Dans une interview accordée à Algérie54, l’auteur du « Printemps des Sayanims » et » la 26ème tribu » et journaliste français natif du Maroc, Jacob Cohen révèle la main basse de la pensée sioniste sur le régime du Makhzen, et la normalisation spirituelle menée par la caste sioniste pour s’implanter chez le commandeur des croyants, soucieux uniquement de la préservation de son « bien » à savoir le trône.
Algérie54: Pouvez-vous nous faire une petite lecture de votre dernier roman « la 26ème tribu »?
Jacob Cohen: La normalisation entre le Maroc et Israël a une spécificité unique. Alors que les pays arabes qui ont normalisé leurs relations avec l’entité sioniste se contentent de ralations « a minima », et même d’une paix froide, comme avec les peuples égyptien et jordanien, on pense naturellement à des relations diplomatiques et quelques échanges commerciaux, le roi du Maroc a voulu faire de cette normalisation une avancée historique, culturelle, communautaire, comme une symbiose retrouvée, ou qui n’aurait jamais cessé d’exister.
L’idée lui a été évidemment soufflée par André Azoulay, banquier international d’origine juive marocaine mais totalement occidentalisé, et qui est revenu au Maroc au début des années 80, suite probablement à une entente entre Hassan II et le Mossad, pour être le conseiller spécial du souverain. Azoulay a fait un excellent travail en préparant les esprits à un rapprochement judéo- musulman en passant par la culture, la musique, la religion.
Par cette normalisation, Mohamed VI a cru vouloir rétablir une idylle imaginaire entre la monarchie et ses sujets de confession juive. Or les juifs marocains, dont on dit qu’ils étaient approximativement 350 000, ont quitté leur pays à 99,5%. Si une moitié s’est fait arnaquer en allant en Israël, l’autre moitié, plus éduquée et plus à l’aise financièrement, s’est exilée au Canada, en France, etc. C’est un sujet qui est presque tabou au Maroc. Les Marocains ne savent pas, ou ne veulent pas savoir, pourquoi ils sont partis. C’est une des raisons pour lesquelles l’establishment ne m’apprécie pas, pour mon langage de vérité.
Le souverain marocain, après la normalisation, cherche à gommer ces faits, ou à leur donner une réalité mythique. Il y a une réécriture de l’histoire, enseignée dans les écoles, sur l’harmonie éternelle entre les communautés. Il y a une frénésie à rénover les rares synagogues ou les cimetières juifs. L’instruction religieuse est purgée de toute mention négative sur les juifs.
C’est cette atmosphère que les judéo-sionistes vont exploiter pour tirer d’autres avantages, et qui fait l’objet de mon récit romancé « La 26e tribu ».
Comme le dit un de mes protagonistes, il faut instaurer une « normalisation spirituelle », c’est-à-dire une identification des principes et des objectifs.
Etablir au Maroc la « religion de la Shoah » qui était le titre de ma conférence à Rabat en janvier 2019. Faire de la Shoah l’alpha et l’oméga de la pensée historique, de manière, comme cela se passe en France ou en Allemagne, à faire du sionisme un culte sacré qui a traversé un drame historique et qu’il ne faut pas critiquer.
Faire des juifs une caste qui n’est pas soumise aux même règles. Par exemple, des juifs marocains, qui avaient quitté leur pays dans les années 50 et 60 en vendant normalement leurs biens – je peux personnellement en témoigner – et qui reviennet au Maroc après la normalisation réclamer la restitution de ces biens, sous divers prétextes, et les diverses administrations ont ordre de les satisfaire par tous les moyens.
Reste le domaine qui justifie le titre. Dans la mythologie biblique il y avait 12 tribus, dispersées au début de notre ère et jamais reconstituées. Le monde judéo-sioniste est à la recherche de ces tribus « perdues ». Il en a retrouvé en Ethiopie,en Inde, en Amérique du Sud. Et il rêve d’en retrouver au Maroc, qui seraient des juifs convertis à l’Islam. Le chiffre 26 correspond à YAHVEH un des noms de l’Eternel. C’est dire l’importance que les protagonistes du roman accordent à leur entreprise.
Algérie54: Quelles sont les réactions du lobby sioniste, au sujet de votre dernière publication, éditée dans la foulée des publications » Printemps des sayanims » et » Main basse sur Tinghir »?
Jacob Cohen: La réaction générale est le silence. De la part du lobby sioniste c’est compréhensible. Mais même au Maroc c’est la conjuration du silence. Les médias et les journalistes à qui j’ai envoyé le texte n’ont même pas accusé réception. Apparemment ce sont des questions qui dérangent.
Algérie54: Donald Trump vient de jeter un tollé dans la mare, en proposant l’expulsion des Palestiniens de la bande de Gaza vers l’Egypte et la Jordanie. Qu’en sera-t-il de ce plan selon vous qui coïncide avec la volonté de l’extrême droite sioniste de vider la Cisjordanie de ses légitimes fils palestiniens?
Jacob Cohen: Ce plan de nettoyage ethnique a été clairement annoncé après le 7 octobre. Et quand les sionistes ont une idée en tête… Le refus du régime égyptien de s’en faire le complice – craignant des troubles internes – n’a fait que reporter le problème. Jusqu’à nouvel ordre, Israël restera le gardien du camp de concentration qu’est la bande de Gaza. Or tout ce qui permettra la reconstruction ou la survie sera strictement rationné. On peut craindre que des familles gazaouies, et on peut les comprendre, accepteront un refuge ailleurs. Et il n’y aura pas beaucoup d’opposition à un plan qui paraitra « humanitaire ».
Algérie54: Quelle lecture faites vous de la trêve au Sud Liban et à Gaza et à cet accord d’échanges de détenus entre le Hamas et l’entité sioniste?
Jacob Cohen: Ce ne sont en aucun cas des accords de paix ou qui annonceraient une paix durable. Tant qu’il y aura de la résistance quelque part, le régime sioniste fera tout pour la faire taire. La vraie solution pour la région est la création d’un Etat palestinien et l’établissement de frontières acceptées et légitimes, mais ça c’est dans le domaine du fantasme.
Entretien réalisé par M.Mehdi