A la une, Contribution, Mondactu

Jacob Cohen à Algérie 54: le Maroc est pris au piège de son alliance avec Israël

Dans un entretien accordé à Algérie 54, le journaliste franco-marocain et auteur du « printemps des sayanims » revient sur les derniers développements que connaît le monde arabe, et  cette stratégie sioniste de condamner toute personne refusant son diktat, en l’accusant d’antisémitisme, dont le cas des quatre journalistes palestiniens suspendus par France 24.

Algérie 54: Un hommage sera rendu dimanche 19 mars à Paris à Jacques Kupfer, ancien patron de l’organisation raciste Betar, en présence du ministre des finances de l’extrême droite israélienne Betsalel Smotrich qui vient d’appeler à effacer le village palestinien de Huwara. Quelle  lecture fera Jacob Cohen de cet hommage en présence de Betsalel Smotrich , qui coïncide par conséquent avec la fête de la victoire en Algérie, synonyme de la fin des illusions de l’OAS et de l’Algérie française?

Jacob Cohen:Incontestablement, le sionisme pur et dur relève la tête, s’il avait fait mine par le passé d’adoucir son discours et de laisser croire à une solution pacifique du conflit avec le monde arabe en général et les Palestiniens en particulier. Et il le fait dans un pays, non seulement où il se sent chez lui, mais où il peut imposer sa vision raciste et unilatérale contre vents et marées. Et les médias et la classe politique n’ont qu’à bien se tenir. L’arrogance sioniste en France a atteint un degré inimaginable. La moindre voix qui ose s’accrocher à des principes juridiques, à des solutions de bon sens, à des notions de justice, est rappelée à l’ordre et accusée de fricoter avec l’antisémitisme, le « crime de la pensée » le plus terrible qui puisse se commettre. Imaginez un ministre russe qui aurait tenu les mêmes propos que Smotrich à propos des Ukrainiens ! S’il mettait les pieds sur le sol français, il serait immédiatement arrêté et traduit en justice. Oh bien sûr, il y aura en France quelques petites voix convenablement indignées pour sauver l’honneur, mais le ministre sioniste accomplira un voyage de tout repos et retournera chez lui auréolé de gloire. Quant au Betar, responsable d’avoir poignardé un commissaire en 2002 à Paris, et dont l’enquête a été enterrée, il peut poursuivre, à l’instar de la ligue de défense juive, ses activités de bande organisée en toute impunité.

Algérie 54: Quatre journalistes palestiniens viennent d’être suspendus par la direction de France 24, accusés d’antisémitisme et de manque de professionnalisme lors du traitement des informations concernant les dernières agressions de l’armée israélienne dans les territoires palestiniens, une journée après la déprogrammation de l’interview de Kémi Seba accordée à la chaîne parlementaire LCP, qu’en pensez-vous de la nouvelle approche de la liberté d’expression des médias Mainstream?

Jacob Cohen: Aujourd’hui en Europe en général, et particulièrement en France et secondairement en Allemagne, il est quasiment impossible d’organiser une manifestation publique pour défendre la cause palestinienne. Les autorisations de manifestations ou de réunions sont parcimonieusement accordées. Les médias alternatifs et leurs journalistes sont harcelés et intimidés. Comme dit précédemment l’arrogance sioniste est à son comble et se permet tous les excès. Il y a une explication à cela qu’il faut garder en mémoire. Le lobby judéo-sioniste dispose de près de 4000 « sayanim », c’est-à-dire des citoyens français travaillant pour le Mossad. Imaginez la société Publicis qui contrôle 50% du marché de la publicité et qui est la propriété de probables « sayanim ». Imaginez le pouvoir d’un BHL qui contrôlait pendant 20 ans le financement du cinéma et qui avait empêché Dieudonné de faire son film sur l’esclavage. Imaginez l’influence discrète d’un Jacques Attali, sioniste « de gauche » et ami intime de Shimon Pérès. Imaginez le propriétaire de l’Express, de BFM et de Libération, un Israélien, et le patron de ce quotidien un ancien du Mossad. Imaginez des milliers d’autres dans les médias, les universités, les maisons d’édition, les banques, les cercles politiques, etc. tous dédiés à la défense d’Israël. Le plus « comique », c’est que les organisations pro-palestiniennes n’osent pas en parler, de peur de faire l’amalgame avec le « Protocole des Sages de Sion », un « faux » comme chacun sait.

Algérie 54: Au moment où la division de la société israélienne se fait sentir dans le sillage de cette confrontation autour du projet de la réforme judiciaire, le ministre israélien de l’Intégration et de l’Alyah Ofir Sofer, appelle la communauté juive en France à venir s’installer en Palestine Occupée. Que pensez vous ?

Jacob Cohen: Le drame du sionisme originel qui voulait offrir une patrie aux juifs du monde entier c’est que ces derniers, surtout ceux installés dans des États démocratiques, n’en ont jamais voulu, ou alors en très petit nombre. Et même les juifs des pays arabes ou de l’ex-Union Soviétique n’y sont allés que par contrainte ou par des manoeuvres dignes de la mafia. Je ne parle même pas des « juifs » éthiopiens obligés de passer par une reconversion et traités comme des nègres. Le régime sioniste bave devant ces quelques centaines de milliers de juifs français qui pourraient faire leur immigration, au besoin en forçant sur un climat d’antisémitisme ou d’insécurité. On se rappelle les appels d’Ariel Sharon quasiment humiliants pour la France. Certes quelques milliers partent chaque année mais beaucoup d’entre eux retournent en France. On a très peu d’éléments sur ces derniers et sur leurs motivations. Si on leur fichait la paix, les juifs français, ceux « du quotidien », voudraient vivre tranquillement dans leur pays et y construire leur avenir.

Algérie 54: L’Arabie Saoudite et l’Iran viennent d’annoncer la reprise de leurs relations diplomatiques, au grand dam de Benjamin Netanyahu qui voit les chances d’un rapprochement avec Ryad s’envoler, dans la foulée de son alliance avec l’extrême droite israélienne. Ne pensez-vous par que l’effervescence autour de la normalisation israélienne avec certains pays arabes, s’était estompée dans la géopolitique internationale augurant un nouvel ordre mondial multipolaire?

Jacob Cohen:C’est un coup très dur porté à la diplomatie patiemment élaborée depuis plus d’une décennie par l’axe américano-sioniste. Israël jouant le rôle du berger protégeant les brebis des monarchies du Golfe contre l’appétit machiavélique de l’Iran impérialiste. Toute la propagande sioniste de ces dernières années jouait sur la menace chiite qui allait déferler et avaler ces monarchies sans défense. On était même à un cheveu d’embarquer l’Arabie Saoudite dans la croisade sous la bannière de l’étoile de David. Et puis patatras. On peut penser ce qu’on veut de MBS, mais c’est un grand homme d’État doué d’un sens politique remarquable. Il a évité le piège dans lequel est tombé Saddam Hussein en faisant une guerre meurtrière à l’Iran pour le compte de l’Amérique. Et on connaît sa fin. Il a renforcé son alliance avec Poutine sur le marché pétrolier, sachant bien que l’Amérique est un « allié » cynique, violent, menteur, voleur, etc. Il a reçu en grande pompe le dirigeant chinois. En 2/3 ans, il a retourné une alliance qui semblait historiquement indestructible. On peut presque dire que la page de l’Occident au Moyen-Orient se tourne sous nos yeux et on ne voit pas ce qui pourrait l’empêcher.

 Algérie 54: le Palais royal marocain demeure obstiné à s’accrocher à la normalisation avec Israël, comme l’illustre bien cette mise au point adressée au parti islamiste du PJD, qui avait rappelons-le été le signataire de l’accord de normalisation en décembre 2020. Plus de deux années après, quels sont les dividendes de cette normalisation pour Rabat, de plus en plus isolé après les scandales de Pegasus et Marocgate?

 Jacob Cohen:Il est intéressant de constater tout d’abord que les Émirats Arabes Unis ont déjà commencé à prendre leurs distances avec le régime sioniste sur le plan des relations sécuritaires. Les monarchies du Golfe n’avaient pu s’engager dans la coopération avec Israël qu’avec l’aval tacite de l’Arabie Saoudite. Maintenant que celle-ci semble avoir abandonné ce projet, il parait évident que les petites monarchies vont calquer leur attitude sur la position saoudienne. Ce que ne fera pas le Maroc, selon toute probabilité. Le régime chérifien ne s’est pas seulement engagé dans une paix formelle avec Israël. Il en a fait son allié stratégique, son partenaire militaire, son complice en matière de renseignements et de tous les coups tordus dont le régime sioniste est coutumier. Le Maroc a lié son destin à celui d’Israël, pour le meilleur ou pour le pire. Il y a seulement deux ans, cela semblait un coup gagnant. Mais les bouleversements géopolitiques entraînés par la guerre en Ukraine – dont le renforcement des BRICS auxquels l’Algérie veut adhérer – les crises sociales et économiques en Europe, le désarroi des Américains face à la puissance russe et au soutien que reçoit la Russie, la perte d’influence de l’Occident en Afrique et au Moyen-Orient à la vitesse grand V, la déstabilisation de la société israélienne proche de la guerre civile, montrent que cet engagement peut se révéler néfaste. Mais le Maroc est pris au piège d’une alliance qu’il voulait profonde et irréversible. Déjà sous peu il sera isolé au sein du monde arabe. Mais un changement de cap serait catastrophique, une défaite humiliante pour le Palais. D’où cette injonction menaçante contre le PJD qui s’est sagement mis en retrait. Le courroux royal au Maroc peut avoir des effets dévastateurs.

Entretien réalisé par M.Mehdi

 

Partager cet article sur :

publicité

Dessin de la semaine

Articles similaires