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TRIBUNE

Le dégagisme comme le « barragisme » ne sont point de l’engagisme mais de l’angélisme et de l’enragisme (II)

C'est un mouvement contestataire polymorphe, mais toujours à la combativité amorphe, à la perspective politique fantasmagorique, aux propositions économiques folkloriques, au programme social fantomatique. 

Par Khider Mesloub

C’est un mouvement contestataire polymorphe, mais toujours à la combativité amorphe, à la perspective politique fantasmagorique, aux propositions économiques folkloriques, au programme social fantomatique. 

C’est un mouvement dépourvu de vision politique. Aussi, affecté par la cécité politique, navigue-t-il à vue. De là s’explique qu’il s’engage aveuglément souvent dans les dédales de revendications étroites, sans horizons politique et sociale. Il n’envisage jamais d’emprunter les grands boulevards de l’émancipation sociale collective, mais les sentiers sinueux de la libération narcissique et libidinale.  

La lutte contre l’aliénation et l’exploitation a été remplacée par la promotion de la démocratie bourgeoise, au moment où partout celle-ci s’essouffle, se désagrège du fait de son impuissance politique avérée et de sa déliquescence économique avancée. (Du reste, le barragisme s’inscrit également dans cette dynamique interclassiste et capitaliste, puisqu’il défend l’ordre existant, l’économie de marché et la marche de l’économie vers la militarisation de la production et la caporalisation des travailleurs.)

Le dégagisme promeut la démocratie, notion abstraite car elle ne renvoie à aucune réalité sociale ou économique, réalité déconnectée de la sphère politique. (Tout comme le barragisme promeut l’épouvantail fasciste fantasmé car il ne se rapporte à aucune réalité, pour pérenniser la domination des classes dirigeantes installées au pouvoir exécutif, parlementaire et politique.)

Paradoxalement, le dégagisme n’introduit jamais la lutte au sein du monde du travail, dans les entreprises, mais uniquement dans l’univers éthéré de la sphère politique, au sein d’instances dépourvues de tout pouvoir économique, détenu par les classes dominantes, les puissances financières. (Tout comme le barragisme qui prône la lutte contre le fascisme par les urnes mais jamais par les armes de la grève générale et l’occupations d’usine pour faire plier son principal soutien, le capital.)

Le dégagisme revendique la transition politique sans transiter par la politique

Le mouvement dégagiste ne cherche pas à renverser le cours de l’histoire. Ses revendications, portées par des individus atomisés révoltés, récusant toute forme de hiérarchie et de délégation de pouvoir, exprimées en dehors de toute structure organisationnelle traditionnelle, se réduisent à rejeter les dirigeants, les formations politiques et leurs programmes, les centrales syndicales, la récupération politicienne. Mais sans proposer d’alternative politique, de solutions économiques. Ni une alternative politique, ni une société alternative. (Tout comme le barragisme déclenché par les gouvernants et les partis institutionnels dominants du moment, s’ils prétendent lutter contre l’avènement du fascisme, ce n’est certainement pas par des propositions d’alternative politique, de nouveaux projets économiques.)

Le dégagisme revendique la transition politique sans transiter par la politique. En fait, il ne se bat pas pour changer les fondements économiques de la société mais veut uniquement modifier les pratiques politiques. C’est le degré zéro de l’engagement politique. (Avec le barragisme, c’est la même absence de modification de fondements économiques et pratiques politiques qui animent ses partisans artisans du statu quo, du maintien du chaos.)

Grâce au dégagisme, le capital aura réussi à se dégager de toute remise en cause. Le mouvement dégagiste lui assure sa sécurité, sa pérennité, sa rentabilité. (Le barragisme, lui, assure la sécurité, la rentabilité et la pérennité des protecteurs institutionnels du capital, gouvernants et politiciens du moment.)

En fait, le mouvement dégagiste ne propose aucun débouché politique en termes de programme. Pour le dégagisme, il n’est nullement question de renverser le capitalisme. Son combat est purement populiste. Il proclame lutter juste contre l’humiliation, l’accaparement du pouvoir et des richesses par la caste minoritaire dirigeante (ou plutôt juste dérangeante car elle ne lui distribue pas assez de prébendes rentières, notamment en Algérie), contre la répression policière, mais paradoxalement jamais contre l’oppression et l’exploitation capitaliste. 

Le képi (policier) est érigé en unique ennemi à combattre dans les rues lors de stériles émeutes (le Mouvement des Gilets jaunes illustra parfaitement cette dérive de la violence futile portée par ces dégagistes). Mais jamais le capital, personnifié par les patrons et les financiers, pourtant véritables responsables de l’exploitation et de l’oppression.  

Quoique parfois exprimé sous des formes radicales, notamment par l’usage de la violence, le mouvement dégagiste aspire uniquement amender la démocratie, par l’instauration de nouveaux droits, non la mettre pénalement à l’amende : la remettre en cause. (Tout comme les barragistes affairistes institutionnels qui se cantonnent à défendre « leur démocratie lucrative » contre les empiètements des cliques politiciennes mafieuses rivales, taxées de « fascistes » pour les disqualifier et leur barrer la route du pouvoir, ne proposent nullement la moralisation et la purification de leur démocratie marchande moribonde.)

Le dégagisme est le meilleur défenseur de la démocratie bourgeoise. Il verse dans l’activisme effréné pour mieux freiner la réflexion de la praxis : il prône la politique de l’action, mais en ne s’appuyant sur aucune théorie politique. C’est la praxis pure, dépourvue de toute théorie. La réflexion constructive a cédé devant l’action destructrice. C’est la politique du coup de poing. De l’émeute. Des barricades. Érigée en pratique normalisée. 

Aucune conscience de classe n’anime sa lutte. Aucun projet d’émancipation humaine n’inspire son combat. Aussi, réduit-il son combat à des actions immédiates imprévisibles et inorganisées, souvent éparpillées en de multiples collectifs sectoriels (identitaire, religieux, féministe, écologique, etc.).   

De manière générale, si l’irruption des luttes sociales traditionnelles permettait d’interrompre le bon fonctionnement du monde marchand pour le subvertir par la paralysie économique en vue de l’anéantir, le surgissement du mouvement dégagiste, quant à lui, s’érige juste en instance de rééquilibrage politique pour huiler les rouages de la société marchande par une meilleure redistribution des richesses dans le maintien des inégalités sociales, la préservation de la société de classe, du mode de production capitaliste. 

Aussi, à la lutte consciente collective menée en vue du renversement de l’ordre établi, le mouvement dégagiste privilégie-t-il les petites actions spontanées de désobéissance civile et les doléances citoyennes pour améliorer la démocratie par le colmatage politicien. (Tout comme le barragisme qui vise uniquement à préserver les intérêts du capital et à persévérer à se placer comme son unique mandataire dans la gestion lucrative des institutions étatiques, parlementaires et politiques du pays.)

Le mouvement dégagiste refuse de penser une lutte en rupture avec la société capitaliste. De là s’explique qu’aucune personnalité, aucun leader n’émerge au sein du mouvement dégagiste, à l’exemple du Mouvement 22 février en Algérie et des Gilets jaunes en France, tous deux dégagés, au final, de l’Histoire comme une inopportune excroissance impolitique. (Tout comme les barragistes du moment finiront par être, soit expulsés par leurs maîtres, soit balayés par la révolution.)    

Le dégagisme verse dans l’hystérie politique par des actions autodestructrices et l’autoflagellation sociale 

Adepte de la désobéissance civile et de la non-violence, le mouvement dégagiste cultive abondamment l’activisme routinier exprimé dans des postures moralisantes et par des suppliques éplorées. D’où sa propension à recourir aux conciliantes pétitions, aux convocations de référendums « démocratiques » organisés au sein de la dictature capitaliste, qui, elle, par la répression et l’incarcération des protestataires, vient leur rappeler qu’elle ne verse pas dans l’angélisme.   

Animé par l’instinct, le dégagisme verse souvent dans l’hystérie politique par des actions autodestructrices et l’autoflagellation sociale. Ce mouvement régressif a troqué le principe de réalité contre le principe de plaisir. C’est un mouvement d’enfants gâtés. D’enfants rois qui méprisent le peuple, mais jalousent les classes privilégiées régnantes auxquelles ils s’identifient, et surtout qu’ils voudraient remplacer. Le mouvement dégagiste surgissant souvent spontanément, il est normal qu’il privilégie l’immédiateté et l’urgence. (Tout comme le mouvement barragiste, dont le mépris du peuple est proverbial, œuvre des élites gâtées, instinctivement défend avec acharnement, y compris par la diffamation et la criminalisation de ses adversaires politiques, sa chasse gardée, le contrôle de l’État et des institutions parlementaires, pour éviter d’être délogé)

L’action directe et la revendication protéiforme, jamais cohérente ni coordonnée. Et son combat ne s’inscrit jamais dans la perspective d’un changement de société. Quelques ridicules concessions accordées par le pouvoir suffisent pour apaiser sa colère, rabattre ses revendications. Un simulacre de remaniement ministériel suffit pour dégonfler ses prétentions combatives. Pour le faire regagner sa niche, après ses aboiements bienveillants.  (Tout comme le barragisme, dont l’incohérence et l’amateurisme constituent la marque de fabrique, se contente d’un simulacre et chaotique remaniement gouvernemental et parlementaire arraché au forceps au moyen d’une élection éclair organisée dans la précipitation, pour apaiser ses craintes de perdre le pouvoir, c’est-à-dire sa rente politique.)

Dans l’optique sans perspective du dégagisme, l’action doit se limiter à l’exercice de pressions sur le pouvoir, à l’usage de l’influence (lobbying) pour infléchir les politiques gouvernementales, au recours aux manifestations pacifiques en vue d’arracher des utopiques droits politiques. (Le barragisme exerce, lui, la pression et le chantage au fascisme sur les électeurs pour obtenir leurs suffrages, arracher leur vote par le dol, d’aucuns diraient le vol d’un consentement électoral obtenu par des pressions politiques et médiatiques dignes des méthodes employées couramment par la mafia.)

Ainsi, les actions doivent aboutir à l’aménagement du capitalisme par le truchement des contre-pouvoirs institués aux fins de favoriser les politiques d’assistanat social, et surtout les revendications sociétales très prisées par les classes petites-bourgeoises en phase avec le nouveau capitalisme libertaire. 

En résumé, pour le dégagisme, la politique doit consister à gérer la misère et non à l’abolir. À négocier quelques accessoires aménagements politiques, à arracher pacifiquement quelques marginales concessions sociales éphémères. Aussi, le dégagisme est-il un mouvement foncièrement réformiste. Et le réformisme est l’autre nom de l’angélisme. » (Tout comme le barragisme est un mouvement interclassiste foncièrement bourgeois animé par la rage du mauvais perdant. C’est un mouvement d’enragés au programme gouvernemental fondé sur l’enragisme, la rage politique.) »

Lire: Le dégagisme comme le «barragisme» ne sont point de l’«engagisme» mais de l’angélisme et de l’«enragisme» (I)

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