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Le prurit de l’impérialisme démange tous les États capitalistes 

Par Khider Mesloub

Le conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine avait offert une occasion inespérée aux gauchistes et aux tiers-mondistes de toutes obédiences politiques pour fustiger « l’impérialisme américain », désigné comme le principal responsable de l’escalade guerrière. Fauteur de guerres. Voire l’unique coupable de toutes les guerres. 

L’actuelle guerre impérialiste exterminatrice menée par Israël contre le peuple palestinien leur offre un second souffle pour remobiliser leurs troupes dans plusieurs capitales du monde afin de conspuer l’impérialisme israélien. 

Or, contrairement à l’opinion gauchiste dominante communément répandue, notamment dans les pays du Tiers-Monde, les États-Unis, tout comme Israël, ne détiennent pas le monopole de l’impérialisme. 

Depuis plus d’un siècle, l’impérialisme constitue le fonctionnement normatif de tout État intégré dans la mondialisation dominée par des tensions commerciales et géopolitiques permanentes, vectrices de conflits armés récurrents. La politique d’affrontement chronique, devenue la modalité de gouvernance de la majorité des États inscrits dans des enjeux géopolitiques impérialistes marqués par des rivalités commerciales mondiales, et jeux diplomatiques opportunistes et retournements d’alliance surprise, débouche inexorablement et fréquemment vers la guerre ouverte et l’adoption du militarisme comme régulateur économique et social. 

Globalement, l’impérialisme peut être défini comme la politique d’un pays œuvrant à la conservation ou à l’extension de sa puissance économique et militaire sur d’autres pays ou territoires convoités pour leurs richesses ou leurs emplacements hautement stratégiques. De ce point de vue général, l’impérialisme fut l’apanage de nombreux anciens empires (romain, ottoman), fondés sur une politique de conquête et de domination constante. 

Néanmoins, dans le mode de production capitaliste, l’impérialisme revêt un caractère singulier. Comme l’a écrit Rosa Luxembourg : « la tendance du capitalisme aux expansions constitue l’élément le plus important, le trait remarquable de l’évolution moderne. En fait l’expansion accompagne toute la carrière historique du capital, elle a pris dans sa phase finale actuelle, l’impérialisme, une énergie si impétueuse qu’elle met en question toute l’existence civilisée de l’humanité ». 

Cette définition permet de comprendre la spécificité de l’impérialisme contemporain ancré dans un capitalisme mondialisé miné par la crise économique systémique et déchiré par la lutte de classe permanente, engendrant des tensions commerciales incessantes et des conflits militaires récurrents, transformant continuellement la planète en fronts de guerre et champs de ruines.

Depuis l’unification du marché mondial départagé en zones d’influence entre les États capitalistes avancés et émergents rivaux, au début du 20e siècle, l’exacerbation de la concurrence entre ces États, suscitée par la crise permanente de surproduction structurelle, conduit implacablement à l’aggravation des tensions militaires, au développement du militarisme matérialisé par l’augmentation exponentielle des armements, et à la subordination de l’ensemble de la vie sociale aux impératifs de l’économie de guerre. Et, en dernier ressort, à la guerre généralisée et permanente.

De la même manière que les capitalistes individuels s’activent à valoriser et augmenter sans cesse leur capital dans la compétition économique, les États nationaux œuvrent constamment à étendre leur puissance par la compétition militaire et la guerre.

L’impérialisme ne porte plus sur les colonies. C’est dorénavant un système total dans lequel aucun État capitaliste ne peut survivre sans essayer de s’étendre aux dépens des autres, un système dont la logique est la militarisation systémique et la guerre totale.

Jusqu’à présent, l’idéologie gauchiste qualifie d’impérialiste un État ou un ensemble d’États, du fait de leur puissance économique et militaire, et de leurs entreprises interventionnistes, expansionnistes aventureuses. Curieusement il s’agit toujours d’un État occidental ou du bloc atlantiste, désigné systématiquement d’unique responsable de la barbarie guerrière perpétrée dans le monde. Or, sous le capital impérialiste, certes les États ne disposent pas de la même puissance économique et militaire. Mais tous les États, quels que soient leur poids économique et leur place sur l’échiquier géopolitique, sont éperonnés par la même politique impérialiste, la même appétence d’hégémonie et de domination. Aiguillonnés par le même esprit de prédation, de conquête de nouveaux marchés afin de parvenir à valoriser le capital de sa clique nationale mondialisée. Les alliés capitalistes mondialisés sont à la fois associés cordiaux et concurrents coriaces.  Pour s’affronter, ils trouvent plus avantageux de se regrouper en alliances ou blocs continentaux. L’Alliance Atlantique États-Unis-OTAN ou Alliance Pacifique (USA-Japon-Australie-Taiwan-Corée) contre l’Alliance Asiatique Chine-Russie-Iran-OCS (l’Organisation de coopération de Shanghai), ou contre les BRICS. 

Une fois admise cette réalité politique inhérente à l’époque de l’impérialisme contemporain, dominée par les tensions commerciales et les rivalités géopolitiques, la distinction établie entre États oppresseurs et États opprimés devient inadéquate, irrecevable, inacceptable. Car, dans l’arène mondiale bouleversée par des rapports de force de domination, tous les États sont à la fois en collaboration (commerce-échange) et en concurrence commerciales et rivalités géopolitiques. Par ailleurs, chaque État s’inscrit dans les enjeux d’alliance diplomatiques et militaires, s’agrège à un bloc impérialiste. À l’ère de l’impérialisme, la neutralité est une duplicité.  

Aussi, faut-il dénoncer la distinction établie par les gauchistes et par les nationalistes chauvins bourgeois entre pays agresseur et pays agressé car elle sert à justifier la guerre « défensive ». Au reste, l’incrimination du seul impérialisme supposément agressif, allégué par la propagande adverse, légitime l’enrégimentement de la population et du prolétariat dans la guerre nationale chauvine réactionnaire. 

Quoi qu’il en soit, depuis un siècle, le militarisme et l’impérialisme constituent le mode de fonctionnement systématique du capitalisme ordinaire. À l’ère de l’impérialisme triomphant, tous les États sont fondés sur une économie de guerre. Et, ces dernières décennies, sur le militarisme « démocratique » bourgeois. Plus que jamais, l’économie – les rapports de production bourgeois – sont au service de la guerre comme moyen de se disputer l’accès aux ressources et d’aliéner les moyens de production et les forces productives afin d’assurer la valorisation du capital au profit d’un bloc impérialiste ou d’un autre. Et la scandaleuse flambée des dépenses militaires en pleine crise économique, crise sanitaire «pandémique» et guerre ukrainienne, vient rappeler que le capitalisme est un mode de production décadent. Au moment où tous les budgets sociaux sont déclarés en mort cérébrale, le budget de la mort militaire connaît une résurrection extraordinaire, affiche une santé financière indécente. Depuis le début de notre siècle, c’est-à-dire en vingt ans, les dépenses militaires dans tous les pays ont doublé, illustration de la militarisation des États.

Avec l’aggravation de la crise économique mondiale et la dissolution de la discipline diplomatique interétatique, chaque pays capitaliste est en proie au prurit impérialiste, qui l’accule à gratter quelques kilomètres carrés du territoire de son voisin, piller ses richesses. 

Poutine avait ouvert le bal impérialiste en s’emparant de la partie la plus riche du territoire ukrainien. Depuis lors, plusieurs États lui ont emboîté le pas. Israël a déclenché une guerre d’extermination contre les Palestiniens pour annexer leur territoire, Gaza, afin de s’emparer de ses gisements gazier et pétrolier. Plusieurs autres États capitalistes s’apprêtent à envahir les territoires du pays voisin. Le Venezuela veut faire main basse sur le pétrole du voisin, le Guyana. La Serbie s’apprête à s’emparer du nord du territoire des Balkans à majorité albanaise.

En Argentine, le nouveau président populiste Javier Milei s’est engagé à « récupérer » les îles Malouines, territoire britannique baignant au large des côtes du pays. Milei a martelé que la chose était « non négociable ». Il a promis de ramener les îles Malouines dans le giron argentin, une déclaration belliciste qui ranime le spectre de la guerre qui a eu lieu en 1982 entre le Royaume-Uni et l’Argentine. 

Le Maroc veut accélérer et achever sa politique impérialiste d’annexion définitive du Sahara occidental. Sans oublier que le régime monarchique marocain lorgne toujours le Sud algérien (Tindouf, Bechar).

Selon les données de l’ONU, la carte des territoires disputés disponible ne cesse de s’élargir. Actuellement, 126 des 197 États reconnus par l’ONU ont au moins un différend frontalier, soit 65 % des États à l’échelle internationale.

Aussi, avec le relâchement de la discipline diplomatique et le développement du « chacun pour soi national », la majorité des pays pourrait se lancer dans des conflits frontaliers sanglants, des guerres de conquête génocidaires. 

1) Prurit : démangeaisons, sensation irritante désagréable qui donne envie de se gratter et qui peut concerner n’importe quelle partie du corps. Au sens figuré, le prurit impérialiste renvoie à cette compulsion de tout État capitaliste à « gratter » les territoires des pays voisins ou ceux d’une puissance rivale lointaine.

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