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Hirak : la barbouzerie de Radio M

La semaine écoulée a été riche en évènements. Je fus apostrophé par pas moins de deux figures emblématiques de la confrérie des « Yetnahaw Gaa » (Il faut tous les enlever). J’ai récemment répondu au premier qui n’est autre que le physicien de Rachad, l’homme à la recherche du chat de Schrödinger, l’intellectuel perdu dans l’espace-temps. Quant à l’autre je ne me souviens plus de son nom.

– Vous savez, le type avec une moustache qui passe son temps à discuter avec ses copains dans une radio sur le Net.

– Oui, toujours les mêmes. Une vraie consanguinité intellectuelle, tous des petits clones avec ou sans moustaches d’ailleurs.

– Mais oui, vous le connaissez! Le trotskyste qui est devenu par je ne sais quel miracle ultra-néolibéral et dont la fille passe sur Fr24 en anglais.

– Quelle radio? Radio… Radio M, je pense.

– Que veut dire M?

– Aucune idée. Peut-être M comme Mercenaire ou comme Magouille. Je ne pourrais pas vous dire. L’autre fois, un internaute m’avait même suggéré Radio M***, mais je lui ai dit que je ne lui permettrais jamais de baisser le niveau du débat vers les « lieux d’aisance » même si eux y ont élu domicile.

– Oui, exactement. C’est lui, Ihsane Al Kadi. Pourtant, reconnaissons qu’il a un joli nom, un nom si mignon que je ne devrais pas l’oublier.

Bref, revenons à nos moutons. Euh, pardon, à nos intellectuels. Lors d’une émission sur l’économie algérienne sur Radio M, l’ex-trotskyste moustachu me traita de « barbouze » avec une incroyable animosité. Pourtant, je n’ai rien à voir avec l’économie et je n’ai jamais travaillé à Wall Street ni à la City de Londres. D’ailleurs, à peine si je sais utiliser un guichet automatique.

Ihsène Al Kadi et le concept de « barbouzerie »

Mais au fait, que veut dire « barbouze »?

Selon le Larousse, le mot « barbouze » possède deux sens : soit il s’agit d’une « barbe » (nom féminin), soit il désigne un membre d’une police secrète ou parallèle, ou d’un service d’espionnage (nom masculin). Pour le dictionnaire du CNRTL, il peut aussi s’agir d’une « personne barbue ». Ainsi, la barbouzerie serait un acte commis par un barbouze.

Comme je n’ai pas de barbe (juste une petite moustache comme lui), j’en déduis qu’il insinuait que j’étais en service commandé. Un genre d’agent secret 008 (007 étant déjà pris), à la solde de forces occultes. Tiens donc, le physicien de Rachad m’avait servi la même soupe dans sa jacasserie cyberspatiale. Se seraient-ils concertés? Possible. Parait-il qu’ils sont copain-copain. Le beurre sur le miel, comme dit ma vénérable maman. Le prochain slogan du Hirak? « Mourad–Ihsane, khawa–khawa! » (frère–frère), ou encore mieux, « Radio M–Rachad, Ikhwane- Ikhwane! » (Frères – Frères).

Je dois avouer qu’en faisant mes recherches sur les « ténors du Hirak », j’ai trouvé de nombreuses informations compromettantes en relation avec le financement de Radio M. Je n’ai pas voulu les publier, même après le manque de respect flagrant envers ma personne lors de l’émission avec M. Bouchachi comme invité. Il avait sciemment évité de lui parler de mon livre alors qu’il faisait le buzz et m’a lancé une invitation sous forme de sarcasme.

Mais, maintenant, puisqu’il a décidé d’ouvrir les hostilités, il devient impératif de démontrer, preuves à l’appui, qui de nous deux est un « barbouze ». Moi ou lui?

Le programme EBTICAR-MEDIA

En janvier 2014, Canal France International (CFI) a signé deux contrats importants avec l’Union européenne (UE), d’un montant global de 2,7 millions d’euros.

Une enveloppe de 1,5 millions d’euros (1,2 millions d’euros de l’UE) a été attribuée au premier qui est dédié à l’accompagnement et le développement de médias syriens indépendants, principalement par le biais de formations. Dans le cadre de ce projet, le CFI a aménagé un centre de médias, le Syrian Media Incubator, dans la ville turque de Gaziantep, à 60 km de la frontière syrienne.

Le second contrat, d’une durée de trois ans (2014-2016) est destiné au financement de projets « visant à développer l’information en ligne » dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Doté d’un budget de 1,5 millions d’euros, le programme ciblait neuf pays arabes dont, évidemment, l’Algérie. Cette somme a servi à financer des projets « portés par des médias privés ou associatifs »   ou par « de nouveaux médias d’information en ligne indépendants ».

En avril 2014, le CFI lança le premier appel à propositions dans le cadre de EBTICAR-MEDIA, dont le premier mot est l’acronyme de « E-Booster for Technical and Innovative Contents in the Arab Region ».  Ebticar veut aussi dire « innovation » en arabe.

Il faut savoir que les projets sélectionnés ont obtenu des subventions dont le montant varie entre 20 000 et 80 000 euros.

Les 8 et 9 juillet 2014, le jury d’EBTICAR s’est réuni à Marseille dans le but de sélectionner les projets qui bénéficieront de leur financement.

Onze projets ont été finalement retenus:

  1. New Syrian Voices (Syrie)
  2. Visualizing X (Liban)
  3. Mada Masr Super Desk (Egypte)
  4. Radio M (Algérie)
  5. Inkyfada (Tunisie)
  6. Mashalla News (Liban)
  7. Collective Photo Documentary (Liban)
  8. Tunisie Bondy Blog et Speak out Tunisia (Tunisie)
  9. ARIJ (Jordanie)
  10. Webticar (Tunisie)
  11. Arablog (Trans-Arabe)

On voit bien que le projet « Radio M » est le seul projet algérien accepté en 2014. Et comme les dix autres projets, il a reçu entre 20 000 et 80 000 euros.

Lors des deux jours de sélection à Marseille, les candidats ont participé à des ateliers de formation dans le but de favoriser leur réseautage, activité qui s’est poursuivie par la suite.

En 2015, Nejma Rondeleux, journaliste et coordonnatrice de Radio M à l’époque, explique sur les colonnes du Quotidien d’Oran ce à quoi a servi cette subvention du CFI:

« Grâce à la subvention Ebticar-Media – accordée par Canal France International (CFI) et l’Union européenne pour le développement des médias en ligne dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient – décrochée par Radio M en juillet dernier, à l’issue du premier appel à proposition, la webradio algéroise est en train de s’équiper d’un vrai studio. »

Il faut dire que Mme Rondeleux avait déjà expliqué cela dans une vidéo tournée à Beyrouth en 2014 :

« L’idée avec cette subvention que l’on va obtenir de EBTICAR, c’est d’étendre notre grille de programme, de s’équiper d’un studio en bonne et due forme avec des caméras parce qu’on aimerait faire de la radio filmée, insonorisée, de former aussi des journalistes sur la radio, avoir des techniciens. »

https://www.youtube.com/watch?v=w7CrohkOlEs

Nejma Rondeleux (Beyrouth 2014)

Dans le rapport 2015 de CFI, Soumia Ferkali, animatrice à Radio M, déclare:

« La subvention d’EBTICAR nous a permis de franchir deux étapes importantes : lancer notre propre site et développer notre studio ».

En résumé, Radio M a reçu de CFI un financement qui se situe entre 20 000 et 80 000 euros. D’après l’utilisation déclarée de cette subvention (studio professionnel, formation des journalistes, techniciens, site web), on peut admettre qu’elle est plus proche du maximum que du minimum. Rappelons à cet effet le montant de 60 000 US$ octroyé en 2015 par la NED (National Endowment for Democracy) pour la mise en place de Radio RAJ (Rassemblement Actions Jeunesse), un projet moins ambitieux que celui de Radio M.

Le CFI : au service du Quai d’Orsay

CFI est une filiale du groupe France Médias Monde. Ce groupe réunit France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya. France Médias Monde est donc la société mère de CFI, l’agence française de coopération médias, et l’un des actionnaires de la chaîne francophone généraliste TV5 MONDE.

D’autre part, CFI est financé par le ministère des Affaires étrangères français. Sur son site, on peut lire:

« CFI est un opérateur public majoritairement financé par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, dont la subvention annuelle (inscrite sur le programme budgétaire 209 – Solidarité avec les pays en développement) couvre environ 85% de son budget. Le mandat de CFI s’inscrit donc dans le cadre de la politique française d’aide publique au développement. »

 

Et, au sujet de sa relation avec le Quai d’Orsay :

« Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) confie à CFI la mission de mettre en œuvre sa politique d’appui au développement des médias publics et privés, et plus généralement du secteur audiovisuel dans une perspective tri-média, dans les pays bénéficiaires de l’aide publique au développement. »

Quant à la méthode de travail, elle est explicitée :

« CFI analyse chaque situation nationale, élabore ses projets, les met en œuvre et les évalue en étroite relation avec le réseau diplomatique français et tout particulièrement avec les services de coopération et d’action culturelle. La relation qui unit le ministère à CFI est ainsi basée sur un esprit de partenariat et de confiance, notions clés de notre coopération. Elle est le fruit d’un travail quotidien en termes d’écoute, d’échange d’information et de consultation. »

Dans une rencontre organisée par CFI à Paris en 2016, Romain Nadal, porte-parole du Quai d’Orsay répond de vive voix à la question « Quelles relations entretiennent le CFI et le Quai d’Orsay ? ». Voici la réponse:

« CFI, opérateur de médias qui est chargé de la coopération dans le domaine des médias, est une agence du ministère des Affaires étrangères dont l’objectif est de soutenir les médias, en particulier l’émergence des médias en ligne [] »

Romain Nadal (Paris 2016)

Le conseil d’administration de CFI se compose de trois représentants de France Médias Monde et de quatre représentants de l’État français, dont deux du ministère des Affaires étrangères.

Le PDG de CFI se nomme Thierry Vallat, un diplomate de carrière, arabisant de formation, spécialiste de la région MENA. Il a servi, entre autres, en Arabie saoudite, en Syrie, au Liban, dans les Territoires palestiniens, en Israël et au Maroc. Il a aussi été chef du Département de la formation et sous-directeur de la communication du Quai d’Orsay.

Son équipe est constituée d’un ancien délégué permanent auprès de l’Union européenne pour la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH), d’un ancien conseiller technique de Freedom House, d’une ONGiste, d’anciens diplomates, de spécialistes de la Communication ayant œuvré dans les médias étatiques français, etc.

Pour faire simple, le CFI est un organisme étatique français qui applique la politique du Quai d’Orsay, dictée par le gouvernement français, dans des pays ciblés et l’Algérie en fait partie.

Les partenaires d’EBTICAR-MEDIA

Dans la description du programme EBTICAR-MEDIA datant de 2014, on peut lire qu’il « s’inscrit dans le cadre du programme 4M, journalisme et médias sociaux développé depuis trois ans par CFI dans le monde arabe, en Afrique, dans les Balkans, dans les pays du Caucase et bientôt en Asie du Sud-Est et qui propose des rencontres, des formations, des conseils et des accompagnements à la fois techniques et éditoriaux aux médias en ligne traditionnels ou pure-players ».

À noter que dans la liste des partenaires du programme 4M-CFI, figure l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID).

Partenaires de CFI pour les évènements 4M

Le CFI gère le programme EBTICAR-MEDIA en partenariat avec quatre autres organismes : le portail méditerranéen Babelmed (Italie), les fondations Samir Kassir (SKeyes – Liban) et Anna Lindh (Égypte), avec le support technique de France Expertise Internationale (FEI).

Les partenaires de CFI dans le programme EBTICAR-MEDIA

Pour des raisons de concision, nous n’allons traiter que des deux fondations.

SKeyes est l’acronyme stylisé de « Samir Kassir Eyes » (les yeux de Samir Kassir), du nom du célèbre journaliste libanais assassiné le 2 juin 2005, quelques mois après Rafic Hariri. M. Kassir était connu pour ses positions anti-syriennes et comme un des leaders de la « révolution du Cèdre » (2005). Considérée comme la première révolution colorée ayant eu lieu dans un pays arabe, cette « révolution » avait bénéficié de l’aide active des serbes de CANVAS.

SKeyes est un centre dédié à la « liberté de la presse et de la culture » qui fait partie de la Fondation Samir Kassir. Ce centre a été fondé à Beyrouth en novembre 2007 et, selon ce qui est mentionné sur son site, « le centre se veut l’œil de surveillance des violations de la liberté de la presse et de la culture ; il entend également défendre les droits des journalistes et des intellectuels ainsi que leur liberté d’expression ».

De nombreux documents montrent que SKeyes collabore avec la NED et le NDI (National Democratic Institute) (Voir, par exemple, référence 1, référence 2 ou référence 3). D’autre part, avant d’être directeur exécutif de la fondation Samir Kassir (depuis 2011), M. Ayman Mhanna avait travaillé pour le NDI comme administrateur principal de programme (2007-2011).

La Fondation Anna Lindh (FAL – Fondation euro-méditerranéenne Anna-Lindh pour le dialogue entre les cultures) est un organisme institué par l’Union européenne et dont le siège est établi à Alexandrie (Égypte).

Entre 2008 et 2014, FAL a été présidée par André Azoulay, le conseiller des rois Hassan II et Mohamed VI. C’est Élizabeth Guigou qui lui succéda à partir de 2015. Plusieurs fois ministres, Mme Guigou a également été présidente de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale (France).

De nombreux exemples montrent que la Fondation Anna Lindh collabore avec l’Open Society Foundation (OSF) (Voir, par exemple, référence 1, référence 2 ou référence 3) ou l’Open Society Institute (Fondations Soros) (Voir, par exemple, référence 1 ou référence 2 ) dans le financement d’ONG ou de leurs projets particuliers.

En ce qui concerne l’Algérie, les ONG RAJ et Djazairouna font (ou ont fait) partie du réseau de la Fondation Anna Lindh. Rappelons que ces deux ONG algériennes ont été financées par la NED.

Dans le document relatif à Djazairouna, on peut lire clairement que cette ONG a un partenariat avec Freedom House, un autre organisme américain d’ « exportation » de la démocratie, confirmant ainsi ce que j’ai avancé dans un récent article:

« Ainsi, on constate que M. Dhina ne comprend pas que ces ONG locales peuvent être subventionnées par différents organismes américains, voire même par d’autres entités européennes, en particulier françaises sans oublier les fameux « stiftungs » allemands [] Comme je ne m’en tiens dans mes travaux qu’aux documents officiels publiés par la NED, les montants figurants dans mes écrits ne représentent très certainement que la pointe de l’iceberg. »

D’autre part, Djazairouna ne dissimule pas sa volonté de collaborer avec des organismes étrangers. Dans la rubrique « Main Projects/Activities », on peut lire : « Travailler en partenariat avec les ONG nationales, étrangères et internationales ».

Pour revenir à CFI, il est intéressant de mentionner que ce dernier est membre du Global Forum for Media Development (GFMD), un organisme subventionné par l’OSF et la NED.

Il apparait donc clairement que CFI ainsi que certains de ses partenaires dans le programme EBTICAR-MEDIA sont des organisations bien implantées dans la mouvance « droitsdelhommiste », travaillant de concert avec des experts mondiaux de l’« exportation » de la démocratie, des révolutions colorées et de la « printanisation » de la région MENA.

Petit aperçu de quelques projets retenus

Pour comprendre le but recherché par les financements du CFI, intéressons-nous à quelques projets retenus et à leurs motivations.

Prenons, par exemple, le projet « New Syrian Voices ». Dans sa description, on peut lire:

« La répression des médias imposée dans le contexte autoritaire syrien et le conflit prolongé ont conduit au développement du journalisme citoyen dans le pays, seule possibilité de produire des informations indépendantes sur les villes et villages assiégés. Dans cette situation, New Syrian Voices, le projet présenté par i2mind, DKB Productions et un groupe de citoyens syriens indépendants, vise à capturer la réalité syrienne à travers des reportages de qualité – actuellement disparus dans l’information et le chaos idéologique générés par le régime de Bassar El Assad – alliant précision et innovation afin d’attirer également l’attention des médias internationaux. »

« Répression des médias », « contexte autoritaire syrien », « chaos idéologique généré par le régime de Bassar El Assad », autant d’éléments de langage qui montrent bien l’alignement précis du choix du CFI avec la politique officielle de la France. Celle de François Hollande « Bachar el-Assad doit partir » ou celle d’Emmanuel Macron « Bachar Al-Assad est un criminel, il devra être jugé ». Celle de la destruction de la Syrie sous prétexte de lui apporter la démocratie, celle de Laurent Fabius qui encense les djihadistes de Jabhat Al-Nosra qui « font du bon boulot ». Celle des 500 000 morts et des millions de blessés et de déplacés.

Dans un article publié sur Babelmed au sujet de « New Syrian Voices », les termes utilisés sont encore plus virulents:

« On ne pourra pas dire que l’on ne savait pas : la folie meurtrière de Bachar el-Assad, l’horreur de ses geôles, la torture, les bombardements, les armes chimiques, la destruction de tout un pays et la souffrance de tout un peuple. Non ! On ne pourra pas dire que l’on ne savait pas… »

Une vision unilatérale du conflit syrien qui occulte toutes les horreurs commises par des bras armés et financés par l’Occident, en particulier la France. Une vision scandaleuse du Gouvernement français qui a contribué à la ruine d’un pays millénaire et au malheur de tout un peuple.

On apprend également dans la description que le projet avait été co-élaboré par Oussama Chourbaji, un dissident syrien qui a participé à la création du Conseil National Syrien (CNS).

Un autre exemple de projet retenu par le CFI est ARIJ (Arab Reporters for Investigative Journalism). Dans un communiqué datant de novembre 2020, on apprend que cet organisme panarabe est financé par, entre autres, l’Open Society Foundations et la NED.

Il serait trop fastidieux d’étudier chacun des projets dans le cadre de cette étude. On peut cependant comprendre, à travers les exemples cités, que les projets retenus par le CFI doivent épouser la vision politique de la France qui rejoint, à certains égards, celle des organismes américains bien connus de la « promotion » de la démocratie comme la NED ou l’OSF.

Le CFI et le réseautage des activistes

Nous avons vu que lors de la première rencontre à Marseille, les 8 et 9 juillet 2014, une activité de formation était programmée. Elle s’intitulait « Networking Event Media Neighbourhood ». Cette formation a été assurée par des intervenants provenant de différents horizons : CFI, BBC, ESJ (École supérieure de journalisme de Montpellier), etc.

Du 17 au 19 octobre 2014, le CFI (en collaboration avec SKeyes) organisa une rencontre à Beyrouth qui a réuni plus de 200 personnes acteurs des médias provenant de 9 pays arabes dont l’Algérie. L’évènement a été inauguré à l’Institut français par l’ambassadrice de l’Union européenne, la présidente de la Fondation Samir Kassir, le directeur général du CFI et l’ambassadeur de France au Liban.

Dans le dossier de presse de l’évènement, il est fait allusion à EBTICAR-MEDIA et aux onze projets retenus dont Radio M :

« La première séance de travail collectif EBTICAR-Media se déroulera le 16 octobre et le 17 octobre au matin à Beyrouth. Elle rassemblera les 11 porteurs de projets sélectionnés. Durant la journée du 16 octobre, Développement Sans Frontières (DSF) mènera des entretiens individuels avec chaque porteur de projet afin d’identifier ses besoins en accompagnement ou en formation à la gestion budgétaire ou managériale. Dans la matinée du 17 octobre, Babelmed les formera à l’éditorialisation de contenus ».

Au-delà du côté technique des formations, ce qui attire l’attention, c’est le préambule de ce document où il est question de l’Égypte et de la Syrie:

« Égypte : Depuis les événements de la place Tahrir, on observe une tendance à vouloir encadrer la liberté des médias numériques et de ceux qui l’utilisent. La démocratisation de l’internet est-elle une arme à ne pas laisser entre toutes les mains ?

Syrie : Leur pays est en guerre et ces journalistes et blogueurs se sont organisés pour collecter et diffuser des informations objectives sur le conflit. Mais comment assurer sa sécurité physique dans des environnements hostiles ? »

On y décèle une ingérence manifeste dans les affaires des États-nations et la volonté de vouloir former des cyberactivistes pour matérialiser cette immixtion.

Une autre rencontre EBTICAR-MEDIA a été organisée à Amman (Jordanie) les 27 et 28 janvier 2016.

Dans le document de présentation intitulé «Un atelier pour les lauréats d’IBTICAR», on peut lire :

« Cet unique rendez-vous, rassemblant les lauréats des promotions 2014 et 2015 d’EBTICAR ainsi que ses partenaires (la Fondation Samir Kassir, Babelmed et la Fondation Annh Lindh), a permis à tous d’échanger sur les projets et d’identifier de nouvelles opportunités pour collaborer au sein de la Communauté Ebticar ».

Les 20 et 21 avril 2016, le CFI (Via les Rencontres 4M) organisa à Paris une rencontre ayant pour thème « Médias et société civile : un engagement commun? »

À ce sujet, le rapport 2016 du CFI mentionne que : « les Rencontres 4M de Paris ont aussi permis aux lauréats [EBTICAR-MEDIA] de partager les avancées sur leurs projets respectifs ».

Nejma Rondeleux, la représentante de Radio M, y était présente:

https://www.youtube.com/watch?v=bfIve1rURws

Nejma Rondeleux (Paris 2016)

C’est lors de cet évènement que le porte-parole du quai d’Orsay, Romain Nadal, avait accordé l’interview précédemment citée. Au sujet de sa présence à la rencontre, il précisa :

« Pour moi, porte-parole du ministère et mon équipe qui est présente, en particulier toute l’équipe qui développe la diplomatie numérique, ce qu’on appelle notre pôle web au sein du ministère, est présente pour assister à ces débats et pour y participer [] ».

Après la rencontre de Marseille, en 2014, Nejma Rondeleux résuma bien l’intérêt de ces rencontres:

« C’est très stimulant puisqu’on voit ce qui se fait ailleurs, ça nous donne des idées, on échange, on s’inspire de ce qu’ont fait nos voisins et en même temps on est en lien permanent et c’est ça qui est vraiment formidable ici. C’est d’avoir tous ces acteurs qui viennent de pays de toute la zone du Moyen-Orient et de pouvoir échanger et de pouvoir voir aussi les possibilités. »

On constate donc qu’au-delà du financement de projets minutieusement choisis en fonction de la politique officielle de l’État français, un des buts recherchés par le programme EBTICAR-MEDIA est le réseautage des acteurs qui animent les projets. Pour la plupart d’entre eux, ce sont des activistes, voire des cyberactivistes qui jouent le même rôle que leurs homologues formés par les organismes américains d’« exportation » de la démocratie. Ces derniers avaient été nommés « la ligue arabe du Net » par le journaliste français Pierre Boisselet. Ceux encadrés par le CFI peuvent être aisément baptisés « la ligue arabe des médias en ligne ».

Le CFI et certains médias algériens

EBTICAR-MEDIA n’est pas le seul programme financé par CFI, loin s’en faut. Dans le cadre d’un autre programme appelé « Médialab francophone » lancé en 2018 par CFI, cinq projets ont été choisis. Parmi eux, se trouve « Près de vous » présenté dans la vidéo qui suit par Hamdi Baala:

Hamdi Baala (CFI – Mars 2019)

Hamdi Baala est un journaliste qui a collaboré avec Radio M et la sulfureuse Al Jazira dont le rôle compromettant dans les « printemps » arabe n’est plus à démontrer.

M. Baala s’est illustré à la sortie de mon livre « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien? » par une attaque acharnée contre ma personne car, bien sûr, il n’avait pas lu l’ouvrage. Pas besoin de cela pour un journaliste de Radio M ou d’Al Jazira qui possède une expertise dans les attaques ad personam. Il a interviewé les personnes citées dans mon livre en insistant sur une seule question : « Allez-vous poursuivre l’auteur? ». Il s’est même donné la peine d’écrire un texte abracadabrant intitulé « Ahmed Bensaada est-il financé par les services français? ».

On retrouve ce même journaleux à Paris, les 11 et 12 décembre 2019, invité dans un forum organisé par devinez qui. Le CFI, pardi!

En plein Hirak, il est allé rendre des comptes aux fonctionnaires du Quai d’Orsay et soumettre ses doléances.

Alors, « Hamdi Baala est-il financé par les services français? ». Il n’est pas vraiment difficile de répondre à cette question…

M. Baala illustre admirablement bien l’adage « c’est celui qui dit qui l’est », n’est-ce pas?

On retrouve aussi le CFI comme partenaire d’un débat organisé par l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris le 14 juin 2019 pour discuter « des mutations actuellement en cours en Algérie ». Parmi les invités, il y avait Omar Belhouchet (El Watan), Khaled Drareni (Casbah Tribune) et Lynda Abbou (Maghreb Émergent).

Vous conviendrez qu’il est quand même bizarre que les invités de l’IMA sponsorisés par le CFI soient tous des clones idéologiques concernant le Hirak. Qu’est devenue la liberté d’expression dans « la patrie des Droits de l’Homme »? Et la diversité d’opinions d’où est censée jaillir la lumière?

Avec le CFI, il faudra certainement attendre les calendes grecques. Voltaire aura alors tout le temps pour se retourner plusieurs fois dans sa tombe.

Conclusion

Les informations exposées dans ce travail mènent aux conclusions suivantes :

– Radio M a reçu (entre 2014 et 2016) une subvention qui se situe entre 20 000 et 80 000 euros.

– Selon l’utilisation de ce financement déclarée par les personnes impliquées de Radio M, la somme est probablement plus proche de la valeur maximale que de la valeur minimale.

– Cette subvention a été octroyé par le CFI, un organisme qui a une double appartenance : filiale du groupe France Médias Monde mais financé par le ministère des Affaires étrangères français.

– De par son étroite relation avec le ministère des Affaires étrangères, les projets retenus et financés par le CFI doivent être conformes à la politique dictée par le Quai d’Orsay.
Cela est évident pour les projets relatifs à la Syrie où l’ingérence française pro-rebelle et anti-État-Nation est indiscutable.

– Cette vision partiale et étriquée du conflit syrien est aussi celle du patron de Radio M, Ihsane Al Kadi, comme on peut le constater dans cette vidéo :

Radio M: CPP du 21/12/2016

Cela n’est pas sans nous rappeler un récent et pitoyable article du nouveau directeur d’El Watan (tiens, tiens, tiens…) que même le service de presse de l’OTAN aurait hésité à écrire.

– Ce parti pris français n’est pas uniquement l’apanage de Radio M et d’El Watan, mais aussi celui du Mouvement Rachad. Ce qui veut dire que la solidarité manifestée par Ihsane Al Kadi envers Rachad n’est pas seulement due à un quelconque désir de préserver l’unité du Hirak, mais aussi à une convergence de vue « printaniste ».

– Les projets retenus par le CFI avaient aussi pour but de réseauter les cyberactivistes arabes en suivant le modèle américain. Cela a été rendu possible par l’organisation de plusieurs rencontres où les lauréats arabes ont partagé leurs expériences et échangé leurs idées dans différents domaines dont, très certainement, la « démocratisation » de leur pays respectifs sous la bénédiction de l’Occident.

– À cet effet, le CFI collabore directement ou indirectement avec les plus importants organismes étasuniens d’« exportation » de la démocratie (NED, USAID, OSF).

– La proximité de CFI avec les médias étatiques français (Fr24, RFI, TV5 Monde, etc.) et certains médias algériens alignés sur la politique française explique pourquoi ce sont toujours les mêmes qui sont invités sur les plateaux de l’hexagone. Ainsi, les adeptes de « la phase transitoire » sont omniprésents dans les médias mainstream français alors que ceux qui prônent la « voie constitutionnelle » en sont tout simplement bannis.

– À travers ses financements douteux et ses médias tendancieux, il est clair que la France s’ingère ostensiblement dans les affaires internes de l’Algérie.

Épilogue

Alors M. Ihsane Al Kadi, qui est le barbouze : moi qui ai donné une conférence en Algérie, dans un institut algérien, pour des chercheurs et des universitaires algériens ou vous qui avez reçu des subventions du Quai d’Orsay pour un média on ne peut plus suspect?

Qui est le barbouze : moi qui dénonce l’ingérence étrangère dans le Hirak ou vous qui déroulez le tapis rouge pour ceux-là même qui ont été financés par des officines étrangères?

Qui est le barbouze : moi qui cherche à préserver notre cher pays du chaos et de la destruction comme en Libye ou en Syrie ou vous qui poussez, avec vos émissions orientées et vos déclarations provocatrices, à la confrontation et à la violence?

Alors M. Ihsane Al Kadi, qui d’entre nous est un barbouze? Vous ou moi?

 

 

 

 

 

 

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