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Jacob Cohen à Algérie 54: Le Mossad a façonné l’establishment marocain à succomber au sionisme

Connu pour son franc-parler et ses analyses pertinentes, l’auteur et journaliste franco-marocain Jacob Cohen,revient dans un entretien accordé à Algérie 54,sur le tutorat sioniste sur le Maroc et sur la dernière campagne d’hostilité de l’Etat profond français à l’égard de l’Algérie, via des attaques visant l’abrogation des accords sur l’immigration signés en décembre 1968.

Algérie 54:-Le Maroc est devenu une destination privilégiée des dirigeants israéliens. Quelle lecture faites-vous sur ce ballet diplomatique israélien, dans un contexte géopolitique particulier et risque d’embrasement de la région du Maghreb?

Jacob Cohen:Le régime sioniste a déjà signé une « paix » avec quatre ou cinq États arabes, mais la « normalisation » avec le Maroc, supposé avoir été un ennemi, dépasse l’entendement. Rien n’est trop beau pour satisfaire le nouvel allié israélien. Une anecdote : Il y a quelques jours, un soldat égyptien a traversé la frontière et assassiné trois soldats israéliens. Il a été abattu mais il a été fêté en Égypte comme un héros. C’est dire si le peuple égyptien, comme certainement tous les peuples arabes, déteste les sionistes même 43 années après le traité de paix. Pour revenir au Maroc, il y a un élément dont on ne tient pas suffisamment compte. Le Mossad, déjà très à son aise au Maroc depuis l’intronisation de Hassan 2 en 1961, avait réussi à placer un agent très influent au cœur de la monarchie chérifienne. André Azoulay, juif d’origine marocaine et ancien banquier international, est devenu le conseiller spécial du roi depuis près de 35 ans et jusqu’à aujourd’hui. Il a façonné l’establishment marocain à succomber aux charmes de la modernité et de l’efficacité sionistes. Il dispose d’un réseau international impressionnant, dont sa propre fille, Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO et ancienne ministre de la culture de François Hollande. Evidemment cette symbiose maroco-sioniste, poussée à l’extrême par le monarque, peut susciter à bon droit, quelques interrogations ,voire de sérieuses inquiétudes chez les pays voisins.

Algérie 54: La visite au Maroc du président de la Knesset Amir Ohana, une institution qui légifère des lois anti-palestiniens et arabes, illustre bien que le royaume est sous « protectorat » non déclaré du régime sioniste. Qu’en pensez-vous ?

Jacob Cohen: Même les médias sionistes n’en reviennent pas de la promptitude des Marocains à combler tous leurs souhaits. C’est la première fois que cela leur arrive. Habituellement, partout où ils vont, ils sont en butte à une sourde hostilité, et même dans le monde occidental. Il faut dire que l’ordre vient du roi,  omniscient et omnipotent, et dans un pays où on est obligé de l’adorer et où les milliers de courtisans cherchent désespérément les moyens de se faire bien voir, des dizaines d’initiatives éclosent de partout pour complaire aux visiteurs sionistes et leur montrer leur bonne foi. On ne compte plus les initiatives pour restaurer une vieille synagogue miraculeusement restée en ruines ou un cimetière qui n’a plus d’utilité, ou pour lancer un programme artistique ou commercial ou universitaire associant les partenaires israéliens. Oui, il y a quelque chose d’indécent, de pathétique, à se montrer aussi complaisant, et à satisfaire, sans contrepartie aucune pour les malheureux Palestiniens, les désidératas d’un conquérant faussement déguisé en pacifiste humaniste.  Pour reprendre une image du passé, les Marocains qui collaborent volontairement et avec enthousiasme avec les Israéliens, et qui appartiennent globalement aux cercles dirigeants, peuvent être considérés comme une espèce de Harkis, ou évoluant vers un rapport de « protectorat ».

Algérie 54:Après la ministre israélienne des Transports, c’est autour du président de la Knesset d’appeler à reconnaître « la marocanité » du Sahara Occidental, pensez-vous qu’Israël satisfera la demande  marocaine?

Jacob Cohen:Il y a une scène dans mon roman « L’espionne et le journaliste » (2009) dans laquelle une délégations de parlementaires américains en visite au Maroc se fait briefer par le représentant local de la CIA, qui leur dit en substance : « Exprimez les meilleures intentions aux Marocains à propos du Sahara Occidental, ils en sont assoiffés, mais ne vous engagez à rien de concret ». Les sionistes appliquent magistralement le même principe. Deux années après une « normalisation » où ils ont obtenu ce qu’aucun pays arabe ne leur accordera jamais, les sionistes continuent à tergiverser, à promettre, à éluder, à tenir en haleine les Marocains comme dans la fable de La Fontaine. C’est une bonne leçon de Realpolitik, mais une leçon payée un prix exorbitant.

Algérie 54:Une association marocaine favorable à la normalisation avec l’entité sioniste, vient d’appeler le parlement marocain, à légiférer une loi une faveur de l’octroi la nationalité marocaine aux israéliens d’origine marocaine. Ne pensez-vous pas quand va assister à un exode de la Palestine Occupée au Maroc?

Jacob Cohen:Il y a un non-dit – parmi d’autres –  au Maroc qui concerne les relations entre les communautés juive et musulmane. Au moment de l’indépendance du Maroc, on pouvait estimer le nombre des juifs à environ 350 000 (l’état civil n’était pas obligatoire même pendant le protectorat, et peu de juifs s’y inscrivaient). L’écrasante majorité d’entre eux n’avaient que la nationalité marocaine. Une aubaine pour le Mossad et l’Agence juive dont des milliers d’agents sillonnaient les mellahs pour envoyer les juifs en Israël. C’est Hassan 2 qui leur ouvrira grandes les portes de l’émigration en 1961 et près de la moitié des juifs ont succombé à la propagande sioniste. Restait l’autre moitié, plutôt instruite et occupant des fonctions importantes dans le pays. Mais le parti de l’Istiqlal, nationaliste et judéophobe, militait en douce pour le départ de tous les juifs. C’est dans cette atmosphère que l’hémorragie juive a commencé pour ne laisser qu’une infime minorité aujourd’hui. Le non-dit consistait à ne jamais aborder les vraies raisons qui avaient poussé 99,5% des juifs marocains à s’expatrier, et à glorifier la coexistence séculaire entre juifs et musulmans. Une anecdote : Il y a 4/5 ans, j’avais donné une conférence à Rabat et l’ancien premier ministre du PJD Benkirane avait organisé un dîner avec quelques militants. Et un moment il m’a demandé : « Jacob ! Mais pourquoi les juifs sont partis ? Pour quelle raison ? »  Comment résoudre la contradiction entre une coexistence merveilleuse et le départ de quasiment toute la communauté juive ? Ceci pour répondre à votre question : Il n’y aura pas de retour massif des juifs qui ont quitté le Maroc. Pour les 2e et 3e générations c’est de l’histoire ancienne. Les juifs d’origine marocaine qui veulent fuir l’enfer sioniste, il y en a dans ma famille, ont cherché à obtenir, avec succès, des passeports espagnol ou portugais. L’excitation actuelle au Maroc autour de ce retour, fait partie de cette illusion qui justifierait a posteriori toutes les concessions faites à Israël au nom de cette prétendue fraternité séculaire.

 Algérie 54:L’Algérie fait face ces derniers jours à une campagne menée par l’Etat profond français pour l’abrogation des accords d’immigration signés en décembre 1968 avec Alger. Est-ce une pression sur l’Algérie pour reconduire l’accord d’association avec l’Union Européenne, sachant que l’Algérie est déterminée à rejoindre le BRICS, pour conforter sa position de pays non-aligné, indépendant de la confrontation des axes?

Jacob Cohen:Les hauts et les bas dans les relations entre la France et l’Algérie s’expliquent d’un côté par l’importance de cette dernière en matière énergétique et par sa position géostratégique, et d’un autre côté par l’obsession d’amoindrir son indépendance et de restreindre son influence. C’est presque de bonne guerre dans les relations internationales lorsqu’un pays tente de secouer le joug de l’impérialisme. Mais ce qui a marché pendant des décennies semble de moins en moins fonctionner. Le renforcement des BRICS et leur élargissement en sont l’illustration. Il y aura cependant d’autres soubresauts. L’empire agonisant ne lâchera pas facilement prise.

Entretien réalisé par M.Mehdi

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