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Conflit en Ukraine et Enjeux de puissance (2ème Partie)

Dr. SACI

1/- Les menées occidentales contre la Russie :

Si l’enjeu pour le monde otanien c’est d’affaiblir et d’asservir la Russie, pour cette dernière l’enjeu n’était pas prioritairement d’occuper l’Ukraine comme le prétendent certains spécialistes, mais d’obtenir une forme de garantie de sécurité portant sur le non élargissement de l’Otan à l’Ukraine et l’application des dispositions de l’accord Minsk II de 2015,[1]avec un droit de regard et de veto concernant l’armement de l’Ukraine.

Quand Poutine refuse de voir l’Ukraine devenir une base avancée de l’Otan aux frontières de la Russie, c’est exactement ce que Kennedy avait refusé en 1962, quand Khrouchtchev a voulu installer ses missiles nucléaires à Cuba.[2]

Depuis son arrivée au pouvoir, Poutine n’a cessé d’appeler les pays de l’Otan et à leur tête les Etats-Unis d’éviter certaines manœuvres visant l’encerclement et l’affaiblissement de son pays au risque de recourir à d’autres moyens.

Mais, les occidentaux, croyant que Poutine bluffer, ne l’entendaient que d’une oreille dure et ne cesser de mener des actions provocatrices. La liste de ces menées est longue, mais je vais me limiter à quelques-unes :

– Le non-respect des garanties informelles des Etats-Unis contenues dans les mémorandums des rencontres entre les présidents russes Gorbatchev[3] et Eltsine[4] et leurs homologues américains respectifs Bush et Clinton et responsables étasuniens sur le non-élargissement de l’Otan en direction des pays satellites de l’ex-Urss et précisément vers la Géorgie et l’Ukraine.

– Les avertissements des personnalités américaines et étrangères sur les conséquences d’une extension de l’Otan vers l’Europe de l’Est,[5] que les locataires de la Maison Blanche n’ont pas pris en considération.

– L’élaboration de projets et scenarii par des Think Tanks et groupes de pression proche de la Maison blanche et du Pentagone pour affaiblir militairement et économiquement la Russie ou tout simplement son démantèlement. A titre d’exemple toutes le études faites par les boites d’idées étasuniennes comme la Rand Corporation,[6] l’Atlantic Council et le Council On Foreing Relations[7] sont explicites quant à l’affaiblissement de la Russie via des guerres d’usure ou par procuration et la prise de batteries de sanctions punitives ou tout simplement son démantèlement par ce qu’ils appellent « Decolonizing-russia – A Moral and Strategic Imperative » (Décoloniser la Russie – un impératif moral et stratégique)[8] de la Commission Helsinki des Etats-Unis ou « Managing Russia’s dissolution » (Gérer la dissolution de la Russie)[9] de Jamus Bugajski de la Jamestown Foundation à Washington D.C.

– La signature entre Anthony Blinken et son homologue ukrainien Dmytro Kuleba, le 10 novembre 2021, d’un accord stratégique intitulé « U.S.-Ukraine Charter on Strategic Partnership » (Charte américano-ukrainienne de partenariat stratégique).[10]

Dans son alinéa 3 et sa section 3, cet accord stipule que « les Etats-Unis soutiennent le droit de l’Ukraine de décider de sa propre orientation future en matière de politique étrangère sans ingérence extérieure, y compris en ce qui concerne les aspirations de l’Ukraine à rejoindre l’OTAN. »[11]

Selon l’accord, les Etats-Unis s’engagent également à défendre l’Ukraine contre la Russie, lui fournir armes et assistance, accélérer ses capacités d’interopérabilité avec les forces de l’OTAN via des transferts technologiques et des manœuvres militaires régulières et mettre en place une coopération renforcée dans les domaines du renseignement et de la cybersécurité.[12]

– Les sanctions décrétées par les occidentaux contre des personnes et entités russes suite à l’annexion de la Crimée en 2014 : Ces sanctions ont permis à Moscou de tirer des enseignements et à développer une importante résilience en vue de se préparer à une confrontation sur la durée au monde occidental. Ces sanctions comme celles d’après février 2022 ont été contreproductives et fortement nuisibles aux économies occidentales.

– L’annulation en 2015 par François Hollande de la vente de deux navires porte-hélicoptères Mistral commandés par Moscou en 2011 et payés d’avance, en guise de représailles contre la Russie d’avoir annexée la Crimée en 2014.[13]

– La non-application des dispositions de l’accord de Minsk II de 2015, sous le parrainage de la France et de l’Allemagne : Il s’est avéré plus tard, selon les déclarations des ukrainiens,[14] de François Hollande[15] et d’Angela Merkel,[16] que les deux co-garants, français et allemand, visaient à travers l’accord à gagner du temps pour permettre à l’Ukraine de se renforcer militairement pour une action contre deux régions russophones, le Donbass et la Crimée. 

Le renforcement de l’interopérabilité de l’armée ukrainienne avec celle de l’OTAN, l’intensification de la coopération entre l’Alliance transatlantique et l’Ukraine dans plusieurs domaines d’importance critique[17] et le renforcement des capacités militaires des forces armées ukrainiennes ont fait de Kiev un membre de fait de l’OTAN à toutes fins utiles, sans bénéficier toutefois des dispositions de l’article 5 de la charte de cette organisation sur le droit de légitime défense collective.

C’est dans le cadre de l’interopérabilité que l’Ukraine a été admise en mars 2022 en tant que « participant contributeur » au Centre d’excellence OTAN pour la cyberdéfense en coopération (CCDCOE) par les parrains du comité directeur de ce centre.[18]

Et pour avoir une idée nette sur ce qui se passe actuellement en Ukraine, je reviens à deux déclarations des présidents Biden et Poutine, d’il y a plus de 15 ans :

– Joe Biden,[19] alors sénateur en 1997, avait déclaré : « La seule chose qui peut provoquer une réponse hostile et énergique de la Russie est l’expansion de l’OTAN aux Etats baltes. »[20]

– Poutine avait, lors d’une interview avec le journaliste Christian Malard pour la télévision française France 3, le 7 mai 2005, averti que « S’il devait y avoir une présence militaire de l’Otan en Ukraine, je n’y maintiendrai plus nos technologies de pointe et nos armements sensibles », en ajoutant que « l’Ukraine pourrait avoir des problèmes, je le dis franchement. »[21]

De ce qui précède, Poutine avait la certitude que lui et ses prédécesseurs ont été floués et qu’une action des forces armées ukrainiennes, avec le soutien des pays de l’Otan, allait être menée fin février 2023 contre les régions russophones et la Crimée. Dans ce cadre, le site américain RAIR Foundation USA[22] avait rapporté que l’ancien premier ministre ukrainien, Nikolai Azarov, (du 11 mars 2010 au 27 janvier 2014)[23], avait déclaré qu’une « attaque avait été coordonnée avec les Etats-Unis et devait être lancée le 25 février 2022. »[24] Cette information a été rapportée aussi par le site suisse,[25] LesObservateurs.ch. L’opération militaire spéciale Z lancée par Moscou, le 24 février 2022, a été une action préventive pour contrer toutes velléités.

L’idée de lancer une guerre de grande envergure contre la Russie fin février 2022, comme le souligne l’ancien premier ministre Ukrainien, Nikolai Azarov, était en gestation bien avant cette date.

L’ancien conseiller de Zelenski pour les questions de communications stratégiques dans le domaine de la sécurité nationale et de l’armement[26], Oleksiy Arestovych, avait estimé en 2019, lors d’une interview accordée à la chaîne d’information ukrainienne « Apostrophe.ua », que la probabilité d’une invasion de l’Ukraine par les forces russes était de 99,9 %.[27] Tout en ajoutant que « la période entre 2020-2022 serait la plus critique pour l’inévitable assaut russe contre l’Ukraine. »[28]

Selon lui, le prix à payer par l’Ukraine pour adhérer à l’OTAN serait une guerre à grande échelle où la Russie serait vaincue et défaite.[29]

Ces menées occidentales et ukrainiennes contre la Russie ont été affirmées par plusieurs spécialistes du monde occidental, dont :

– Eric Denece , ancien officier-analyste à la direction de l’Evaluation et de la Documentation Stratégique du Secrétariat Général de la Défense Nationale (SGDN) française et directeur du centre CF2R a déclaré que « Zelensky est responsable de ce qui se passe. Lui et son entourage. II n’a pas respecté les Accords de Minsk pour lesquels il avait été élu. Il est nettement à l’origine du conflit.»[30] Si Zelensky est responsable d’avoir sabordé l’accord de Minsk II de 1975 et d’avoir mis fin aux négociations avec les russes au mois d’avril 2022, c’est qu’il n’a fait que répondre aux injonctions de ceux qui l’ont portés au pouvoir.

– Jeffrey David Sachs, Economiste américain primé, directeur du Susrainable Development Solutions Network de l’ONU ainsi que directeur de l’Institut de la Terre à la Columbia university de New York et membre de l’Académie pontificale des sciences sociales, qui affirme : « Ce que nous font entendre et lire nos médias, c’est de la propagande, ce n’est pas réel. Ce qui s’impose, c’est de négocier, mais Biden bloque les démarches».[31]

Au vu des menées ukro-otaniennes, Poutine a décidé de lancer l’opération militaire spéciale Z, une option difficile mais nécessaire pour tracer les lignes rouges sur le terrain par des moyens militaires et les imposer plus tard. En fin de compte, Poutine n’a fait qu’appliquer deux principes, le premier du stratège militaire, Carl Von Clausewitz, selon lequel « La guerre n’est rien d’autre que la continuation de la politique par d’autres moyens, »[32] et le second de Machiavel qui précise «Une guerre est juste quand elle est nécessaire. »[33]

Donc, si on dit qu’« en faisant le choix d’envahir l’Ukraine, Poutine a fait le choix de défier les Occidentaux. »[34] on comprend qu’à travers cela Poutine entend imposer son pays comme puissance incontestée. Mais si on inverse la balance et on dit « pourquoi l’Otan continue son expansion en direction de l’Europe orientale si la guerre froide a disparu avec l’effondrement de l’URSS »[35], Poutine avait raison de dire que « La Russie n’a jamais perdu la guerre froide… parce que la guerre froide n’est pas finie. »[36]

Ceux sont ces politiques ainsi que d’autres qui ont précipité l’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes. Il s’agissait pour Poutine de protéger les intérêts russes, de défendre la population russophone en Ukraine, de préserver la sphère d’influence régionale et de restaurer une position de puissance perçue comme affaiblie par les occidentaux.

Sauf que, la restauration de cette puissance ne peut se produire spontanément, mais résulte de la combinaison et de l’utilisation appropriée des facteurs et capacités dont dispose la Russie, ainsi que d’une gestion efficace des ressources et des compétences.

Lire aussi: Conflit en Ukraine et Enjeux de puissance ( 1ère Partie)

 

[1] https://eurasiaprospective.net/2022/02/14/la-crise-russo-americaine-un-coup-de-bluff-bilateral-parmentier-france-info/

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_des_missiles_de_Cuba

[3] https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/russia-programs/2017-12-12/nato-expansion-what-gorbachev-heard-western-leaders-early

[4] https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/russia-programs/2021-11-24/nato-expansion-budapest-blow-1994

[5] http://www.politique-actu.com/actualite/otan-penseurs-strategiques-garde-contre-expansion-otan-marc-vandepitte/1818463/

[6] https://www.rand.org/content/dam/rand/pubs/research_reports/RR3000/RR3063/RAND_RR3063.pdf

[7] https://www.ptb.be/les_tats_unis_veulent_ils_r_ellement_venir_en_aide_au_peuple_ukrainien

[8] https://www.csce.gov/international-impact/events/decolonizing-russia

[9] https://thehill.com/opinion/national-security/424511-managing-russias-dissolution/

[10] https://www.state.gov/u-s-ukraine-charter-on-strategic-partnership/

[11] Idem

[12] https://lvsl.fr/ukraine-les-etats-unis-comptent-faire-la-guerre-jusquau-dernier-ukrainien/

[13] https://www.lexpress.fr/monde/europe/la-vente-de-mistral_1572702.html

[14] https://www.aa.com.tr/en/europe/normandy-format-talks-in-berlin-end-without-tangible-results/2499568

[15] https://kyivindependent.com/hollande-there-will-only-be-a-way-out-of-the-conflict-when-russia-fails-on-the-ground/

[16] https://blogs.mediapart.fr/rk34/blog/131222/les-accords-de-minsk-une-supercherie-occidentale

[17] https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_192648.htm

[18] https://securite.developpez.com/actu/331617/L-Ukraine-acceptee-au-centre-de-cyberdefense-de-l-OTAN-apres-le-refus-de-l-ICANN-de-couper-la-Russie-de-l-internet-mondial

[19] https://geopolitique-profonde.com/articles/joe-biden-est-officiellement-senile-lets-go-brandon

[20] https://twitter.com/iDipl0/status/1501003538847223809

[21] https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/poutine-en-2005-l-ukraine-pourrait-avoir-des-problemes-je-le-dis-franchement

[22] https://rairfoundation.com/former-ukrainian-prime-minister-claims-putin-saved-hundreds-of-thousands-of-lives/

[23] https://en.wikipedia.org/wiki/Mykola_Azarov

[24] https://rairfoundation.com/former-ukrainian-prime-minister-claims-putin-saved-hundreds-of-thousands-of-lives/

[25] https://lesobservateurs.ch/2022/03/08/un-ancien-premier-ministre-ukrainien-affirme-que-poutine-a-sauve-des-centaines-de-milliers-de-vies/

[26] https://www.pravda.com.ua/rus/news/2020/12/1/7275526/

[27] https://www.youtube.com/watch?v=DwcwGSFPqIo

[28] https://www.geopolintel.fr/article3249.html

[29] https://intellinews.com/former-ukrainian-presidential-advisor-perfectly-predicted-russian-invasion-in-2019-238183/

[30] https://twitter.com/ambrusfrance/status/1509459638747602944?lang=en

[31] https://www.zeit-fragen.ch/fr/archives/2022/nr-14-28-juni-2022-1/was-wir-in-unseren-medien-hoeren-ist-propaganda-es-ist-nicht-real

[32] https://citation-celebre.leparisien.fr/citations/21937

[33] https://citation-celebre.leparisien.fr/citations/53684

[34] https://www.iris-france.org/167585-vers-une-guerre-hybride-et-totale-la-russie-senferme-dans-une-partie-de-poker-menteur-avec-loccident/

[35] De l’auteur

[36] https://www.modele-lettre-gratuit.com/auteurs/vladimir-poutine/citations/russie-jamais-perdu-guerre-froide…-parce-guerre-froide-finie-30999.html

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