Dans une interview accordée à Algérie54, le journaliste et auteur Jacob Cohen évoque le guerre israélo-arabe de six jours de 1967, la main basse de Tel-Aviv sur les EAU via un accord économique, les crimes de l’entité sioniste en Palestine Occupée , soutenus par le mutisme de la Communauté internationale. L’auteur du » Printemps des Sayanims » ne manque pas de mettre la lumière sur l’influence grandissante sur le régime du Makhzen et des décisions en France. Jacob Cohen souligna que la Russie a gagné sa guerre et les déclarations d’Henry Kissinger sont venues pour limiter les dégâts via des concessions territoriales.
Algérie54:Demain 5 juin 2022, on commémorera le 55ème anniversaire de la guerre du 5 juin 1967. Quelle lecture faites-vous sur cet anniversaire, coïncidant avec une volonté de certains pays arabes d’intégrer les accords d’Abraham au détriment de la cause sacrée de la Palestine ?
Jacob Cohen: On est malheureusement obligés d’admettre que le régime sioniste, qui avait préparé cette guerre de longue date et profité d’une conjoncture diplomatique qui le mettait dans une position défensive, est arrivé à ses fins, en particulier la conquête du Golan, d’Al-Qods et de la Cisjordanie. La conquête du Sinaï lui a permis, en le restituant à l’Egypte, de sortir le principal pays arabe du conflit global. Et il ne faut pas se faire d’illusions. Le régime sioniste ne rendra jamais les territoires conquis. Les grands Etats de la communauté internationale s’en accommodent. Il ne faut surtout pas faire confiance à leurs belles déclarations. Tout au plus, Israël pourra attribuer un tiers de la Cisjordanie pour y établir une espèce de protectorat qu’on appellerait Palestine, entièrement sous son contrôle. Et encore, s’il le veut bien. Et le dernier clou sur le cercueil de la Palestine vient d’être enfoncé par les pays arabes qui ont signé la « paix » avec le régime sioniste, entérinant ainsi le statu quo. Je ne vois pas ce qui, à court ou moins terme, pourra faire bouger les lignes. La seule possibilité pour sortir de l’impasse, c’est de dénoncer les accords d’Oslo, et remettre le régime sioniste dans son rôle de total occupant, mais la Nomenklatura palestinienne installée à Ramallah et gavée de subsides, ne le fera pas.
Algérie54:Les EAU viennent de signer un accord économique de libre-échange avec Tel-Aviv, que sera l’impact de cet accord, sur la région, selon vous ?
Jacob Cohen: Vu la disproportion des forces en termes technologiques et la configuration des marchés israélien et arabe, semblable à celui des pays développés vs les pays riches en matières premières, l’impact de cet accord de libre-échange signifie une espèce de mainmise ou de contrôle du partenaire qui en a les moyens. Tant sur le plan technologique que militaire, la domination israélienne va s’imposer. Prenons le tourisme et le rapport de type colonial que l’on connaît dans les pays qui en dépendent. Ce sont des centaines de milliers d’Israéliens qui vont aller se prélasser en apportant leurs devises dans les pays qui n’ont que le soleil et les plages à offrir. On imagine mal le circuit inverse. Plus sérieusement, le libre-échange entre Israël et les EAU c’est l’entrée du loup dans la bergerie avec la bénédiction des brebis et de leurs bergers. Et on peut craindre que cet accord bilatéral ne soit le prélude à son élargissement à d’autres États arabes.
Algérie54: L’armée de l’occupation israélienne vient de commettre un nouvel assassinat, en la personne Ghofran Ourasna, ancienne détenue, quelques jours après l’ignoble exécution de Shirin Abou Akleh. Ce qui confirme l’impunité dont bénéficie le régime d’Apartheid. Quels sont selon vous, les moyens appropriés pour cesser les exactions du Tsahal et les colons qui viennent de récidiver à l’occasion de ce qui est appelé » manifestation des drapeaux » ?
Jacob Cohen: Depuis un mois environ, l’armée d’occupation sioniste se livre à des exactions qu’on pourrait qualifier de meurtres. On n’est pas loin d’une action type OAS menée par une armée régulière. Il y a une raison à cela. Six prisonniers palestiniens avaient réussi une évasion spectaculaire d’une prison de haute sécurité. Ils ont été repris mais leur action a marqué les esprits. Puis ont suivi quatre ou cinq attentats individuels qui ont fait près de vingt morts et des dizaines de blessés semant la panique dans les villes israéliennes dont Tel Aviv. C’était un affront insupportable car il montrait la fragilité de la domination israélienne. Depuis l’armée sioniste pénètre dans les localités palestiniennes, en particulier Jénine, provoquant des heurts et l’assassinat quotidien de jeunes palestiniens. Le meurtre quasiment délibéré de deux journalistes palestiniennes est un avertissement à la résistance palestinienne et un message « rassurant » à la population israélienne. Le régime sioniste tente ainsi de terroriser les Palestiniens pour les dissuader de mener ces actions individuelles totalement imprévisibles et déstabilisantes. Les moyens de faire cesser ces actions, ou au moins de les limiter et de les sanctionner sont hélas limités, car les médias en Occident, les seuls qui peuvent avoir une certaine influence sur Israël sont, soit largement contrôlés par des « sayanim » ou juifs sionistes collaborant avec le Mossad, soit suffisamment formatés pour se sentir proches des Israéliens avec quelques ressentiments anti arabes. Je reste personnellement persuadé que les divers fronts de résistance arabes n’ont pas su mener des actions collectives, bien ciblées et à long terme auprès de l’opinion publique occidentale, la seule qui compte.
Algérie54:Le journaliste Georges Malbrunot vient de révéler dans un post sur son compte, des tensions entre les services de renseignements marocains et leurs homologues français à cause du Mossad. Qu’en pensez-vous de cette affaire qui intervient quelques mois après Pegasus ?
Jacob Cohen: La compréhension, pour ne pas dire la complicité, entre la monarchie marocaine et le Mossad remonte à l’intronisation de Hassan II en 1961. Le service secret israélien a dû lui rendre bien des services, et le monarque a tout fait pour légitimer le régime sioniste et désamorcer toutes les actions qui auraient pu être menées contre lui. C’est presque une histoire d’amour couronnée par la présence au plus haut sommet de l’État chérifien d’un « sayan » ou agent du Mossad, André Azoulay, conseiller des monarques marocains depuis 40 ans. La récente « normalisation » entre le Maroc et Israël a largement dépassé le stade des relations diplomatiques et commerciales. On a assisté à une véritable alliance stratégico-militaire, avec toute la portée que cela peut avoir, entre les deux pays. Dans la réalité, c’est la puissance israélienne qui définit les objectifs et les moyens d’action. Dans ces conditions, les révélations de George Malbrunot ne sont pas du tout surprenantes. La France a des raisons de s’inquiéter, puisque le Maroc était pour ainsi dire sa chasse gardée. Et puis les renseignements français, qui connaissent suffisamment l’habileté et le cynisme du Mossad, peuvent craindre l’alignement des services secrets marocains sur leurs « alliés » ou leurs nouveaux maîtres israéliens. Non seulement ils pourraient perdre des sources de renseignements fiables, mais ils pourraient voir s’ouvrir un nouveau front antifrançais sur leur territoire. L’affaire du logiciel-espion Pegasus l’a démontré. Cela dit, il y a une certaine hypocrisie, et même de la lâcheté teintée de crainte, des renseignements français, qui semblent s’inquiéter, d’après Malbrunot, du travail de certains juifs marocains en France au service du Mossad, alors qu’il y a près de 4000 sayanim, des juifs bien français, qui travaillent depuis 60 ans pour le Mossad, infiltrés dans les plus hautes sphères françaises, et que j’ai partiellement décrit dans « Le Printemps des Sayanim ». Ces renseignements français n’oseront jamais, jamais, les dénoncer. Vous imaginez le scandale !
Algérie54:L’ambassade d’Israël à Paris vient d’abriter une réunion avec des ambassadeurs africains consacrée au retour de Tel Aviv au continent africain via la nourriture, dans le sillage du conflit ukrainien et ses effets sur la sécurité alimentaire. Le régime d’Apartheid a-t-il des chances de gagner du terrain ?
Jacob Cohen: Après la création d’Israël en 1948, le régime sioniste s’était présenté aux sociétés africaines luttant pour leur indépendance, comme un exemple de révolte contre l’impérialisme britannique, et un pays pauvre et aride qui a su développer l’agriculture et la construction. Plusieurs États africains indépendants avaient accepté l’aide israélienne en matière de construction et d’agriculture. Mais ces efforts étaient tombés à l’eau après la guerre de juin 67 et l’occupation des territoires notamment sur le sol africain. La situation a bien changé aujourd’hui. Israël se présente comme une puissance militaire, capable même de détruire l’unité d’un pays comme le Soudan. Si des pays africains se tournent vers lui, c’est pour des raisons sécuritaires, des conseils et la technologie militaire. De plus, le régime sioniste a ses entrées à Washington et dans les instances financières internationales, et il n’est pas bon de l’avoir comme ennemi. Le régime sioniste a donc des chances d’accentuer son implantation en Afrique. Le récent débat sur son statut d’observateur à l’UA a montré qu’il avait des alliés solides. Mais comme à son habitude, Israël choisit encore un prétexte humanitaire, la crise alimentaire, sur laquelle il aurait a priori peu de compétences, mais cela devrait montrer l’étendue de son influence. Son message aux Africains peut se résumer comme ceci : « Je peux servir d’intermédiaire entre vous et la Russie et l’Ukraine, des pays amis et principaux exportateurs de céréales, pour que vous n’en manquiez pas ».
Algérie54: Le conflit ukrainien dessinerait un nouveau monde multipolaire. L’ancien Secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger a conseillé aux autorités de Kiev de faire des concessions territoriales à Moscou pour la paix. Est-ce un aveu d’impuissance, ou une nouvelle stratégie de transférer la confrontation occidentale avec l’axe Moscou-Pékin vers d’autres régions comme l’Antarctique, Taiwan ou même l’Afrique du nord ?
Jacob Cohen: Les Etats-Unis ont violé tous les engagements – ce n’est certes pas un scoop ils en ont l’habitude – pris envers la Russie postcommuniste pour ne pas élargir l’OTAN vers l’Est. Mais la tentation était trop forte de profiter du désordre russe pour faire avancer leurs pions. Ne restait plus que l’Ukraine pour faire peser une menace directe tant militaire que biologique. Sauf qu’en 2022 la Russie s’était autrement mieux préparée, aussi bien sur le plan militaire que pour résister aux sanctions. Poutine avait dû aussi préparer ses arrières en consolidant son alliance avec la Chine et d’autres pays. Il n’est pas non plus tombé dans le piège que lui tendait l’OTAN de transformer l’Ukraine en bourbier « afghan » sur plusieurs années. Intelligemment, l’armée russe détruit toute l’infrastructure ukrainienne au point que les armes (de seconde main) fournies par l’Occident n’arrivent pas sur le terrain. La Russie s’approprie tout le territoire russophone dont tous les ports qui donnent sur la Mer Noire et la Mer d’Ozov. D’où l’appel de Henry Kissinger pour des concessions territoriales (avant de tout perdre) ou l’appel à un cessez-le-feu par le Secrétaire à la Défense américain. Ça sent le brûlé pour l’Amérique, d’autant que des pays importants comme la Chine et l’Inde vont progressivement abandonner leurs réserves en dollars. Même l’Arabie Saoudite va vendre son pétrole en yuans. Quel pays fera désormais confiance à l’Amérique qui peut saisir ses réserves en dollars quand bon lui semble ? Si l’Ukraine semble quasiment perdue pour l’Occident, il reste les autres terrains de confrontation. De toute façon, les relations internationales entre empires est une histoire de guerres sans fin, quelles soient militaires directement ou par pays interposés, ou qu’elles prennent des formes économiques, financières, idéologiques, culturelles, ou même pharmaceutiques.
Entretien réalisé par M.Mehdi
