplomatique, assure un soutien à l’Égypte en le pourvoyant en armements via un pont aérien.  Le prolongement du conflit pourrait être désavantageux  pour l’URSS si son issue devait profiter à Israël, ce qui était tout à fait envisageable.  Dans un climat de guerre froide, l’URSS tenait ainsi à maintenir un certain équilibre des forces et appeler ou inviter les Américains à la négociation.

Le Secrétaire d’ÉtatHenry Kissinger, qui avait pendant la Guerre d’usure entravé les plans de paix de son prédécesseur W. Rogers, débarque ainsi à Moscou le 21 octobre pour négocier avec Leonid Brejnev le contenu de ce qui sera la Résolution 338 de l’ONU, votée à l’unanimité le 22 octobre.

Un accord de cessez-le-feu est signé le 23 octobre (Égypte/Israël) et le 24 octobre (Syrie/Israël).

Le bilan de la guerre est très élevé : 12.000 victimes du coté égyptien et 3.000 du côté syrien avec autant de blessés. Les pertes israéliennes s’élevaient à 3.000 victimes et 8.000 blessés.

La guerre a provoqué un séisme au sein de la classe politique israélienne. Le désastre a provoqué démissions et abandons dans les plus hautes sphères  et lerepéragesystématique des responsables de la catastrophe est mis en marche. La Premier ministre Golda Meir démissionne le 11avril 1974. La classe politique travailliste israélienne cède la place à la droite et au parti Likoud, dirigé par Yitzhak Rabin.

Le rôle du président Houari Boumediene a été décisif pour le déclenchement de la guerre. Selon la fille[1]de AnouarSadate, la livraison d’armement moderne de la part des Soviétiques a été négociée personnellement par Boumediene à Moscou.
Le règlement de la facture a été pris en charge par l’Algérie (100 millions de dollars en 1973).

Le 7 octobre 1973, Boumediene décide l’envoi de troupes et de matériel. L’ordre de mouvement est donné le 10 octobre et le départ du contingent a lieu le 12 octobre à partir du site de Teleghma (Wilaya de Mila). Les troupes algériennes sont arrivées le 22 octobre mais  le cessez-le-feu n’étant pas encore effectif (il n’est opérationnel qu’après les premières négociations),  elles se sont trouvées confrontée à l’armée israélienne tout en apportant un soutien aux forces égyptiennes.

Les troupes de l’ANP ont été sur place jusqu’au 8 juin 1975 et  leur soutien logistique et financier a été totalement pris en charge par l’Algérie. Au total l’engagement de l’Algérie a

[1] – Voir Link: La fille de Sadate : «Mon père dormait quand Boumediene payait nos armes» – Algérie Patriotique (algeriepatriotique.com)

été de l’ordre de 200 millions de dollars à l’effort de guerre, au-delà du soutien logistique à ses  propres troupes.

À Alger se tient également un Sommet arabe en novembre 1973 lors duquel sont réitérés le principe de reconnaissance de l’OLP comme seule représentante du peuple palestinien ainsi que ceux inhérents aux résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité.

Le  président Anouar Sadate, qui jouit d’une grande popularité après avoir désintégré le mythe de l’invulnérabilité d’Israël, a contraint ce dernier à la négociation. Sadate poursuit cependant sa politique libérale et inaugure une nouvelle phase de rapprochement vers les États-Uniset de distanciation (soutenu par Henri Kissinger) de la politique de coopération avec l’URSS qu’il juge trop soucieuse de ses propres intérêts et figée dans une dynamique de guerre froide. La rupture du traité d’amitié et de coopération soviéto-égyptien survient en 1976.

Une démarche qui culmine avec la décision unilatérale de Sadate de se rendre en Israël en 1977 et qui sera close par la signature des Accords de Camp David aux États-Unis le 17 septembre 1978 (avec récupération du Sinaï et souveraineté sur le Canal de Suez)  et un accord de paix séparé égypto-israélien en 1979.Sadate sera assassiné le 6 octobre 1981, exactement 8 années après le déclenchement de la Guerre du Ramadan ou Guerre du Kippour.

Le plus grand pays arabe est ainsi écarté de la dynamique de combat et de lutte contre le colonialisme sioniste. La Palestine reste occupée.

Un sommet restreint se tient à Alger en février 1978 où se regroupent certains pays arabes (Algérie, Syrie, Irak…) et mettent en place un « Front de la fermeté » face à Israël.

 

 

 

 

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