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December 9, 2025

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L’ancestrale militarisation de la France toujours centrale (II)

Par Khider Mesloub

Nul doute, la politique agressive interventionniste française vise à compenser sa faiblesse économique, sa marginalisation militaire. En proie à une très forte désindustrialisation (en 30 ans, 2,5 millions d’emplois industriels ont été détruits), au décrochage économique, au déclassement social de ses populations actives en voie de paupérisation et de prolétarisation, la France est réduite à s’octroyer par la force armée les moyens de ses ambitions d’hégémonie mondiale.

Tout se passe comme si les engagements militaires de la France constituent l’ultime programme politique pour préserver ses positions géostratégiques, son rang de puissance mondiale désormais en déclin.

Aujourd’hui, à la faveur de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la France se prépare-t-elle à entrer en guerre pour suppléer son déclassement économique, juguler sa déliquescence politique et culturelle, dévoyer le mécontentement social de sa population foncièrement frondeuse ?

Bien avant l’agression de la Russie contre l’Ukraine, l’inclination à la militarisation et à la hausse des dépenses militaires avait entamé son essor en France. De même, la rhétorique belliqueuse avait envahi la politique internationale des autorités françaises. Inexorablement, la guerre en Ukraine va accélérer le militarisme de la France.

Déjà ces derniers mois la surenchère hystérique militariste a envahi l’espace médiatique français. On assiste à une outrancière militarisation de l’information. Jamais les médias français, notamment les chaînes de télévision, n’avaient été autant colonisés par une horde de généraux colériques pour mener une véritable guerre de l’information, autrement dit propager, tel un virus létal, leurs discours va-t-en-guerre contre la Russie. Ce bellicisme médiatique est une première dans les annales. Les plateaux de la télévision française sont devenus des officines d’intoxication mentale polémologique. L’écrivain Georges Bernanos, pour fustiger la France décadente, avait écrit en 1938 (dans « les Grands Cimetières sous la lune ») : « La colère des imbéciles remplit le monde ».

La politique de militarisation et (donc de la guerre) de la France est confirmée par le projet la « Boussole stratégique » défendue par le président français Macron, qui a des ambitions de leadership militaire de l’Europe dignes de Napoléon 1er.

Par l’adoption du document la Boussole stratégique, Emmanuel Macron entend s’assurer des bénéfices à l’industrie française de l’armement. Une industrie historiquement liée au gouvernement. Un secteur militaire classé troisième exportateur mondial d’armes.

Avec la militarisation de l’Europe, actée par le projet la Boussole stratégique, les entreprises françaises du secteur de l’armement escomptent multiplier leurs ventes grâce à l’augmentation substantielle du Fonds européen de défense (les pays de l’Union ont dépensé 198 milliards d’euros en 2020. La plus forte hausse depuis quinze ans (+5%), hausse vouée à s’accélérer, notamment sous l’impulsion de l’Allemagne qui vient d’annoncer le déblocage de 100 milliards d’euros pour moderniser son armée).

Depuis quelques temps, à lire les déclarations des hauts gradés militaires français, tout indique que la France fourbit ses armes pour des interventions impérialistes de grande ampleur, dans le dessein de rétablir sa puissance déclinante.

Comme l’avait déclaré le chef des armées françaises Thierry Burkhard au journal The Economist, la France mobilise son armée en vue « de conflits de haute intensité ». « L’armée de Terre doit changer d’échelle et se préparer à des conflits plus durs. » Autrement dit, des conflits d’État à État.

Son confrère, le général Vincent Desportes, dans une interview accordée au journal numérique Atlantico, confirmait ces orientations militaristes : « Je crois qu’aujourd’hui il serait déraisonnable de ne pas imaginer une guerre beaucoup plus vaste et beaucoup plus violente, engageant beaucoup plus de moyens que les conflits que nous conduisons depuis la fin de la Guerre Froide. » (…). « Les guerres de demain ne seront pas les guerres du terrorisme, c’est une parenthèse qui va se refermer et les guerres de demain seront probablement des guerres interétatiques qui pourront être extrêmement violentes, même si probablement pas très longues ; il faut donc que l’armée française s’y prépare. ». (…). « Il faut que l’armée française retrouve des capacités d’engagement beaucoup plus massif. Aujourd’hui l’armée française serait incapable d’engager une division – pas un corps d’armée – capable de manœuvrer, et c’est pour ça que cet exercice (Orion) vise à redonner à l’armée française l’habitude à engager et commander des moyens sur de vastes espaces et des durées longues. »

Le chef d’état-major des armées, Thierry Burkhard, avait également, le 6 octobre 2021, devant la Commission de la défense de l’Assemblée nationale, énoncé la nouvelle doctrine militariste française. Pour le chef d’état-major des armées, la France doit pouvoir « gagner la guerre avant la guerre ». Autrement dit, les armées françaises doivent être en guerre permanente pour éviter toute défaite. Ainsi, elles sont entraînées à s’entraîner à la guerre pour renforcer leurs capacités militaires, leur puissance de frappe. Selon le général Burkhard, les armées doivent « être taillées pour jouer dès le temps de la compétition, être crédibles pour ne pas se faire imposer la volonté des autres, être prêtes à l’affrontement mais sans le rechercher ». « Longtemps on a parlé d’un cycle paix-crise-guerre qui n’est plus pertinent. Aujourd’hui, les phases de paix sont devenues des phases de compétition permanente dans les champs diplomatique, économique, culturel, militaire, industriel… Les grands acteurs cherchent à imposer leur volonté », avait ajouté le général Burkhard. « La France doit être en mesure de conduire des guerres hybrides. Le terme hybride a une connotation négative, mais c’est ce que nous faisons déjà en combinant des actions de nature différente », avait expliqué le général. L’enjeu de l’hybridité est « de freiner voire d’empêcher l’autre de décider en faisant planer sur lui une incertitude », avait-il résumé. Toujours selon le général Thierry Burkhard, pour défendre les intérêts de la France, les armées françaises doivent progresser afin de contrer les opérations d’influence dans les « champs immatériels » (réseaux sociaux, flux d’information, cyber, etc.).

Lors de son intervention devant la Commission de la défense, le général Burkhard avait également souligné que les conflits armés à venir seront de « haute intensité », autrement dit il faut se préparer à des affrontements plus durs, à plus grande échelle, qui se traduiront par de lourdes pertes humaines.

Des exercices de combat de grande ampleur sont déjà à l’œuvre, notamment au travers de l’opération « Orion » visant à préparer l’hypothèse d’un engagement majeur (HEM), selon la terminologie polémologique française.  L’exercice Orion, prévu se caractérisera par le déploiement de toutes les capacités militaires françaises à une échelle inégalée depuis des décennies. L’opération compte mobiliser plusieurs milliers de soldats. Outre les troupes au sol, l’armée de l’air et la marine participeront également aux exercices de combat.

Actuellement, la France dispose de 5100 soldats au Sahel dans le cadre de l’opération Berkhane. Or, pour assurer le succès des futures opérations militaires, la France compte augmenter ses forces armées pour atteindre 25 000 soldats.

Si, au cours des dernières décennies, pour justifier ses interventions militaires, la France invoquait le prétexte de la lutte contre le terrorisme, désormais, avec l’épuisement de cet alibi devenu inopérant à force d’instrumentalisation outrancière, d’autres mobiles seront allégués pour légitimer ses guerres de conquêtes (la lutte contre les pays autocratiques, au nom de la défense de la « démocratie » ?).

Sans attendre, pour ces préparatifs de guerre, l’État français a constitué plusieurs groupes d’experts afin d’étudier toutes les éventualités. Notamment la question de l’acceptabilité par les citoyens d’un nombre élevé de morts, jamais égalé depuis la Seconde Guerre mondiale.

 À cet égard, les pays ciblés par cette « guerre de haute intensité » ne sont pas nommément désignés. Cependant tous les experts s’accordent pour citer, outre la Russie, la Turquie, un pays d’Afrique du Nord (serait-ce l’Algérie ? : intervention militaire française épaulée par le Maroc, aidée en arrière par Israël, nouvel allié du Makhzen en voie également de militarisation accélérée, de bellicosité déclarée).

Un auteur a écrit à juste titre : « La guerre ? Un constant d’échec. » En tout cas, c’est le constat d’échec qu’on pourrait établir de la France, réduite à guerroyer sur les champs de guerre extérieure pour maintenir son rang au prix de la destruction de pays, au lieu d’œuvrer sur les chantiers de son économie intérieure pour bâtir son pays.

Curieusement, d’aucuns vantent le pacifisme de Macron. Or, sous sa présidence les dépenses militaires auront augmenté de 46%, passant de 32 milliards en 2017 à plus de 50 milliards d’euros à l’issue de son premier mandat. Bien éloigné du prétendu renouvellement démocratique claironné par Macron, ce dernier a imprimé une dimension militariste à son régime, par l’augmentation exponentielle du budget de l’armée (confirmant la préservation de la centralité du complexe militaro-industriel,  fleuron de l’impérialisme français) et le durcissement autoritaire du pouvoir, matérialisé par la militarisation de la société, inaugurée par la répression sanglante du mouvement des Gilets jaunes, parachevée par la dictature sanitaro-sécuritaire instaurée à la faveur de l’apparition de la pandémie de Covid-19, exacerbée par ses déclarations belliqueuses à l’égard de l’Algérie et de la Russie.

Lors de l’inauguration du Salon de l’armement terrestre et aéroterrestre Eurosatory le 13 juin 2022, le président Macron avait déclaré « qu’il faudra désormais entrer dans une économie de guerre ». Autrement dit, pour Macron l’industrie de la défense doit rentrer dans une « économie de guerre ». (…) « On ne peut plus vivre avec la grammaire d’il y a un an », avait insisté le président. Et d’ajouter « qu’il faudra s’organiser pour produire davantage et moins cher ».

Emmanuel Macron avait souligné que la guerre en Ukraine obligeait non seulement à revoir la loi de programmation militaire mais aussi à s’interroger sur l’appareil de production de défense de la France. Pour ce faire, le président avait confié au ministre des Armées, Sébastien Lecornu, et au chef d’état-major des Armées, Thierry Burkhard, la tâche de réévaluer la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, pour « ajuster les moyens aux menaces ». « Nous avons besoin de renforcer une industrie et une base industrielle et technologique de défense européenne beaucoup plus forte et beaucoup plus exigeante […], sinon nous construirons les dépendances de demain », avait insisté le président.

Résultat : l’Assemblée nationale vient d’adopter largement la loi de programmation militaire. Désormais, le budget des armées prévoit 413 milliards d’euros de dépenses pour les années 2024-2030. Soit 40% de plus que pour la précédente loi de programmation militaire 2019-2025 (295 milliards).

Pour information, ce budget militariste a été adopté à une large majorité (408 pour sur 495 suffrages exprimés, 87 contre). Autrement dit, certains députés de gauche, notamment ceux de la NUPES, ont voté pour ce budget militariste. Comme le titrait le journal économiste Les Échos « Loin du désordre des retraites, les débats ont été, de l’avis général, apaisés et constructifs ». Voilà : il y a eu union sacrée pour voter le budget des guerres, des engins de mort.

L’augmentation de ce budget militariste sera financée grâce aux deux années de travail gratuites fournies par les 27 millions de salariés (donc deux années de travail volées car le salarié, s’il était parti à la retraite à 62 ans comme prévu par la loi, aurait bénéficié d’une pension sans devoir travailler, profitant de sa retraite méritée). Autrement dit, ce budget militariste sera financé par les économies réalisées sur le paiement des retraites dorénavant repoussées à 64 ans. L’État des riches de la France ne versera plus de pensions à des retraités avant l’âge de 64 ans. Ce seront eux qui devront désormais verser, durant deux années supplémentaires, 25% de leur salaire aux caisses de l’État (pour soutenir ses efforts de guerre en préparation). Pour rappel, chaque mois, les salariés du privé se privent de plus du quart de leur salaire pour financer leur future retraite, qui ne cesse de reculer jusqu’à l’âge de la tombe.

Pour sa part, la direction générale de l’armement, structure dépendante du ministère français des Armées, prône l’adoption d’un texte législatif qui permettrait de réquisitionner des matériaux ou des entreprises civiles à des fins militaires, sans que la France soit formellement en guerre, comme l’encadre la loi aujourd’hui. Ainsi, grâce à l’adoption de ce dispositif, l’État français pourrait demander à certaines entreprises d’utiliser leurs capacités de production civiles à des fins militaires.

Toujours lors de cette conférence, Macron n’avait pas manqué d’étriller l’Allemagne, accusée d’acheter en priorité des F-35 et des Chinook avec ses nouveaux moyens financiers considérablement augmentés à la faveur de la guerre en Ukraine. « Dépenser beaucoup pour acheter ailleurs n’est pas une bonne idée », avait déploré le président Macron. Le renforcement des capacités de défense passe également par davantage de coopération européenne, avait longuement insisté le président, qui rêverait d’une « préférence européenne », autrement dit d’une préférence française en matière d’achat du matériel militaire.

Depuis plus d’un siècle, pour résoudre ses contradictions internes matérialisées notamment par la crise de valorisation du capital, le capitalisme recourt à la guerre généralisée destructrice. En effet, le capitalisme, depuis le début du XXème siècle, fonctionne essentiellement sur le mode de la triade : Crise/Guerre/ Reconstruction.

Aujourd’hui, dans cette phase de crise multidimensionnelle, l’ère de la guerre totale est ouverte. Celle de la conflagration généralisée imminente, inaugurée par le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine.

À la veille de la Deuxième Guerre mondiale, Hitler déclarait, en guise de justification de l’entrée en guerre de l’Allemagne étranglée par le blocus économique imposé par les « Alliés », assoiffée d’espace vital lucratif : « l’Allemagne doit exporter ou périr ».

La France, en proie au décrochage économique, qui n’a rien à exporter sinon sa technologie meurtrière et sa propension atavique interventionniste armée, semble renouer avec cet agenda militariste séculaire : « La France doit guerroyer ou périr ».

Lire aussi: L’ancestrale militarisation de la France toujours centrale (I)

 

 

 

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