Par Mohamed Belhoucine*
L’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un droit humain fondamental reconnu dans plusieurs instruments internationaux. Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau fait l’objet du 6e objectif de développement durable des Nations Unis. D’après les estimations des Nations Unies, qui ont organisé l’année dernière la première grande conférence sur l’eau depuis plus de 45 ans, deux milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable, et jusqu’à trois milliards de personnes font face à des pénuries d’eau pendant au moins 3 mois par an.
Tandis que l’eau se raréfie en Algérie et dans le monde en raison de la démographie et du réchauffement climatique, dans ce court papier nous allons passer en revue les techniques d’accaparement systémique de cette ressource et les menaces sur l’environnement et les droits humains que font peser ces multinationales dans les secteurs agroalimentaire et de l’industrie y compris de sa revente en bouteille pour 1000 fois plus cher que l’eau du robinet par les oligarques locaux, parfois avec la complicité ou le défaut de surveillance des Etats.
Hydro-colonialisme, activités lucratives et privatisation de l’eau au profit de l’occident impérialiste, de l’oligarchie compradore locale et au détriment de nos populations.
Alors que l’eau manque déjà à une personne sur trois dans le monde, les prédateurs, et les géants de l’agroalimentaire et de l’industrie tirent profit de la surexploitation et de la pollution de cette ressource.
Les pays du Sud drainent cette ressource au profit des pays riches et au détriment des populations et des petits agriculteurs. Un jean nécessite 4800 litres d’eau, 1000 litres d’eau pour un litre de lait, un kilo de viande mouton 11.000 litres, un kilo de bœuf 15.000 litres, 1 kg de volaille 5000 litres, 155 litres d’eau pour 300 gr baguette de pain.
Au niveau mondial, seulement un quart des plus grandes entreprises agroalimentaires déclarent réduire leur consommation et leur pollution de l’eau. Seulement une sur trois communique sur la proportion des prélèvements qu’elles ont faits dans des zones de stress hydrique.
Le secteur des sources d’eau mises en bouteilles.
Le secteur de l’eau en bouteille n’est pas en reste puisque les bénéficiaires locaux de cette activité commercialisent l’eau en bouteille 500 à 1 000 fois plus cher que l’eau du robinet. En Algérie, 4 milliards de litres d’eau en bouteille par an sont consommés soit une rente juteuse qui serait de l’ordre de 1,6 milliards $.
Avec comme prime conséquence un gigantesque manquement à l’impôt reposant sur un appareil fiscal archaïque, poussé et encouragé à présenter une très haute résistance au changement et à la numérisation, inefficient, inefficace et corrompu.
Les pénuries d’eau provoquées
Ce que nous constatons actuellement en Algérie, les entreprises qui exploitent les eaux de sources misent sur les pénuries d’eau, qu’elles accentuent et qu’elles provoquent elles-mêmes en pariant sur la perte de confiance des consommateurs dans l’eau du robinet dont la qualité est diminuée par la mauvaise gestion volontaire et la pollution industrielle .
Cela contribue directement à ouvrir de nouveaux marchés, toujours plus de ressources d’eau à tarir par la surexploitation, c’est-à-dire cannibaliser et surexploiter d’autres sources d’eau avec l’appui ou défaut de surveillance de l’Etat algérien.
Le secteur de l’industrie est également responsable de 20 % des prélèvements mondiaux. A Arlit au Niger, en exploitant une mine d’uranium au nom des besoins énergétiques de la France, Orano a produit de 1971 à 2021 des déchets radioactifs qui menacent, à long terme, les ressources d’eau de plus de cent mille personnes.
La réglementation algérienne est insuffisante pour les eaux de source, absente voire dangereuse.
Ces graves violations des droits fondamentaux et de l’environnement sont enregistrées nécessitant une règlementation plus ferme, notamment en ce qui concerne le secteur privé de l’exploitation et la commercialisation de l’eau de source, ou qui participent activement à une mauvaise utilisation de la ressource en eau. A l’étranger,le cas le plus édifiant, que nous allons prendre comme étalon est celui de Volvic (Danone), qui extrait de l’eau de la nappe de Volvic situé dans le massif central en toute légalité. En 2023 l’entreprise a réalisé près de 900 millions d’euros de bénéfices et versé 1,2 milliard euros de dividendes à ses actionnaires.
Beaucoup de pays gèrent l’eau de source comme si elle était abondante alors qu’elle devrait s’adapter à sa raréfaction. La recherche du profit maximal par ces entreprises leur interdit de s’autoréguler.
Il est crucial que l’Etat algérien encadre sévèrement ou « nationalise » l’activité des entreprises qui accaparent les eaux de sources et minérales
Les Etats encouragent même parfois subventionnent, des installations privées, et ce à rebours d’un large consensus scientifique sur la menace que représente à long terme la raréfaction de la ressource en eau. Au niveau mondial, 520 milliards de dollars de financements publics ont été accordés, par an entre 2013 et 2018, aux pratiques du secteur agricole, notamment l’irrigation, qui sont nuisibles à l’environnement. ( Source : Earth track. (2022). Protecting nature by reforming environmentally harmful subsidies: The role of business).
Pour limiter cette crise mondiale de l’eau annoncée, il faut réduire drastiquement la consommation et la production d’agrocarburants aquavores (biomasse), en régulant plus strictement les impacts sociaux et environnementaux des multinationales sur la chaîne de valeur en accroissant significativement les financements publics pour favoriser l’accès à l’eau aux populations les plus vulnérables à travers le monde.
Notamment :
– Bannir à jamais l’accès à la ressource en eau par les multinationales et les
prédateurs locaux.
– Contraindre les Etats à assumer leur responsabilité historique dans la préservation de l’or bleu, en assurant un financement ambitieux de l’adaptation et de l’accès universel des populations à ce précieux liquide. Les pays riches doivent tenir leur promesse d’aide de 100 milliards $ par an entre 2020 et 2025, en faveur des infrastructures en eaux (adduction, déminéralisation etc..) des pays en développement.
– Opérer une transition de l’agro-industrie vers l’agro-écologie.
*Docteur en sciences physiques. DEA en économie