Par Abdellali Merdaci
Macron retourne chez lui en France après avoir obtenu de l’État algérien des réponses rassurantes sur différentes dossiers qu’il a traités directement avec M. Tebboune, entre autres celui du gaz algérien et d’un futur « partenariat » à bâtir. Quelques positions du président français révélées au gré de ses haltes algériennes mériteraient de plus amples informations si elles ne sont pas que des ballons-sondes, juste pour occuper le terrain, les observateurs politiques et les médias. Ou la plus indignée réprobation.
1°) Une commission d’historiens français et algériens .
Je ne sais pas si l’annonce par le président français sur l’installation envisagée d’une commission franco-algérienne d’historiens sur la question mémorielle a été décidée avec son homologue algérien – ou s’il s’agit d’une proposition personnelle. Après l’échec de la mission Stora-Chikhi, approuvée par MM. Macron et Tebboune au début de l’année 2021, qui n’a abouti à aucune démarche commune relativement aux impasses de la question mémorielle, il n’est pas assuré qu’une commission d’historiens français et algériens aux thèses souvent décalées entraine d’utiles résolutions. Si les historiens pressentis par l’Algérie ont été formés – ou sont actuellement formés en France – la balance penchera du côté exclusif de la France et les propositions de cette commission resteront lettre morte. Il y a, effectivement, chez nombre de chercheurs algériens passés par l’Université française une tendance historienne qui n’accordera jamais ses faveurs à l’histoire du mouvement national. Pour des raisons de politique intérieure. C’est moins un problème de méthodes de la recherche historienne, qui sont universelles, mais d’inflexion idéologique : un historien néo-hirakiste, pétitionnaire à Paris, se dressera toujours contre l’État algérien.
Je ne connais pas la situation actuelle des historiens exerçant en Algérie, je dirais des nouvelles générations d’historiens, de l’Université algérienne. Mais l’édition devrait donner des indications sûres sur les potentialités académiques algériennes dans le domaine de l’histoire contemporaine : le nombre de publications originales postdoctorales reste infime pour informer de l’émergence d’historiens crédibles au niveau international. À Paris, le professeur Benjamin Stora pourrait mobiliser une quarantaine d’historiens de l’Algérie à la compétence avérée. Combien y en aura-t-il derrière M. Abdelmadjid Chikhi, directeur des Archives nationales et conseiller de M. Tebboune pour les questions mémorielles ? Je ne crois pas que la solution, s’il y a effectivement solution et s’il convient d’en attendre dans un conflit de mémoires, viendra d’une commission d’historiens qui ne pourront jamais imposer sur l’écriture de l’histoire de la colonisation française en Algérie une perception suffisamment partagée des faits, qui ne sont pas négociables. Comment, par exemple, lire la francisation collective de la communauté juive d’Algérie par le décret Crémieux, en 1871 ?
Je ne pense pas que les historiens français et algériens soient des négociateurs de frontières de l’histoire ni qu’ils soient qualifiés pour décider d’un imaginaire des peuples en France et en Algérie. Profitant de son exceptionnelle proximité avec M. Tebboune, qu’il a injurié voilà une année déjà, qui se montre en la circonstance d’une signalée magnanimité et bienveillance, M. Macron aurait dû rechercher à Alger un traité d’amitié, il est vrai très conjoncturel. Le peuple français, du côté de l’agresseur, et le peuple algérien, agressé, doivent garder chacun sa propre histoire et ne pas l’imposer à l’autre. La paix entre les peuples n’est jamais consentie à l’excellence d’un traité d’histoire. Ni à un bornage d’historiens.
2°) L’Algérie contre les guerres coloniale.
Macron a exprimé une curieuse opinion sur une Algérie qui ne soutiendrait aucune guerre coloniale dans le monde : « L’Algérie ne peut qu’être contre une guerre coloniale » (Cnews, 26/08/2022). Les télévisions françaises ont donné un large écho à cette déclaration, sur le mode alambiqué de la prétérition, qui désigne bien entendu, la guerre en cours entre la Russie et l’Ukraine. Pour autant que MM. Macron et Tebboune aient discuté de cette sensible actualité politico-militaire en Europe, ne fallait-il pas laisser le président algérien donner son avis sur « la guerre coloniale », pour autant qu’il s’agisse entre la Russie et l’Ukraine d’une guerre coloniale. Et, il convient de dire et de répéter que ces derniers mois M. Tebboune a été dans la plus vive clarté, ne laissant rien dans l’ombre, concernant les deux guerres coloniales qui agitent la région Maghreb et le monde arabe : celle que mène le royaume du Maroc avec l’appui de la France, des États-Unis d’Amérique et d’Israël contre le peuple sahraoui ; celle d’Israël, avec l’assentiment des mêmes, contre le peuple palestinien. Naturellement, le président Tebboune les dénonce et les condamne avec une grande fermeté. À Alger, M. Macron, qui s’autorise à parler de « guerre coloniale » au nom de l’Algérie, qui ne l’y a pas délégué, a fait l’impasse sur ces deux dossiers de décolonisation dans lesquelles son pays est outrageusement impliqué.
Il est établi que la Russie ne fait pas, contre son gré, la guerre à la seule Ukraine : les États-Unis, qui en sont présentement à plusieurs centaines de milliards de dollars d’équipements militaires pour le belligérant ukrainien, y sont partie prenante, et c’est le cas de l’Union européenne, avec à sa tête la France et l’Allemagne, et l’Occident, rassemblé par l’OTAN. Tous combattent la Russie, parfois directement sur le terrain des opérations : c’est la France qui coordonne actuellement en Ukraine les opérations de renseignement de l’OTAN.
L’Europe et les grandes nations d’Occident sont-elles crédibles ? Elles se rangent sans aucun a priori humanitaire derrière les États-Unis d’Amérique qui soutiennent le royaume du Maroc et son Makhzen et l’État hébreu. Et l’affaire ukrainienne, depuis les manifestations de la place Maiden, en 2014, appartient aux seuls Américains. Comment un Algérien peut-il se prononcer là-dessus et condamner la Russie, victime d’une entente politique, militaire et financière occidentale ? Peut-être que demain, on va aussi lui demander d’intervenir dans le vieux contentieux de l’île de Taïwan et de condamner la Chine ? Le regard de M. Macron sur les guerres coloniales est très réducteur. Il veut aussi oublier le passé colonial, inhumain, meurtrier et génocidaire de son pays, la France, au Maghreb, en Afrique subsaharienne et en Asie, récemment en Libye totalement déstructurée, pour s’ériger en donneur de leçon. Le président français n’est pas en position de ressasser des guerres coloniales, lui qui n’entend pas renier le passé aventureux et sans gloire de son pays. En 2022, les séquelles de la colonisation française de l’Algérie, de 1830 à 1962, ne sont pas encore liquidées.
Les Sahraouis et les Palestiniens, qui sont et qui restent dans le tort parce qu’ils n’auront jamais raison contre les Américains et leurs alliés, peuvent continuer à mourir sans bruit dans le vaste monde. Quant à la France, dans l’hypothèse d’une guerre entre le Maroc soutenu par Israêl, qui ne cesse d’en agiter la menace contre l’Algérie, chacun en Algérie comme en France, sait où se tiendront ses armées. Les Algériens n’ont pas d’illusions de ce côté-là.
La France et ses dirigeants politiques ne sont plus dignes de confiance : entre le crépuscule et l’aube de ce 24 février 2022, la France a nié tout ce qui l’attachait à la Russie pour appeler à l’étouffer économiquement et financièrement dans les marges d’une guerre obscure où l’Ukraine est le fou de guerre. Ne le fera-t-elle pas demain sans état d’âme contre l’Algérie au profit de l’autre fou de guerre makhzenien ? Voire.
3°) Des virées privées peu diplomatiques
En dehors des discussions politiques qui restent dans leur principe secrètes, le séjour algérien de M. Macron a éveillé des lubies coloniales et néocoloniales. Pour au moins deux événements regrettables, fussent-ils privés.
1°) La visite de la demeure familiale du couturier pied-noir d’Algérie Yves Saint-Laurent, à Oran, est un retour à l’Algérie française qui blesse les sentiments des Algériens, particulièrement Oranais, qui n’oublient pas que leur ville, comme le rappelle le journaliste Mehdi Messaoudi (« Algérie 54 »), a été le cadre d’attentats contre les Indigènes algériens, qui furent d’une grande ampleur. Sur les tueries du 5 juillet 1962 à Oran, les chiffres de Fouad Soufi, historien et archiviste, indiquent qu’en ce jour plus d’Algériens que de Français ont été assassinés. Ces pages sanglantes de la proche histoire oranaise, sur lesquels le travail du deuil n’est pas encore accompli pour beaucoup de familles, devrait inviter à la retenue. À ce titre, le choix d’Oran pour une visite privée est si peu diplomatique et il faut déplorer l’infâme battage que fait ces jours-ci un quotidien algérois, qui ne connaît que le mouvement léger de la girouette au vent, pour encenser l’ambassadeur de France Gouyette, qui comme ses prédécesseurs, devrait recevoir, sa mission à Alger achevée, la direction de la DGSE, l’espionnage français. Sinon, ce serait une exception dans les mœurs politico-policières de la France actuelle. Soit ! En quoi François Gouyette a-t-il opportunément renseigné sa patronne aux Affaires étrangères et son président sur la pertinence du choix d’Oran ?
2°) Le second volet du déplacement à Oran du président français ne convainc pas. M. Macron a ainsi rendu visite à son ami Kamel Daoud, qui, semble-t-il, a la priorité sur les ministres et les personnalités françaises, lorsqu’il se rend à l’Élysée. La rumeur algéro-parisienne, colorée de tchatche, n’affirme-telle pas qu’« il entre de dos » selon une formule aurassienne, dans le bureau du chef de l’État français ? Certes, il s’agit moins de discuter les amitiés de M. Macron – ou sur un autre registre celle plus volages de son autre ami, le roi du Maroc – mais de noter une connivence franco-française.
Ne faut-il pas rappeler que si l’écrivain et chroniqueur français Kamel Daoud est soutenu par l’établissement francophile d’Alger, il n’a aucune audience dans les lettres algériennes et dans le lectorat algérien, qui ne le connaît pas et qui ne le lit pas. En outre, Kamel Daoud ne représente pas l’Algérie, il n’est pas un symbole de l’Algérie. A Oran, le président français a répondu à l’invitation d’un Français, qu’il a créé de toutes pièces. Hypocrisie ? Il est triste qu’il feint d’oublier que c’est lui qui a donné la ferme instruction au Premier ministre Édouard Philippe et au ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, sur la recommandation appuyée de sa conseillère à la Francophonie Leïla Slimani, de signer en date du 24 janvier 2020 la naturalisation française de Kamel Daoud, publiée au Journal officiel de la République française. Cette escapade oranaise aurait pu rester, autant que les conventions protocolaires des visites d’État puissent l’admettre, strictement privée, sans publicité dans les médias et les réseaux sociaux.
Cependant, ce n’est pas la première incartade de M. Macron qui a déjà imposé aux officiels algériens ses amis français d’origine algérienne – ainsi le caricaturiste et tavernier (en darja : « tbarnaji ») Dilem – ou algériens assimilés français, notamment Boualem Sansal, qui vient, dans un entretien avec le site parisien « Atlantico », de le mettre en garde sur l’éventualité de céder à la pression de l’Algérie sur la question du Sahara occidental, de la République arabe sahraouie démocratique, la RASD. Oui, les affaires coloniales du Makhzen ont en la personne de Boualem Sansal un défenseur constant et irréductible. C’est la France coloniale qui a inventé la vile engeance de harkis en Algérie et le filon ne semble pas s’épuiser de nos jours. Le sinistre Boualem Sansal, brûlant les cénotaphes des martyrs de la « Bataille d’Alger », en 1957, se rappelle-t-il au souvenir de ses protecteurs français et makhzanien ? En l’espèce, pour sa bonne cause ? Saperlipopette ! Est ce que le roi « M6 » a des billes dans le Goncourt ?
Macron, voyageur privé, vainement primesautier, se comporte en Algérie comme dans un pays conquis. Le néocolonialisme n’est-il pas dans cette détestable mesure ? Son choix de célébrer la mémoire d’Yves Saint-Laurent et de rencontrer le Français Kamel Daoud, agent actif de la naturalisation française des Algériens contre leur propre histoire, excèdent les convenances diplomatiques, le respect des gouvernants algériens et du peuple algérien. Si M. Gouyette, futur grand flic de France, est un chef de poste peu doué, il n’y a plus de diplomates français en Algérie pour conseiller leur président en pavane, à moins qu’ils n’aient été formés selon les préceptes de la défunte école coloniale de la France d’Outre-mer de jadis et naguère. Alors, redisons-le, ce ne sera que la seconde fois en une semaine : pauvre France !
POST-SCRIPTUM.
Macron ouvre un crédit de cent millions d’euros, entre autres pour la production cinématographique en France et en Algérie. Faut-il parier que cet argent reviendra principalement à des Français d’origine algérienne ou à des Algériens assimilés. La Française Sofia Djama, qui soutient ne jamais retourner en Algérie, et son compatriote Lyès Salem, qui croit à « la France de Dunkerque à Tamanrasset », seront immanquablement dans cette distribution d’argent public français, en qualité d’Algériens, insistons-y. Mais cela ne restera qu’une annonce. Si le cinéma national algérien devrait se faire avec l’argent de la France, il vaudrait mieux qu’il ferme boutique. La France ne mettra jamais un sou dans un film sur Ben Boulaïd, Ben M’hidi, qu’elle a assassinés, sur Zabana, qu’elle a guillotiné, sur nos héros de la Guerre d’Indépendances qui attendent leurs cinéastes et l’argent de la nation reconnaissante.