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Le régime de Macron instaure la trilogie : Travail, Patrie, « Famine » (2/2)

  Par Khider Mesloub

La mesure est déjà testée dans 18 départements. Ils sont 40 000 à être suivis par leur conseiller Pôle Emploi. Le gouvernement Macron veut généraliser le dispositif. Dorénavant, les 2 millions de bénéficiaires du RSA devront consacrer 15 à 20 heures par semaine à une activité dans une association, collectivité ou entreprise pour pouvoir prétendre bénéficier de l’allocation. Autrement dit, les associations (souvent à but lucratif), les collectivités et les entreprises auront à leur disposition une main-d’œuvre gratuite, corvéable et exploitable à merci. Sinon, les bénéficiaires du RSA pourraient perdre une partie ou l’intégralité de leur allocation, 607 euros aujourd’hui pour une personne seule. C’est-à-dire un minimum de survie. En l’espèce, le gouvernement Macron est incapable de fournir un emploi à la hauteur des compétences de l’allocataire du RSA, ou une véritable formation de reconversion, mais le contraint de s’enrôler obligatoirement dans une collectivité ou entreprise (d’armement ?) pour y travailler gratuitement.

Selon les gouvernants et les patrons, les allocataires du RSA et les chômeurs seraient des « fainéants délibérés et invétérés », qu’ils convient, tels des enfants irresponsables, prendre sévèrement en main pour leur apprendre le goût de l’effort afin de les remettre au travail. Comme le note Pierre-Édouard Magnan, président du Mouvement national des chômeurs et des précaires : « Ça rappelle ce que l’on écrivait des peuples colonisés à la fin du XIXe siècle dans les manuels scolaires. C’est exactement le même type de raisonnement. »

Le régime Macron œuvre sur le front du Travail qu’il compte militariser, mais également sur le front de la Patrie, qu’il s’acharne à blinder et à armer, idéologiquement et militairement. Ne vient-il pas d’annoncer le vote d’un budget de 413 milliards d’euros de financement des Armées pour les sept années à venir. La plus importante hausse enregistrée depuis plus de 60 ans. Preuve du tournant militariste de l’État français en voie de durcissement autoritaire et de bellicisme forcené.

Il est utile de rappeler que, pour imposer son ordre nouveau, le régime de Vichy instaure un état policier et une société militarisée. En juillet 1940, le nouveau régime de Vichy annonce la naissance des « groupements de jeunesse », qui deviendront, en janvier 1941, « les chantiers de la jeunesse », où tous les hommes de 20 ans passent obligatoirement huit mois. Lors de leur enrôlement, ces jeunes doivent apprendre « L’amour du travail, de la discipline, de la patrie, du Maréchal et de son régime ».

Aujourd’hui, en 2023, dans cette nouvelle ère marquée par la militarisation de la société et la caporalisation des esprits, le gouvernement Macron décide de réinstaurer le service militaire obligatoire, sous une nouvelle forme : le Service national universel (SNU). Le dispositif pourrait concerner tous les jeunes âgés de 15 à 17 ans. Tous les élèves de seconde et ceux de première CAP de 6 départements devraient participer obligatoirement au SNU à partir de janvier 2024. Puis, un élargissement progressif à l’ensemble du territoire devrait avoir lieu.

Ces adolescents, dans le cadre du Service national universel, devront apprendre à se lever à l’aube, enfiler l’uniforme, participer à la levée du drapeau français, chanter La Marseillaise avant de se rendre à des activités diverses autour de l’autodéfense et de l’engagement.  Mais aussi s’intégrer dans des modules d’apprentissage sur des enjeux liés à la défense, à la mémoire et à la transmission « des valeurs de la République » (c’est-à-dire valeurs bourgeoises françaises impérialistes et belliqueuses).

Ces exercices militaires seront bientôt une réalité pour les 800 000 lycéens. Le coût du SNU est évalué à 6 milliards d’euros par an, selon un rapport sénatorial.

« Ces milliards seraient bien plus utiles pour le service public de l’Éducation nationale, qu’aux mains des militaires », estiment nombre de syndicalistes du corps enseignant. « Encadrement militaire, levée du drapeau, chant guerrier, uniforme, parcours du combattant, raid commando, etc. contribueront à l’endoctrinement des jeunes. La propagande visera à banaliser encore plus le rôle de l’armée, alors que celle-ci est en pointe dans la répression, sur le territoire français, dans les colonies et diverses régions du monde », écrivent dans leur tract plusieurs organisations politiques et syndicales.

En tout cas, le Service national universel suscite un déluge de critiques virulentes. « SNU : c’est une certaine conception de l’engagement des jeunes… bien loin du militantisme solidaire mais bien proche des organisations paramilitaires… », dénonce un syndicaliste de l’Éducation nationale.

Dans un contexte de réarmement impérialiste et d’embrigadement militariste de la jeunesse, outre les lycéens, le gouvernement Macron compte enrôler également des étudiants. Les étudiants sont encouragés à devenir réservistes pour l’armée française en échange de l’attribution d’une allocation de 2 500 euros par an pendant cinq ans, et le financement du permis de conduire.  « À côté du militaire, il y a le civil et je souhaite que nous renforcions nos capacités à nous défendre face aux nouveaux risques à travers une mobilisation de la Nation tout entière et une augmentation des réservistes aux côtés des forces de sécurité intérieure », avait déclaré Macron lors de sa campagne électorale de 2022.

Voici les perspectives d’emploi proposés par France Travail à la jeunesse française, l’avenir « radieux et pacifique » offert par le gouvernement Macron : les carrières militaires, les champs de bataille, les fronts de guerre. Hitler voulait une jeunesse allemande « dure comme l’acier ». Macron veut façonner une jeunesse française idéologiquement sûre pour l’armée. Macron n’attend pas qu’elle soit « dure comme l’acier », mais sûre pour le sacrifice.

Cela étant, dans cette période de militarisation de la société, d’économie de guerre, qu’il s’agisse des médias (réseaux sociaux, presse et TV) ou des instances culturelles (littérature, cinéma, etc.), sans oublier les établissements scolaires, toutes ces instances sont massivement enrégimentées pour propager le virus nationaliste militariste. Cette mobilisation propagandiste, déclenchée dans cette période de marche forcée vers la guerre généralisée, s’intègre dans cette entreprise d’embrigadement idéologique militariste activée par l’État français, animé d’une bellicosité hystérique nauséabonde.

Les médias et les officiels français ne cessent, depuis le déclenchement de la guerre d’Ukraine, de fustiger la Russie pour sa politique de recrutement de criminels pour alimenter le front en hommes, renforcer le groupe Wagner, société de sécurité privée liée au Kremlin. Le groupe Wagner est accusé de recruter des soldats dans les prisons russes, des criminels notoires.

Or, le gouvernement français s’apprête, à son tour, à appliquer la même politique de recrutement de délinquants dans l’armée. En effet, des jeunes délinquants vont être enrôlés dans l’armée française sous couvert de « stage découverte ». Les jeunes délinquants, placés en centre éducatif renforcé (CER), se verront proposer, pour susciter des vocations pour les carrières militaires, un « parcours d’inspiration militaire » au sein de l’armée, ont annoncé les ministères de la Justice et des Armées. Ces jeunes délinquants seront encadrés par des militaires.

Aussi, « les parcours d’inspiration militaire seront généralisés à l’ensemble des centres éducatifs renforcés ». Pour encadrer les participants, le ministère compte faire appel à « des militaires retraités ». « Favoriser l’insertion sociale et professionnelle des mineurs et jeunes majeurs ». « Ces jeunes, ils ont besoin de cadrage, de discipline, et de partager toutes les valeurs qui font l’armée comme le dépassement de soi et la solidarité », avait déclaré le garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti.

« L’emprisonnement n’est pas toujours la solution », avait expliqué Céline Boulay-Esperonnier, sénatrice LR, rapporteuse du rapport « Prévenir la délinquance des mineurs – éviter la récidive ». Selon la sénatrice, il est « important de proposer des mesures alternatives qui peuvent remettre le jeune dans la bonne direction, notamment dans la direction de la réinsertion ». « Dans la bonne direction », soutient-elle. Autrement dit, la direction des fronts guerre, des champs de bataille. Voilà comment le gouvernement Macron projette d’insérer les jeunes délinquants : en les enrôlant dans l’armée pour en faire de la chair à canon. Somme toute, le gouvernement Macron envisage de constituer de nouvelles forces spéciales paramilitaires composés de jeunes à peine pubères. À l’âge où les jeunes sont censés jouer à la console de jeu, le gouvernement Macron veut les contraindre à manipuler les armes à feu sur les fronts de guerre, pour se consoler de l’absence de tout avenir professionnel.

Curieusement, cette nouvelle mesure de recrutement des délinquants dans l’armée française rappelle la loi du 21 mars 1905 sur le service militaire qui énonçait que les effectifs des Bataillons d’infanterie légère d’Afrique [BILA] seraient essentiellement constitués d’appelés ayant été condamnés à plusieurs reprises par la justice. D’après la loi du 21 mars 1905 sur le recrutement, « les individus coupables de crimes et condamnés seulement à l’emprisonnement (…) condamnés à six mois de prison au moins pour outrage public à la pudeur, pour délit de vol, escroquerie, abus de confiance ou attentat aux mœurs (…) ceux qui ont été l’objet de deux ou plusieurs condamnations, dont la durée totale est de six mois au moins (…) sont incorporés dans les bataillons d’infanterie légère d’Afrique (les « bats d’Af »). Chaque année, la section justice militaire de la 10e région militaire échange avec la préfecture et les sous-préfectures pour statuer sur l’affectation éventuelle de soldats dans ces bataillons disciplinaires, puis transmet les informations recueillies au ministère de la Guerre ».

Il est utile de rappeler que le premier BILA fut créé en 1832, au lendemain de la conquête de l’Algérie par les troupes coloniales françaises.

Dans ce contexte de tensions militaires internationales pandémiques, tous les moyens propagandistes sont mobilisés pour embrigader l’opinion publique. Notamment les outils de Soft Power (élément de la guerre de 4ème génération). Qu’il s’agisse des médias (réseaux sociaux, presse et TV) ou des instances culturelles (littérature, cinéma, etc.), ils sont tous massivement enrégimentés pour propager le virus nationaliste militariste.

Pour rappel, le Soft Power (pouvoir de convaincre) se définit, au plan international, par la capacité d’un État à influencer et à orienter les relations internationales en sa faveur. L’État met en œuvre une stratégie d’influence. Il renforce ainsi la légitimité de son action internationale, ce qui constitue également un facteur de puissance. Et au plan national, d’influencer, de manière indirecte et en douceur, le comportement des « citoyens » à travers des moyens non coercitifs (structurels, culturels ou idéologiques) pour les conduire à penser de la même façon que lui ou à changer de comportement.

Historiquement, l’art, la politique et la propagande ont toujours entretenu une relation étroite. La propagande au service de l’art ou de la politique. La politique au service de l’art, assistée par la propagande. Winston Churchill disait : « En temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’elle devrait toujours être assistée par un garde du corps de mensonges ». Autrement dit les supplétifs de la propagande, ces gardes du corps du Capital (l’intelligentsia française), sont mobilisés aujourd’hui pour répandre le narratif spécieux de la bourgeoisie française belliqueuse. De là s’explique la volonté de l’État français de favoriser la réalisation d’œuvres d’inspiration militaire, comme d’œuvrer à l’inspiration militaire. Néanmoins, il est utile de rappeler, comme le soulignait l’écrivain Jean Giraudoux « La propagande est le contraire de l’artillerie : plus elle est lourde, moins elle porte ». En d’autres termes, la propagande militariste n’est pas assurée d’atteindre sa cible, le prolétariat, de plus en plus imperméable au discours officiel, qu’il soit d’inspiration politique ou patriotique.

De toute évidence, la bourgeoisie française belliqueuse s’active pour imposer un nouvel ordre national fondé sur la triade Travail, Patrie, « Famine ». Famine, et non pas Famille. Car la Famille, contrairement à l’époque du régime de Vichy, ne constitue plus pour le capital une institution primordiale. Du reste, elle a été totalement pulvérisée. À l’ère de la théorie du genre, des LGBT, de la PMA et GPA, de l’explosion des divorces, des couples recomposés, la famille est devenue une institution obsolète. Voire une entrave pour le capital. Car le capital a besoin d’individus libres de toute attache, flexibles et mobiles.

Donc, la dernière devise de la trilogie gouvernementale macronienne, c’est la « Famine », c’est-à-dire la paupérisation absolue généralisée. D’emblée, par les pénuries et la flambée inflationniste spéculative orchestrée, des millions de Français sombrent dans la misère. Aujourd’hui, en 2023, le nombre de Français sous le seuil de pauvreté est estimé à près de 12 millions, soit près de 20 % de la population française. Le nombre de personnes accueillies aux Restos du Cœur a augmenté de 22% par rapport à l’année dernière. Cette association relève une forte hausse des familles avec de jeunes enfants. Une aggravation de la situation a été observée chez les jeunes de moins de 25 ans, qui constituent la moitié des bénéficiaires. Cette hausse du nombre de personnes accueillies aux Restos du Cœur est liée à l’inflation et à la crise énergétique.

Parmi la population estudiantine, selon plusieurs sources, la majorité des étudiants vit sous le seuil de pauvreté. Précarité, mal-logement, malnutrition, détresse psychologique, décrochage scolaire, tels sont les fléaux auxquels sont confrontés les étudiants. Près de la moitié d’entre eux (43%) ne touchent pas de bourse et doivent se débrouiller sans soutien familial (55%). De nombreux étudiants sont obligés de sauter des repas ou réduisent leurs dépenses d’alimentation. Pour pouvoir se nourrir, ils recourent à l’aide alimentaire régulièrement ou ponctuellement.

Conséquence de cette instabilité sociale et économique, sept étudiants sur dix disent faire des économies sur leurs loisirs, un tiers d’entre eux disent ne plus avoir du tout de dépenses en ce sens. Neuf sur dix disent tenter de faire des économies d’énergie, parmi lesquels un sur quatre déclare ne pas avoir allumé le chauffage cet hiver.

Entre 3,2 et 3,5 millions de personnes en France ont recours à une aide alimentaire par des associations, d’après une étude de l’Insee parue en novembre 2022. Selon cette étude, plus de 60% d’entre eux vivent dans l’extrême pauvreté – c’est-à-dire avec la moitié du seuil de pauvreté, soit 551 euros par mois – au lieu de 50% un an plus tôt. L’Insee annonce qu’un tiers des bénéficiaires de l’aide alimentaire (32%) « déclarent se coucher souvent ou parfois en ayant faim ». Les deux tiers de ceux qui ont des enfants déclarent « souvent ou parfois » réduire leur part au profit des enfants.

Toujours au mois de novembre 2022, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits humains et l’extrême pauvreté, Olivier De Schutter, s’alarmait du recul dans la lutte contre la pauvreté en France.  « Le recul dans la lutte contre la pauvreté en France est sans précédent », avait-il déclaré sur France Inter. « Pour les bénéficiaires d’allocations sociales, c’est un appauvrissement net tout à fait inédit depuis de très nombreuses années », avait-il ajouté. Le rapporteur dénonçait un phénomène de « pauvrophobie », qui entraîne des discriminations à l’encontre des personnes pauvres.

En France, le nombre de sans domicile fixe (SDF) explose : il dépasse les 330 000. Soit une augmentation de 130 % en 10 ans, selon la Fondation Abbé Pierre. Outre le nombre croissant de sans-abri, la Fondation estime que plus de 4,1 millions de personnes sont mal logées ou souffrent d’une absence de logement en France en 2022. En outre, les Français sont 44 % de plus à se priver de chauffage pour cause d’inflation.

Pourtant, dans le même temps, dans la France de Macron, le président des riches, les dividendes des actionnaires atteignent des records historiques : 1560 milliards de dollars, rien qu’en 2022.

Une chose est sûre : en France, l’époque de la « démocratisation » de l’accès et d’unification des modes de vie est en voie d’achèvement. La nouvelle ère, amorcée à la faveur de la pandémie de Covid, accentuée par la crise économique et énergétique actuelle, s’annonce cruelle pour l’immense majorité de la population laborieuse.

Désormais, c’est tout le standard de vie « confortable », longtemps considéré, avec naïveté, comme définitivement acquis, qui s’écroule, devenant inaccessible pour l’immense majorité des prolétaires, réduites à vivre de minima sociaux, d’aides publiques et de chèques alimentaires.

Sans conteste, avec l’accentuation de la crise, le délitement du tissu social matérialisé par la paupérisation généralisée et l’explosion des violences multiformes, le divorce entre gouvernants et gouvernés illustré par l’abstentionnisme électoral et le discrédit de la classe politique et gouvernementale, la société française capitaliste n’assure plus sa reproduction sociale de manière immanente. La rupture sociale et politique entre les classes dominées (prolétariat, « classes moyennes » ou petites bourgeoises en voie de paupérisation et de déclassement) et les classes dirigeantes est consommée.

Ce qui explique l’intervention permanente de l’État bourgeois français, par le truchement de ses forces répressives et de ses appareils de propagande médiatiques, pour assurer violemment la cohésion sociale, la reproduction factice des rapports sociaux menacés d’éclatement, voire d’implosion.

Ce qui explique le durcissement autoritaire de l’État français, désormais en phase de militarisation pour entraver despotiquement le déclenchement des mouvements sociaux, neutraliser par la répression la lutte des classes, étouffer toute voix dissidente, écraser toute opposition politique, briser toute contestation sociale.

Lire: Le régime de Macron instaure la trilogie : Travail, Patrie, « Famine » (1/2)

 

 

 

 

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