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La vacuité  de notre souveraineté nationale ( 1e Partie)

Par Dr Mohamed Belhoucine*

« Un Etat prouve sa faiblesse en reconnaissant la primauté du droit international car ce faisant il reconnait implicitement sa sujétion juridique vis-à-vis des Etats forts »

Carl Schmitt. La notion du Politique. p.46     PUF 2013

Une campagne médiatique intense et sans relâche antipalestinienne en Occident qui inclut les Etats -Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et l’état vassal néo-colonisé le Japan, bat son plein aujourd’hui comme elle l’a fait depuis 1948. Elle reste également déterminée à soutenir les colonies de peuplement juives en Palestine occupée. L’Empire du mensonge, c’est-à-dire les occidentaux, se serrent les coudes pour empêcher que se réalise la libération de la Palestine, de toute la Palestine. Personne ne peut stopper la résistance palestinienne à l’oppression sioniste et occidentale. Il est utile de rappeler comment les occidentaux ont neutralisé la notion de souveraineté dans les pays vaincus ou opprimés.

Dans ce petit papier, nous rappelons les origines et le fondement historique de cette notion de souveraineté nationale spoliée. Les juristes allemands des années 20 du XXe siècle ont démontré que ce concept n’est ni intangible, ni absolu, ni juste, c’est une pure création des puissances impérialistes à la suite de circonstances historiques déterminées. Le droit international est au service des puissances impérialistes. Pour que les opprimés ou vaincus recouvrent leur souveraineté nationale, ils doivent avoir la force, c’est-à-dire, à la fois, la force militaire et l’indépendance économique pour y faire face.

Rappel historique : Comment « la hiérarchie des normes juridiques » nous fût imposée par les puissances impérialistes.

Etude de cas : analyse et critique conceptuelle des dogmes du Traité de Versailles (28 mars 1919).

La signature du traité de Versailles le 28 juin 1919, fût la manifestation virulente d’un traité diktat sur l’Allemagne vaincu dans le but de la pastoraliser et la désindustrialiser (dans son célèbre discours, Edouard Herriot en 1924 sous la présidence du conseil de Gaston Doumergue, pointe avec insistance : ‘’ Il faut que nous transformions l’Allemagne en un immense champ de pommes de terre’’ ; concept qui sera repris plus tard par le plan Henri Morgenthau , juif d’origine allemande, secrétaire au trésor américain (1934-1945), sera étendu et adapter à la politique d’épuration ethnique de la Palestine (voir l’ouvrage référence d’Ilan Pappé « Ethnic Cleansing of Palestine » (Oxford, Oneworld, 2006. 316.p) constitue la trame de fond de la politique de l’establishment américain en Palestine occupée, ce plan sera poursuivi sans relâche et avec insistance par l’Etat profond américain jusqu’à nos jours. Les mesures prises par les impérialismes français et anglais en 1919 pour pastoraliser et désindustrialiser l’Allemagne furent empêchées par les américains car irréalisables économiquement sachant que 60% du commerce extérieur américain se faisait (et se fait toujours, demeure néanmoins un invariant) avec ce pays vaincu. Quatre années après le traité de Versailles, à l’automne 1923, la France occupe illégalement et militairement la Rhénanie prussienne germanique (la partie de la Rhénanie qui se trouve à la rive gauche du Rhin dite Alsace et Lorraine) profitant de l’affaiblissement de l’Allemagne. Une occupation qui a fait ressurgir un nationalisme allemand intransigeant où désormais le phénomène national ne devient plus le ‘’mythe politique’’ des philosophes allemands pacifistes du XIXe siècle exprimant naïvement l’avenir de la politique mondiale au XXe siècle.

Les évènements de 1923 vont inciter les constitutionnalistes allemands à réfléchir à la hiérarchie des normes (prônant la suprématie du droit international (droit des vainqueurs) sur le droit interne) nouvellement instaurée par le Traité de Versailles et imposée à la nouvelle constitution de Weimar pour traiter les questions brûlantes du droit international, dit droit des vainqueurs.

Carl Schmitt fût le pourfendeur (Théologie Politique (1921), La Notion de Politique (1922) et la Théorie de la constitution (1928)) d’un concept fondamental qu’est le pouvoir de décision comme fait de souveraineté ultime, ne pouvait en effet que s’opposer à des concepts métaphysiques, tels que ‘’la justice’’, ‘’l’équité’’, ‘’souverainisme’’, ‘’la personnalité juridique’’, ‘’la paix’’, ‘’la guerre juste’’, « le droit des femmes », « les droits de l’homme » etc…

Ces concepts, selon lui, n’ont pas de réalité propre. Ils ne signifient rien en dehors d’un contexte politique où ils seront embrigadés par des personnes particulières et des Etats pour causses concrètes et des intérêts situés et non divulgués. Derrière les facteurs idéaux abstraits se cachent des intérêts concrets. Schmitt insiste que soit vers eux qu’il convient de se tourner pour appréhender les phénomènes juridiques dont nous sommes enlacés et prisonniers (voir l’inertie, les louvoiements et les acrobaties de notre diplomatie sans cap directeur ni doctrine écrite).

Ce pseudo-ordre mondial depuis le traité de Versailles est sous-tendu subrepticement par des intérêts et des « règles » impérialistes plus ou moins pudiquement masqués derrières de lénitives façades universalistes, à la fois creuses et fictives (voir la brillante intervention dénonciation du droit international par le diplomate du Sultana d’Oman à l’ONU, le 19 octobre 2023). Nous vivons une drôle d’époque qui suppute en effet partout l’arrière-pensée et le non-dit (confrontation Russie- USA & Israël, France & U.K. & RFA et les agressions impérialistes contre la République Arabe de Lybie, la République Arabe Syrienne et la République islamique d’Iran) ; l’on vit du désir de ne pas être dupe ; l’obsession de l’arnaque est omniprésente.

Carl Schmitt élabore de puissants outils conceptuels pour démasquer les mythes (qui nous servirons pour dénouer et déjouer la persistance de cet imbroglio juridico-constitutionnel- politique depuis le Traité de Versailles), de regarder derrière les façades, de combattre les fictions, pour appréhender les intérêts réels et cachés en lice dans tout rapport juridique.

Le travail essentiel de ce scientifique, philosophe et juriste vise à serrer les visées particulières et de mettre à nu les mobiles réels du discours. Là encore, le concret l’emporte sur l’abstrait. L’intérêt concret est le mobile agissant du politique ; les « règles impérialistes» relèvent du discours abstrait dont on se drapera volontiers pour cacher les fins réelles.

Cette « analyse critique » du droit par Carl Schmitt que j’ai retrouvé dans les Ecoles marxistes, a une valence de modernité et d’actualité indéniables.

A ce titre, il est utile de le rappeler que « le principe d’autodétermination des peuples» (soumis à la SDN par le président américain Wilson en 1919 à titre de compensation de la décisive contribution américaine à la victoire des alliés) devra déboucher plus tard sur la décolonisation des pays colonisés quand les américains s’imposeront comme la puissance dominante après la deuxième guerre mondiale, aux fins réelles d’ouvrir les marchés des colonies anglaises et françaises à l’économie américaine où auparavant le néocolonialisme américain naissant ne pouvait y pénétrer.

A l’ONU, la notion des droits de l’homme est malmenée et déformée jusqu’à être utilisée à contre sens, sans comprendre sa dimension ethnologique. L’empereur perse Cyrus (Ve siècle avant JC) pose la liberté de culte. L’empereur indien Asoka (IIe siècle avant J.C) prohibe la torture de tous les animaux dont les humains. Le prophète Muhammed (SSLT) en législateur musulman instaurera la démocratie à Médine (Ettâadoudiya), libéra la femme et marquera de son sceau les 14 interdits universels instaurés par le Saint-Coran. Notre Prophète et ces monarques bouleversèrent les lois de leurs pays au nom des règles qu’ils pensaient universelles. La Magna Carta anglaise au 13e siècle pose qu’aucun sujet ne pourra être emprisonné sans un procès équitable. Le Bill of Right en Angleterre au 17e siècle énumère le droit des gens et ceux du parlement.

James Madison au 18e siècle aux USA, dans la ligne du Bill of Right anglais, limite le pouvoir du seul gouvernement fédéral, mais pas celui des états fédérés. La tradition anglo-saxonne affirme les droits individuels et les protège face à la « raison d’Etat ».

L’Assemblée constituante française bourgeoise en 1789 pose que le pouvoir procède du peuple et ne peut-être exercé contre lui dans la déclaration des « droits de l’homme », ce texte sera rejeté par l’Eglise et la papauté(qui consacrera l’infaillibilité du pape !), il s’agira dorénavant des « Droits de l’homme et du citoyen ».

Le suisse Henry Dunant au 19e siècle, veut protéger les populations civiles durant les guerres (Ces mêmes règles de la guerre existent dans le Saint-Coran, seront suivies scrupuleusement par Salah Eddine El Ayoubi (Saladin) et l’Emir Abdelkader). Il s’agira du droit humanitaire. Les valeurs établies pour organiser l’ordre mondial sont dorénavant, la vie, la liberté, la sureté, lutte contre l’esclavage et lutte contre la torture.

Le 10 décembre 1948, dans la déclaration universelle des droits de l’homme (rédigée par le juriste français René Cassin), l’empire britannique invente le concept de « l’ingérence humanitaire » non pas pour venir en aide à des populations opprimés, mais pour abattre l’Empire Ottoman qui n’est vu qu’à travers le prisme de la lancinante question Kurde jusqu’à nos jours.

Ce concept sera malmené et instrumentalisé 30 ans plus tard par le bravache sioniste néo conservateur straussien français, Bernard Kouchner, met en scène le sauvetage des réfugiés errant sur des bateaux surchargés, n’hésitant pas à rejeter ces hommes à la mer pour « refaire une prise » devant les caméras. Ce concept cynique sera repris pour dénier le droit à la protection du peuple palestinien et pour protéger l’Europe contre les vagues de migrants en méditerranée qui dorénavant n’auront pas le statut de naufragés et pour lesquels nous ne pourront pas appliquer le droit de la mer pour secourir des êtres humains en danger de mort par noyade !

Les « juristes engagés » allemands ((Carl Schmitt catholique pratiquant et Hugo Preuss (celui-ci d’origine juif), fût le rédacteur de la constitution de Weimar en 1918 (rédigée dans la ville de Weimar dans le Lander de Thuringe), mettant fin à la constitution de Bismarck élaborée en 1871).

Actes à l’appui, la souveraineté des vainqueurs exalte la souveraineté diminuée et dégradée de l’Allemagne qui trouve sa réalité juridique dans la constitution de Weimar dont plusieurs articles ont été imposés et exigés par le Traité de Versailles.

Hans Kelsen grand constitutionnaliste autrichien fut un opposant farouche à la hiérarchie des normes du droit qui stipule la suprématie du droit international sur le droit interne (introduit la norme juridique extirpée du droit naturel non écrit contrairement au droit positif écrit), à ce titre, Kelsen a toujours affirmé qu’on ne peut pas dissocier les textes du droit international de ceux du droit constitutionnel qui forment un ensemble exprimant la même conception du droit et du monde. Kelsen va plus loin, où vont apparaitre les Leitmotivs de sa pensée internationaliste : analyse réaliste du droit en rapport avec la politique internationale, condamnation de l’universalisme pacifiste et des institutions universalistes et du nouveau concept impérialiste de la « guerre juste ».

Carl Schmitt dans sa Théorie de la constitution dessine les rapports entre constitution et droit international. Schmitt refuse d’admettre la prééminence du traité international sur la constitution en dépit de la reconnaissance de la supériorité du Traité de Versailles par la constitution de Weimar (qui lui fut imposée en partie après la défaite de l’Allemagne) est, une des raisons décisives de la distinction par Schmitt entre constitution et loi constitutionnelle. Sa dénonciation de la pacification des relations internationales entreprise par la Société des nations va l’amener a contesté la thèse des alliés vainqueurs justifiant l’intervention militaire de « garantie du statu quo » issu du Traité de Versailles.

Carl Schmitt oppose une autre réalité juridique : « la Rhénanie germanique est un territoire occupé et démilitarisé…Or, qui dit zone démilitarisée et occupation dit perte de souveraineté et abandon de la qualité de véritable Etat » (mesures imposées à l’autorité palestinienne en Cisjordanie occupée actuellement). « Il va de soi – note Schmitt (La notion de politique p. 82) – que l’Etat qui se voit imposer une telle zone démilitarisée ou neutralisée, est par là même un Etat rétrogradé. »

La situation de la Rhénanie constitue donc une double atteinte à la souveraineté qui vient se rajouter à la situation générale de souveraineté diminuée de l’Allemagne telle qu’elle résulte du Traité de Versailles. Ce constat initial débouche sur une dénonciation virulente de l’hypocrisie du nouveau droit international qui, sous prétexte d’être universel, est un droit des grandes puissances, des puissances impérialistes.

[A l‘hypocrisie du droit international s’ajoute aussi l’hypocrisie du juriste philosophe Carl Schmitt, certes c’est un national d’un pays vaincu qui prend alors, temporairement, la défense des pays opprimés. J’ai pu noter à juste titre que lorsque l’Allemagne sera dominatrice, le juriste inversera son propos : il légitimera la domination impériale en Afrique en transposant la doctrine Monroe à l’Allemagne. Sa défense des pays faibles n’est donc que circonstancielle et ponctuelle, elle lui est imposée par le rapport des forces politiques.]

*Docteur en Physique, DEA en économie du management

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