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December 10, 2025

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La vacuité de notre souveraineté nationale ( 2e et dernière partie)

Par Dr Mohamed Belhoucine*

Carl Schmitt dans sa Théorie de la constitution (1928) décrit comment l’annexion, traditionnelle de la notion de droit international, a progressivement été remplacée par des techniques juridiques de domination moins radicales mais plus insidieuses. Ces nouvelles techniques sont des formes hypocrites de domination (rédigées par la France et l’Angleterre, les deux puissances impérialistes de l’époque), puisque les pays impérialistes font semblant de respecter la souveraineté des Etats dominés, mais leur imposent en réalité une véritable sujétion. L’originalité de Schmitt est d’avoir réussi à démasquer que cette sujétion ou dépendance de facto est bien une sujétion de jure. 

Il interprète les nouvelles techniques figurant dans les traités internationaux comme étant plus importantes que les traités eux-mêmes. L’essentiel selon lui n’est pas l’existence de traités formellement conclus, mais ces clauses d’intervention qu’ils contiennent. De ce point de vue, le Traité de Versailles « a pour particularité d’être un ‘’traité d’intervention’’ au sens spécifique du mot. C’est-à-dire de permettre aux deux parties en position de force politique et militaire (France et Angleterre), dans le traité, des interventions permanentes grâce à des notions délibérément indéterminées. » (Le cas le plus probant et le plus récent devant nous reste le cas de l’agression militaire secrète (selon la Théorie du stratège militaire anglais Basil Liddell Hart) par terrorisme interposé contre un état souverain, la République Arabe Syrienne entre 2011 jusqu’à nos jours)

Loin de reconnaitre l’égale souveraineté des Etats, le droit international moderne instituerait une hiérarchie entre l’Etat interventionniste (sous couvert du droit international sur le principe de la hiérarchie des normes) et l’Etat de l’intervention.

En sus, à la foi révélateur et vrai, il faut ajouter que dans le texte d’ébauche du Traité de Versailles la France n’a jamais admis que les peuples soient égaux et s’est opposée farouchement à ce que le texte final précise cette pensée (à l’exception du radical-républicain Léon Bourgeois prix Nobel de la paix 1920).

Ainsi, « un Etat prouve sa faiblesse en reconnaissant la primauté du droit international car ce faisant il reconnait implicitement sa sujétion juridique vis-à-vis des Etats forts ».

Cette lutte contre l’impérialisme français et anglais qui, selon Schmitt, asservit l’Allemagne passe alors par une mise en cause radicale des institutions universalistes, telles la SDN (Société Des Nations) et leurs prétentions à juridiciser complètement la pratique internationale. Loin de représenter une association égalitaire, de telles institutions profitent aux grandes puissances qui les maîtrisent et les utilisent comme une arme politique de légitimation de leurs prétentions impérialistes. La critique adressée à la Société des Nations est donc une critique dirigée contre les puissances alliées qui, en prônant le pacifisme, défendent un statu quo — le statut juridique résultant du Traité de Versailles – qui garantit leurs propres intérêts.

Dans la conception Schmitiène , le maintien du statu quo profite aux français, aux Anglais et aux Américains qui voudraient sauvegarder leur domination mondiale. Le droit international est donc instrumentalisé au profit du puissant et utilisé comme une arme contre l’Allemagne qui revendique une existence politique décente. La légalité internationale se transforme en source exclusive de la légitimité. La meilleure preuve de cette duplicité des grandes puissances réside dans le fait qu’elles refusent aux autres puissances la souveraineté qu’elles estiment en revanche indispensables pour elles-mêmes. On peut objecter que cette instrumentalisation du droit international, tant critiquée, a toujours existé. Il faut relever, Schmitt ne la critique pas lorsqu’elle permit à l’Espagne et au Portugal de légitimer juridiquement la conquête du Nouveau Continent et à la France, l’Angleterre, celle de l’Afrique et de l’Asie sans oublier le ferme soutien et encouragement de la mission prosélyte de l’église du Vatican pour christianiser les peuplades colonisées et justifier religieusement le colonialisme.

De façon pertinente, Schmitt pointe du doigt et donne pour exemple « le colonialisme anglais, lors de l’occupation de l’Irak, aimera se servir de la Société des Nations pour légaliser ses revendications sur le territoire de Mossoul (actuellement l’Irak), mais tant que l’Angleterre restera une grande puissance, elle ne laissera prescrire par aucune instance internationale la décision de savoir contre qui, en cas sérieux, elle doit envoyer la flotte anglaise ». En réponse à ces deux poids deux mesures Schmitt ajoute « Il est improbable qu’une réelle grande puissance accepte de telles limitations de sa souveraineté et il ne pourrait venir à l’idée de personne de démilitariser les côtes anglaises ».

[Mandat britannique de Mésopotamie (1920-1932) créé en 1920 par le Traité de Sèvres entre les Alliés et l’Empire Ottoman, mais réellement l’indépendance de l’Irak ne se fera qu’en 1947, après la défaite britannique qui se solda par la mort de 6000 soldats britanniques (pourtant renforcés par les collaborateurs Assyriens et Kurdes qui formaient un contingent supplétif de 12000 hommes). Les Britanniques voulaient conserver la mainmise sur le pétrole irakien, une stratégie qui nécessitait un gouvernement favorable aux ambitions colonialistes des anglais. Mais les nationalistes Arabes s’y opposèrent à cette mainmise grâce à Rachid Ali al-Gilani (1892- 1965) de noble extraction d’une grande lignée de jurisconsultes d’ascendance Arabe qui exerça la charge de Premier ministre du royaume d’Irak à trois  reprises entre 1931 à 1941 sans oublier le plus  illustre d’entre les combattants Khairallah Talfah (1910-1993) qui mena l’insurrection armée, les armes à la main, contre les britanniques , une des têtes du parti Baas irakien, il est l’oncle maternel, ainsi que le beau-père de Saddam Hussein puisque sa fille Sadjida fut la première épouse de Saddam Hussein.

A ce moment décisif, Schmitt reprend « L’Angleterre restera toujours son propre juge pour ses propres affaires, et cela s’appelle justement la souveraineté ».

La critique de l’impérialisme et de sa légitimation par le droit international redouble donc celle de la diminution de la souveraineté allemande. De façon astucieuse, Schmitt propose une défense plus théorique de la notion de souveraineté. Il recherche si cette nouvelle institution (SDN) est véritablement un Bund, une fédération, comme semble l’indiquer l’expression allemande Volkerbund (Société des Nations, League of Nations). En cas de réponse affirmative, le statu quo issu du Traité de Versailles serait légitimé puisqu’il s’agirait d’une collectivité destinée à durer, d’une véritable communauté issue non pas d’un libre contrat, mais d’un véritable traité constitutionnel. Et si le statu quo était légitime, la subordination de l’Allemagne le serait aussi. Schmitt démontre évidemment que la Société des Nations ne remplit aucune des deux conditions d’existence d’un Bund : ni le minimum de garantie ni le minimum d’homogénéité pour ses membres.

Sa démonstration, repose sur l’idée que la souveraineté est la base du droit international, mais la souveraineté telle qu’il la conçoit s’écarte des canons de la doctrine juridique dominante.  Elle ne signifie pas le droit exclusif de conclure des traités internationaux et de participer à la formation de la coutume internationale. Non ! Elle est conçue de la manière la plus décriée par la majorité des juristes c’est-à-dire encore une fois selon le modèle de la raison d’Etat. La définition juridique formulée par Schmitt est en effet une extension pure et simple au domaine du droit international de sa définition de la souveraineté intérieure en introduisant le concept de l’exception : la décision relative au cas d’exception. Schmitt écrit : « Dans les relations entre Etat, on voit ce que la souveraineté signifie dans les cas décisifs d’exception ». En sus de l’Exception Schmitt introduit un autre fort concept celui de la Décision ou Décisionnisme ajoute « La souveraineté consiste en ce que, dans un cas décisif, tout Etat qui est souverain tranche lui-même tous les problèmes qui concerne son existence et son honneur ».

Ou encore, plus loin : « est ‘’souverain celui qui décide’’ si son indépendance politique est menacée ».

En d’autres termes, la marque suprême de la souveraineté, c’est non seulement le droit de guerre, mais aussi la détention des moyens effectifs de faire la guerre. [« La question délicate ne concerne pas du tout la paix – car tous sont évidemment d’accord pour vouloir la paix –mais la question se pose de savoir qui décide in concreto ce qu’est la paix, ce qu’inclut in concreto un trouble ou une menace de la paix, et par quels moyens concrets la paix menacée sera protégée et la paix troublée ramenée. La question qui revient est toujours la même : Quis iudicabit ? (Qui décide ?).

Cruelle contradiction, cette apologie de la guerre est donc une négation complète des efforts des internationalistes favorables à la SDN qui, déjà à l’époque, associent droit international et négation de la souveraineté nationale. Elle est aussi une critique sans appel de la pratique diplomatique visant à prohiber la guerre d’agression, et qui aboutira au pacte de Briand-Kellog du 27 août 1928 (condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renoncent en tant qu’instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles). Mais surtout, la réhabilitation de la notion de souveraineté apparait, à la lumière des développements précédents sur l’occupation de la Rhénanie, comme un appel à un sursaut national contre l’occupation étrangère.

Face à une Allemagne désarmée et défaite par le Traité de Versailles, pour Schmitt, il ne reste alors que la voie diplomatique pour essayer de se prémunir son pays désarmé contre une attaque militaire de la France. A ce titre, le chancelier allemand Gustav Stresemann (1923), réaliste et pragmatique, admet qu’une politique à la Bismarck n’est plus possible dans de telles conditions, parce qu’il manque la force, signera les accords de Locarno (décembre 1925, pour une nouvelle Europe de paix (sic !)) en tant que ministre des affaires étrangères. Accusé sur sa droite de mener une politique d’abandon à cause de l’Alsace et la Lorraine, il utilise en réalité le Traité de Versailles pour obtenir des garanties de non-agression tout en restant ferme sur certains principes intouchables pour un conservateur allemand.

Schmitt, juriste conservateur et nationaliste, dissimulera son engagement de patriote sous la République de Weimar (Schmitt ne précisait pas expressément comment l’Allemagne pourrait reconquérir sa pleine souveraineté). Ses sentiments vont se manifester en des termes Hobbesiens sous le IIIe Reich qui pour lui est une  revanche que doit prendre l’Allemagne humiliée par le Traité de Versailles et les puissances impérialistes, une réaction normale d’un nationaliste allemand contrairement à ceux qui ont voulu lui coller l’étiquette injuste de pro nazi : « Tout dépend de la conscience politique, de la capacité de maîtrise du peuple allemand et cela dépend de savoir si le peuple allemand conservera sa volonté d’existence politique ou s’il se laisse physiquement et psychologiquement démoraliser de sorte qu’il serait d’accord pour rassasier, par sa propre chair et son propre sang, les Léviathans étrangers ». Que tout cela nous servira d’école et de leçons.

*Docteur en Physique, DEA en économie du management

Lire: La vacuité  de notre souveraineté nationale ( 1e Partie)

 

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