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Boukrouh, le nouveau Cassandre qui se dévoile…

Par Ali El Hadj Tahar

Sous la présidence de Bouteflika, Nour-Eddine Boukrouh est nommé ministre dans les gouvernements algériens successifs entre 1999 et 2005. Fidèle à lui-même il n’a jamais craché dans la soupe de Boutef. On ne l’a jamais entendu critiquer Boutef depuis sa sortie du gouvernement en 2005. Boutef est honni par la majorité écrasante des Algériens, sauf par Boukrouh, qui a une dent contre Tebboune. Il ne donne pas un seul petit bon point au président actuel et n’assène même pas une petite chiquenaude au président déchu.

            Ce qui est bien chez Boukrouh, c’est qu’il sous-entend que le FIS a subi une injustice quand il a été interdit, à moins qu’il considère que le Hirak soit aussi maléfique que le FIS, puisqu’il en fait aussi une cible du pouvoir. Il écrit : « A quelques jours du vote l’état de siège a été décrété, le chef du Gouvernement (Hamrouche) renvoyé, et les dirigeants du FIS arrêtés, comme aujourd’hui les figures du « Hirak »».

Selon Boukrouh, qui fait plus de la prose que de l’analyse politique, « le « Hirak » […] arracha la tête du « système » mais laissa le corps intact. » Je le croyais plus intelligent, car une personne intelligente devait expliquer ce que signifie « tête » et ce que signifie « corps » en politique, ou dans un régime, un système ou un pouvoir, puisque Boukrouh comme tous les hirakistes mélange les concepts, qui se valent pour lui comme une tourte vaudrait une pizza ou un mhadjeb.

Selon lui، Tebboune est «un ‎président imposé par l’armée» , occultant le fait que le Chef de l’Etat a bénéficié de 4.947.523 de voix, soit 58,13% du suffrage exprimé, sur les 9 755 340 millions de voix pour les 5 candidats à la présidentielle du 12-12-2019. Boukrouh croit nécessaire de rappeler que la nouvelle mouture de la Constitution a été « rejetée par 80% du corps électoral » mais il ne dit pas ce qu’elle a de bon par rapport à la précédente : apparemment, il accepte les mandats successifs, pour ne prendre que ce point. Il ne dit pas que le président déchu utilisait la Constitution comme une serpillière et y référait uniquement quand cela l’arrangeait.

Il écrit : « Autre ‎différence en défaveur du pouvoir [actuel, ndlr], en 1991 la Constitution bénéficiait d’un plébiscite populaire et ‎le président de la République d’une légitimité incontestable.‎» Boukrouh reste donc fidèle à Bouteflika, dont il tait qu’il a été adoubé par l’armée. Il se tait sur tous les méfaits de Bouteflika mais espère que le gros pavé qu’il a jeté dans la mare éclabousserait Tebboune.

Il écrit : « Tebboune le mal-élu ne ‎cesse de répéter à la volonté populaire que la nouvelle Assemblée verra le jour en juin prochain ‎quel que soit le taux de participation, c’est-à-dire dire avec ou sans votants.‎» Avec ou sans votants ! Dans quel pays vit-il, lui aussi ? Apparemment, il a fait la grasse matinée le 12-12, et c’est pour cela qu’il minimise le nombre de votants, doutant donc des chiffres officiels de la présidentielle, bien qu’il ne doute pas du chiffre donné pour l’amendement de la constitution. Quelle gymnastique font certains cerveaux !

Boukrouh n’a pas une très haute idée du système politique algérien. Il l’écrit : «L’Algérie est certes habituée aux élections trafiquées et aux partis qui naissent majeurs, vaccinés et ‎moustachus un mois avant de les gagner haut la main ». Son PRA était-il au-dessus de la mêlée ? Combien d’Algériens savent qu’il exista un parti de ce nom, et que malgré le fait qu’il n’ait pas le 1/10 000ème des militants et adhérents du FLN, du MSP ou du RND, auquel il fait allusion, il a obtenu des portefeuilles ministériels durant 6 longues années. Boukrouh bénéficie donc aujourd’hui d’une retraite de cette république pour un poste qu’il ne peut certainement pas justifier puisque lié non pas à un savoir particulier mais à sa qualité de chef d’un parti fantoche, comme ceux auxquels il fait allusion.

Puis Boukrouh croit pouvoir analyser la situation en Kabylie : « Si le pouvoir est incapable de comprendre qu’il est en train de détacher en pointillés la Kabylie, qu’il ‎va l’acculer à la sécession à long terme, il faut lui faire un dessin. Je répète donc : l’Algérie sans la ‎Kabylie est apparue clairement à la vue — à moins d’être aveugle — avec la non-participation de cette ‎région à l’élection présidentielle, puis avec l’acceptation par le pouvoir des résultats du référendum ‎sur la Constitution sans elle et, bientôt, avec sa non-participation à l’élection législative. » Selon lui, « Quand ‎viendra l’heure des élections communales et wilayales (départementales) auxquelles elle ne ‎participera vraisemblablement pas, elle aura achevé sa sortie du système institutionnel algérien.‎»

Donc, selon Boukrouh, c’est le pouvoir et non pas d’autres forces qui sont en train de créer des troubles en Kabylie et de l’entraîner sur une piste dangereuse. L’ex président du PRA ne voit-il pas que la montée du MAK et la pression voire, la violence qu’il exerce dans la région, sont dues à la faillite des partis politiques qui ont adopté cette même posture que lui ? Ce n’est pas le pouvoir mais l’absentéisme, le boycott, la fuite en avant des partis politiques, notamment ceux qui sont supposés dominants en Kabylie, qui ont permis le retour du parti dissous et la montée en flèche du mouvement séparatiste. En vérité, ils ne sont dominants ni en Kabylie ni ailleurs : le MAK a trouvé un vide sidéral et il est en train de l’occuper.

Boukrouh, en surfant sur le populisme — qui semble être son vrai niveau, celui d’un intellectuel coupé du peuple — nourrit lui aussi et le mouvement séparatiste et le MAK, puisqu’il ne les cite même pas alors que ses éléments agissent au vu et au su de tout le monde, chaque vendredi autour de la Grande Poste et ailleurs. Par ailleurs, Boukrouh ne voit pas qu’il n’y a pas foule lors des marches du Hirak II que ce soit le vendredi ou durant la manifestation dite « des étudiants ». Ce qu’il appelle, lui aussi, « le peuple » n’est en vérité qu’une nébuleuse de groupuscules minoritaires qui se sont coalisés intuitivement parce qu’ils sont faibles, aussi faibles que l’est le parti et le point de vue de Boukrouh. Un mouvement fort aurait atteint ses objectifs, or le Hirak post-Bouteflika est non seulement non représentatif de la société, mais négligeable numériquement et même incapable de donner un plan détaillé de sortie de la crise.

Le Hirak II ne peut pas revendiquer les 80% des personnes qui n’ont pas voté pour l’amendement de la constitution : le nouveau texte fondamental a beaucoup de points clivants, qui ont empêché plus d’un de voter. Et ces points sont, il faut le dire clairement : l’officialisation de tamazight, et la participation de l’ANP aux opérations militaires à l’étranger, le second point ayant été mal perçu par ceux qui n’ont pas compris ce qu’il visait, une mauvaise presse lui ayant été faite disant que nos soldats allaient intervenir comme supplétifs de l’OTAN ou de la France.

Selon Boukrouh, c’est le pouvoir qui serait responsable de survenue du démon séparatiste de la Kabylie: «Voilà à quel danger le pouvoir est en train d’exposer le pays car la Kabylie, en agissant comme elle ‎le fait, n’a pas été brusquement saisie par le démon du séparatisme. Elle a pris le risque d’être ‎ostracisée par le pouvoir par punition d’être restée fidèle au « Hirak » dont elle a été partie ‎prenante depuis son déclenchement.‎» Un point d’ordre: c’est Kherrata et Khenchela et non pas la Kabylie qui ont été parties prenantes du Hirak depuis son déclenchement ! Rendre à César ce qui lui appartient. Les citoyens de Kherrata et Khenchela se revendiquent eux aussi de la berbérité, un mot que Boukrouh n’a pas glissé dans son texte, alors qu’il parle d’une région qui se veut leader dans la revendication berbériste et dont il veut en faire une victime qui glisse malgré elle dans le séparatisme.

Boukrouh ne semble pas connaître la Kabylie et son attachement à l’Algérie. Son article et son jugement doivent avoir été inspirés par les commentaires sur les réseaux sociaux. Certes, les activistes de ce mouvement sont tellement actifs sur les réseaux sociaux, aidés par des éléments étrangers, qu’ils surdimensionnent la revendication extrémiste de Ferhat Mhenni, à laquelle Boukrouh donne des proportions gigantesques.

‎            Le chef du PRA pense que la Kabylie est sur la pente du séparatisme. D’abord, il faut des statistiques pour parler ainsi, surtout si on se considère comme personnalité politique. Ce langage de café du commerce trouve malheureusement preneur, et contrairement à ce que pense son auteur, il renforce le sentiment d’injustice et, partant, les opinions extrémistes et séparatistes, comme en attestent les commentaires sous son texte sponsorisé. La Kabylie est une région parmi les plus privilégiées d’Algérie, cela n’échappe à personne, dans la wilaya ou ailleurs. Les conditions socio-économiques sont beaucoup y plus favorables que dans d’autres régions, sauf à être ingrat ou de mauvaise foi, ce qui ne peut être le cas de la majorité écrasante des habitants de cette région dont la patience est connue et qui finiront par crier fort leur ras-le-bol vis-à-vis des groupuscules qui veulent changer l’identité et les spécificités locales au profit d’un modèle importé éloigné comme le ciel de la terre des valeurs régionales et nationales.

L’attachement de la Kabylie à l’Algérie ne peut pas être remis en question par quelque injustice que ce soit, si tant est que ce pouvoir soit ostracisant. Donc les scénarii Hitchcockiens de Boukrouh ne valent pas le sou comme analyse sociologique ou politique. Le sang des martyrs de Kabylie a irrigué cette terre appelée Algérie. De plus, l’islam est perché sur les plus hauts sommets du Djurdjura et d’ailleurs pour qu’une poignée de zélés puisse utiliser une histoire falsifiée pour le remettre en question ou l’arracher à ses racines kabyles.

Le MAK a pris une partie de la Kabylie en otage, cela ne fait nul doute. Mais si le mouvement séparatiste était puissant il aurait laissé joué la carte démocratique. Il aurait laissé les citoyens voter, au lieu de fermer les mairies, de barricader ou de murer les daïras. La menace et la violence sont les armes des faibles. Or Boukrouh fait endosser la responsabilité de l’abstentionnisme et du boycott de la Kabylie au pouvoir et non pas à des séparatistes encouragés par les partis politiques qui ont défilé avec eux, sans entrevoir les risques de cette attitude qui ne pouvait que valoriser le MAK puisqu’il n’était plus perçu comme un ennemi à combattre mais comme un partenaire normal, toléré par tous les partis, qui ont également adoubé le parti dissous.

Boukrouh écrit : « Ce que le MAK n’a pas pu obtenir, Tebboune veut le lui offrir gracieusement, lui permettant de ‎récolter infiniment plus qu’il n’a semé. » Boukrouh ne se rend pas compte qu’il fait partie lui-même de ce « large champ de manœuvres » qui « s’ouvrira devant les parties ‎étrangères intéressées par la dissociation de la Kabylie de l’Algérie. » Son analyse est non seulement fausse mais dangereuse.

Boukrouh va, lui aussi, dans le sens rassembleur du Hirak post-Bouteflika, pareillement à Addi et d’autres leaders autoproclamés qui acceptent de défiler main dans la main avec le MAK et les anciens tueurs du parti dissous. Il refuse l’ostracisme en direction des wahhabites et des séparatistes mais ne cache pas son opposition résolue au pouvoir. « Le « Hirak » a aboli dès le premier jour les clivages ethniques et politiques entre Algériens et ‎montré de manière éclatante leur désir de vivre ensemble, leur unité et leur aspiration à une ‎Algérie moderne, démocratique et sociale », dit-il. On ne sait pas où Boukrouh a trouvé le qualificatif « social » dans les banderoles du Hirak post-Bouteflika, dont les références et les revendications libérales voire, néo-libérales sont flagrantes dans la composante même de l’écrasante majorité de ses leaders auto-proclamés.

Boukrouh n’a même pas réussi à créer un parti qui survit à son départ en dépit de toutes les subventions étatiques qu’il a reçues. Pourtant il ose annoncer qu’une grave « crise socio-économique à venir » ferait trembler l’Algérie « sur ses fondements dans les ‎prochaines années pour cause d’effondrement économique et de cessation de paiement » ! Pas moins que ça.

Arrêtons donc de disséquer ce cadavre d’article qui pue l’ignorance mais aussi la mauvaise foi de ce nouveau Cassandre qui prédit l’apocalypse pour son pays. A aucun moment Boukrouh ne fait le procès de Bouteflika : il rejette tout sur un président en poste depuis seulement quelques mois. Comme il se revendique de l’islam, rappelons-lui ce verset qui met en garde contre le fait d’accuser ou même de douter sans preuves : « Ô vous qui avez cru ! Évitez de trop conjecturer [sur autrui] car une partie des conjectures est péché. » (Aya n°12 de Sourate Al-Houjourat). (يا أيّها الذين آمنوا اجتنبوا كثيرًا مِنَ الظنّ إنّ بعضَ الظنّ إثم)

الحُجُرات 12.

Boukrouh adhère aux thèses du PAD et des leaders autoproclamés du Hirak, en revendiquant un pouvoir de transition dont il n’ébauche même pas deux ou trois paragraphes pour dire en quoi il serait différent de la ligne adoptée par la Tunisie sous la troïka, la Libye ou le Soudan.

A.E.T.

 

 

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