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L’Algérie doit-elle vivre entourée de symboles de son martyre ?

Comme je l’ai souligné dans ma précédente contribution consacrée au patrimoine culturel français colonial érigé en Algérie 1, depuis la dégradation de la statue de Sétif, l’emblématique Aïn El-Fouara, la controverse n’en finit pas d’alimenter le débat, d’aiguiser les dissensions entre les partisans de la préservation de la statue sur son site actuel et les tenants de sa destruction. Sans compter les quelques défenseurs de son transfert dans un musée. 

Par: Khider MESLOUB

Comme je l’ai souligné dans ma précédente contribution consacrée au patrimoine culturel français colonial érigé en Algérie 1, depuis la dégradation de la statue de Sétif, l’emblématique Aïn El-Fouara, la controverse n’en finit pas d’alimenter le débat, d’aiguiser les dissensions entre les partisans de la préservation de la statue sur son site actuel et les tenants de sa destruction. Sans compter les quelques défenseurs de son transfert dans un musée. 

Une chose est sûre, il y a une différence fondamentale entre cette statue de Sétif, œuvre d’un sculpteur français métropolitain, érigée pour enchanter le regard triomphal des pieds-noirs, et l’ensemble des infrastructures réalisées du temps de la colonisation de l’Algérie par la France : c’est la seule œuvre qui n’a pas été construite par les Algériens, mais par un Français pour les colons. Tout le reste a été bâti par les Algériens. 

Aussi peut-on proclamer que tous les édifices et bâtisses de la période coloniale sont l’œuvre des Algériens. Les colons français ont été certes les concepteurs et architectes, mais les Algériens ont été les véritables bâtisseurs. Toutes les infrastructures de l’époque coloniale ont été bâties par la main-d’œuvre algérienne, avec les matières premières algériennes, les ressources naturelles algériennes, qui est plus sur le territoire algérien. Donc elles reviennent de droit à l’Algérie, elles sont la propriété collective du peuple algérien. 

Autre différence entre la statue d’Aïn El-Fouara, qui n’est pas une œuvre d’art mais un art de la mise en œuvre de l’aliénation du peuple algérien, et l’ensemble des infrastructures bâties à l’époque coloniale, ces dernières ont une réelle et primordiale Utilité Sociale. 

La notion d’Utilité Sociale permet de distinguer les œuvres (et activités) servant fondamentalement l’intérêt de la société dans son ensemble de celles qui servent essentiellement l’intérêt d’individus ou d’agréments à un groupe d’individus. En l’espèce, les intérêts catégoriels et particuliers des pieds-noirs, des colons. 

Les œuvres d’Utilité Sociale (bâtiments, hôpitaux, routes, ports) doivent être évidemment préservées, entretenues et perfectionnées. En revanche, les œuvres individuelles, émanation de la culture coloniale française, fondée sur la négation de l’identité nationale algérienne, symboles du colonialisme génocidaire, doivent être extirpées de l’espace public, depuis 1962 redevenu algérien.

Une comparaison nous aidera à mieux saisir le choix traumatique auquel est invité à se prononcer (se soumettre) l’Algérien.

C’est comme si on demandait (imposait) à une femme victime de séquestration et de viol par un dangereux prédateur sexuel de conserver, une fois libérée des griffes de son martyriseur, en souvenir des huit horribles jours passés dans sa maison avec son cambrioleur métamorphosé en violeur séquestreur, tous les accessoires appartenant à son bourreau. 

Autrement dit, de préserver précieusement, en signe de décoration esthétique et en guise d’hommage mémoriel, tous les accessoires utilisés durant son calvaire par son tortionnaire pervers sexuel : fouet, menottes, bandages, bâillon, collier, godemichet, et même (désolé pour la crudité du propos) les préservatifs usagés.

Comment réagirait-elle ? Cette préconisation serait-elle morale ? Comment vivrait-elle la présence quotidienne des symboles de son martyre ? Devrait-elle consentir à conserver dans sa chambre les accessoires de volupté de son violeur sous couvert d’une esthétique de la mémoire ou de leur valeur esthétique érotique ? Voire car il s’agirait d’un butin de guerre de la concupiscence susceptible d’être ardemment employé par elle comme une arme de conquête de la sensualité pratiquée par son bourreau ?

En l’espèce, nous n’avons pas affaire à une femme (ou un homme) qui, car longtemps officiellement mariée à un homme choisi par amour, une fois par consentement mutuel divorcée, décide de conserver, en guise d’hommage rendu aux moments de bonheur partagés ensemble, pour léguer à ses enfants un mémorial familial impérissable, tous les souvenirs liés à sa vie conjugale.

Donc, sur cette problématique liée à la place du patrimoine culturel colonial français édifié en Algérie, notamment les monuments et statues, la situation de l’Algérie s’apparente plutôt au premier exemple. Une Algérie victime d’un crime contre l’humanité commis par la France coloniale.

Comme l’a écrit l’écrivain polonais Stanislaw Jerzy Lec, « Le viol d’une conscience ne fait-il pas nécessairement violence à une vertu ? ». 

L’Algérie devrait-elle se faire violence et conserver les œuvres coloniales décriées, témoins de son martyre, du viol protéiforme de sa nation, d’autant plus que ces forfaits barbares sont récents, imprégnant encore douloureusement la mémoire de nombreux Algériens survivants (on n’épilogue pas sur des statues et monuments datant de l’époque antique) ?

1) Que doit-on faire du patrimoine culturel colonial français érigé en Algérie ?, publié dans Algérie54 le 18 février 2024

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