Connu pour être un expert des questions géopolitiques, l’auteur, analyste et journaliste Jacob Cohen livre à Algérie 54, sa lecture des derniers évènements ayant vu l’effondrement de l’Etat syrien, dont l’impact sera relativement déterminant dans la nouvelle carte géopolitique du nouvel ordre mondial qui se dessine.
Algérie54: La fin de l’année 2024 s’annonce riche en évènements pour le Proche-Orient. Quelle lecture faites- vous de cette chute brutale du pouvoir syrien dirigé par Bashar Al-Assad?
Jacob Cohen: C’est une redistribution des cartes, assez inattendue il faut dire. Qui aurait pu imaginer l’effondrement de l’État syrien en quelques jours ? Et c’est en même temps un événement lourd de conséquences. On s’était habitué à une configuration relativement stable depuis plusieurs années. Or là tout devient possible. Et c’est le chaos qui s’installe. En dehors des zones syriennes qui resteront occupées par Israël, la Turquie, les Etats-Unis ou leurs proxies, ce qui restera de la Syrie avec Damas pour capitale sera soumis à des luttes internes. Il y avait une opposition laïque et démocratique au régime d’Al-Assad. Il serait étonnant qu’elle trouve un terrain d’entente avec les terroristes. Et ces derniers, garderont-ils la modération qu’ils affichent ? On peut en douter. On peut aussi craindre que la Syrie ne retrouve plus son intégrité territoriale, son unité et son indépendance, et qu’elle devienne un champ d’affrontements des acteurs régionaux et des grandes puissances..
Algérie54: Pensez-vous que Bashar Al Assad a été lâché par ses alliés russe et iranien?
Jacob Cohen: Il ne semble pas que le président syrien ait été lâché par ses alliés. La Russie et l’Iran avaient tout à perdre d’un tel effondrement. Mais qu’auraient-ils pu faire ? Ils n’ont pas de troupes en nombre sur le terrain pour faire la différence. En 2014-2015, le régime syrien a été sauvé grâce aux bombardement aériens effectués par la Russie. Celle-ci a tenté de réagir pareillement lorsque Alep a été attaquée. Mais c’était insuffisant, car il n’y avait plus d’armée syrienne. C’était la débandade. Les terroristes avançaient parce qu’ils ne rencontraient aucune résistance. Des observateurs très au fait, comme l’Américain Scott Ritter, parlent d’une armée désorganisée et corrompue, d’officiers qui ne pensaient qu’à se remplir les poches. C’est peut-être aussi cela la grande surprise de cette confrontation. On avait l’image d’un pays et d’une armée structurés et combatifs, et on découvre un vide sidéral. Tout le système est tombé en un peu plus d’une semaine.
Algérie54: Ne pensez-vous pas que la Syrie se dirige vers la partition en cinq entités conformément à un ancien plan français?
Jacob Cohen: Comme énoncé plus haut, je ne vois pas comment la Syrie peut retrouver son intégrité territoriale. Ce pays va malheureusement être dépecé. Les sionistes ont occupé la zone tampon ainsi que le reste du Mont Hermon et avancent vers Damas, tout en détruisant systématiquement les structures militaires, scientifiques, énergétiques, administratives, aéroportuaires et navales du régime. Les Turcs renforcent leurs positions dans le Nord, éliminant les Kurdes et tous ceux qui pourraient contester leur hégémonie. Les Américains occupent les zones pétrolières. Bref, c’est le chaos généralisé, propice à toutes sortes de destructions et de manipulations.
Algérie54: Quel impact aura la chute de la Syrie sur le mouvement de la résistance, en particulier la cause palestinienne?
Jacob Cohen: Le Hamas se retrouve déjà isolé et coupé de toute source importante d’aide. Quant au Hezbollah, sa principale source venait d’Iran, en passant par la Syrie. Par voie terrestre essentiellement, car l’espace aérien est contrôlé par Israël. Cette source étant tarie, le Hezbollah aura beaucoup de mal à se procurer les nouveaux armements et les soutiens logistiques. La résistance palestinienne, déjà affaiblie, va connaître des heures difficiles.
Algérie54: On assiste en Palestine Occupée, à un débat marqué par un clivage entre les laïques et les extrémistes religieux au sujet de la conception de ce qui est appelé le “Grand Israël”.Quel est votre avis?
Jacob Cohen: J’ai toujours considéré cela comme un faux débat, qui exprime le « génie » sioniste, qui réussit à faire croire à l’existencve de deux courants opposés. Or, s’agissant de conquêtes territoriales, la « gauche » a pris plus que sa part. Je rappelle que les principales conquêtes, ainsi que le nettoyage ethnique de 1948, ont été le fait de gouvernements de gauche. Que l’occupation et la colonisation n’ont pas connu de répit sous la « gauche ». La seule différence est d’ordre sémantique. La droite sioniste affiche sans complexe ses ambitions expansionnistes, alors que la gauche utilise un vocabulaire ambigu, a priori favorable aux concessions, mais finalement tout aussi raciste et conquérant.
Algérie54: Le génocidaire Netanyahou a comparu ce mardi devant un tribunal israélien, pour répondre aux accusations de corruption.. Sera-t-il contraint de quitter son poste, dans la foulée de l’impasse de la crise des détenus israéliens entre les mains de la résistance palestinienne?
Jacob Cohen: C’est un procès qui a commencé il y a plus de deux ans et qui va se poursuivre pendant de nombreux mois, sans compter les interruptions éventuelles pour raisons sécuritaires. Nous ne sommes donc pas près de voir Netanyahou condamné définitivement pas la justice israélienne, sans compter les éventuels recours, ni de nouvelles élections qui, si elles avaient lieu aujourd’hui, lui garantiraient de rester en poste. Il aura même pratiquement réussi à ne pas faire revenir les otages, sans grand dommage pour son image. Et les événements en Syrie sont portés largement à son crédit. Il faudra donc compter malheureusement avec lui pour un moment encore.
Interview réalisée par M. Mehdi