Dans un nouvel entretien à Algérie54, le journaliste et auteur Jacob Cohen revient sur les derniers revirements marquant l’actualité au Proche-Orient, comme le très critiqué plan Trump de déportation des Palestiniens de la bande de Gaza, la trêve signée par le Hamas avec l’entité sioniste, la formation d’un nouveau gouvernement au Liban, ainsi que le prochain sommet extraordinaire de le ligue arabe, prévu en Egypte.
Algérie54: Le plan de Donald Trump de déporter les Palestiniens de la Bande de Gaza et de la Cisjordanie Occupée vers l’Egypte et la Jordanie, suscite l’indignation non seulement des pays concernés mais de la communauté internationale. Pour de nombreux observateurs, ce plan est celui de l’extrême droite israélienne. Qu’en pensez-vous?
Jacob Cohen: Le plan de Trump ne concerne que la Bande de Gaza, pour la Cisjordanie son tour viendra plus tard ; et il ne fait que reprendre celui exprimé par les divers membres du gouvernement israélien dès le 8 octobre 2023. Ce plan n’est pas seulement celui de l’extrême-droite israélienne, mais de tout l’establishment sioniste. C’est dire si les événements du 7 octobre ont été « manipulés » pour créer un choc susceptible de faire accepter ce nettoyage ethnique. A mon avis, et je l’ai exprimé à diverses reprises, ce plan a toutes les chances de se réaliser, certainement plus comme les sionisters l’avaient envisagé au départ, puisque le régime égyptien n’a pas ouvert ses frontières aux Gazaouis.
D’abord par la destruction systématique de tout ce qui peut permettre de reprendre vie à Gaza et l’interdiction des activités de l’UNRWA, ensuite en offrant aux Gazaouis, par paquets de quelques dizaines de milliers, de s’établir ailleurs. Le nombre de pays accueillants se situerait autour de 10. C’est là qu’intervienent Trump et sa puissance financière et diplomatique. Et vu l’impuissance de la Communauté internationale face au génocide commis à Gaza, on ne voit pas comment elle pourrait s’opposer à un plan qui aurait des dimensions quasi « humanitaires ».
Algérie54: Les autorités marocaines n’ont pas encore réagi sur les informations faisant état que le royaume est cité comme une destination de la déportation des Palestiniens de la Bande de Gaza. Qu’en dites- vous?
Jacob Cohen: Je vois mal les autorités marocaines rejeter une demande expresse de Trump, le président qui a reconnu la marocanité du Sahara Occidental et permis la normalisation avec Israël. Le tout est de savoir présenter la chose. Comme dit précédemment, le déplacement des populations de Gaza obéira à des exigences humanitaires et à la demande des Gazaouis. Nul doute qu’une bonne partie d’entre eux, n’ayant plus de logement, d’école, de travail, d’hôpitaux, de commerce, de nourriture, et sans aucune perspective d’améliorations, car il ne faut pas oublier que les clés du camp de concentration qu’est la Bande de Gaza seront toujours détenues par le geôlier sioniste, nul doute donc que nombre de familles demanderont à trouver un havre relatif de paix et de sécurité ailleurs.
Algérie54: L’Arabie Saoudite vient de condamner fermement les propos du premier ministre sioniste Benjamin Netanyahou au sujet de la déportation des Palestiniens vers ce pays, dont on évoque dans la foulée une imminente normalisation avec l’entité sioniste sous la pression de Trump. Quelle lecture faites- vous de ce récent revirement?
Jacob Cohen: C’est un revirement d’opportunité. L’Arabie Saoudite, comme d’autres pays, se sont engouffrés dans ce que la déclaration de Trump avant d’intempestif et de comminatoire. Mais sur le fond, ce pays ne lèvera pas le petit doigt pour empêcher le plan de Trump, à condition qu’il respecte certaines formes et permette de sauver la face. L’Arabie Saoudite aime la stabilité, et son soutien va plutôt à l’Autorité palestinienne, qui collabore gentiment avec Israël, que vers les groupes qui sèment le désordre et sont manipulés par des pays hostiles. Je continue à penser que l’Arabie Saoudite, à moins d’une nouvelle guerre dans la région, normalisera ses relations avec le régime sioniste, en se contentant de quelques promesses sur un Etat palestinien qui ne verra jamais le jour.
Algérie54: L’Egypte vient d’annoncer la tenue d’un sommet extraordinaire de la ligue arabe sur la question palestinienne. Les Arabes sont-ils en mesure de dépasser leurs différends pour faire face au plan d’enterrement de la création d’un Etat palestinien?
Jacob Cohen: Le problème des Arabes, c’est moins la désunion que l’absence de volonté, l’impuissance face à des forces qui les dépassent, la crainte d’emmener leurs peuples dans des engagements incontrôlables.. Il y a un décalage énorme entre les revendications populaires et la pusillanimité des dirigeants qui craignent pour leurs privilèges, et surtout pour leur stabilité. Combien de sommets extraordinaires y a-t-il eus, qui ont fini par de belles déclarations, mais sans aucune avancée concrète ? Je crains malheureusement que l’histoire ne se répète.
Algérie54: Les images des échanges de détenus israéliens par des détenus palestiniens, ont démenti les propos des dirigeants sionistes sur le démantèlement des mouvements de la résistance palestiniens. Que pense l’expert en la matière Jacob Cohen?
Jacob Cohen: L’enlisement de l’armée israélienne à Gaza, ainsi que ses pertes qui continuent jusqu’à ce jour, ne cessent d’étonner les observateurs. On se rappelle des déclarations des responsables sionistes pendant les premiers jours de la guerre, ou plutôt de la punition collective menée tambour battant, menant à l’élimination totale du Hamas et autres organisations « terroristes ». Leurs services de renseignements se sont-ils trompés à ce point ? Leur complexe de supériorité et le mépris dans lequel ils tiennent les Arabes en général et les Palestiniens en particulier, ajoutés à leur désir aveugle de vengeance, leur ont peut-être fait croire à une guerre éclair comme ils en ont pris l’habitude. C’est un choc pour la société israélienne. Le traumatisme est douloureux. Rappelons que près de 100 000 Israéliens ne sont pas encore retournés dans leurs maisons et leurs lieux de travail dans le Nord du pays, par crainte du Hezbollah. Leurs nombreux crimes de guerre, aveugles et gratuits, peuvent aussi résulter de ces frustrations. Imaginez tout de même que le Hamas a obtenu, si la trève va jusqu’au bout, que toutes les forces israéliennes auront quitté Gaza. Et toutes les déclarations sur le fait que le Hamas ne devrait plus subsister à Gaza, paraissent comme des voeux pieux.
Algérie54: Un nouveau gouvernement libanais vient de voir le jour en présence de cinq ministres issus des mouvements du Hezbollah et d’Amal, malgré l’opposition de Washington.. Quel devenir selon vous pour le pays du cèdre, post- guerre de 2023?
Jacob Cohen: Le Hezbollah est définitivement un parti libanais, qui défend l’intégrité et la souveraineté du Liban. Il est bien ancré et accepté par toutes les couches qui ont compris que les divisions, artificiellement entretenues, ne profitaient qu’à leurs ennemis. Certes, le Hezbollah a subi des coups dur, dont la perte de la Syrie passée dans le giron américano-israélo-turc, mais il a déjà une longue histoire de résistance et de succès. Il ne faut pas oublier tout de même que, parti de rien en 1982, il constitue le seul mouvement arabe qui a contraint l’armée sioniste à abandonner ses conquêtes territoriales sans contrepartie.
Entretien réalisé par M.Mehdi