Mohamed Belhoucine*
Dans la chronicité après Jaurès, commençons par le sioniste Léon Blum.
Léon Blum, depuis la première guerre mondiale, de par son origine juive il n’a cessé de soutenir l’entreprise sioniste. Il entretiendra jusqu’à la fin de sa vie (1950) une grande amitié avec Haïm Weizmann, chef du premier mouvement sioniste et premier président de l’Etat d’Israël.
Léon Blum ne rompt pas avec l’idée de mission civilisatrice que défend Jaurès. En pleine guerre du Rif, alors que les troupes françaises sont en action contre le peuple Rifain, il réaffirme à la chambre des députés la nécessité de « l’expansion de la pensée, de la civilisation française » et « le droit et même le devoir de ce qu’on appelle les races supérieures, revendiquant quelquefois pour elles un privilège quelque peu indu, d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture ».
Comme Jules Ferry en 1885, Léon Blum professe l’inégalité entre les peuples. Il ne s’agit certes pas pour lui d’une inégalité biologique mais d’une inégalité culturelle et de civilisation. La colonisation devient dans cette logique une œuvre d’émancipation en permettant le déclenchement de la très longue période de rattrapage du retard culturel et civilisationnel.
Dans l’approche blumiste talmudiste comme celle du sioniste Harari, il n’existe aucune universalité du droit. Les droits des indigènes doivent pour lui dépendre de leur degré de civilisation. Il justifie le code de l’indigénat en Algérie. Ce qui n’est pas sans rappeler certains discours contemporains sur l’intégration des Français issus de l’immigration, sur l’incompatibilité supposée de l’Islam avec la civilisation française et sa laïcité, sur l’intégration impossible des Roms en raison de leur culture, etc.
A ce titre depuis le traité de Versailles 28 juin 1919 jusqu’à nos jours, la France a toujours refusé de reconnaitre le principe d’égalité entre les peuples, hormis le radical prix Nobel de la paix Léon Bourgeois.
La notion « d’indigène évolué » est logiquement le centre de l’approche de Blum. Au pouvoir lors du Front Populaire, il initie en 1937 un projet de loi dit « Blum-Violette » accordant à 21 000 indigènes algériens sur six millions la citoyenneté française. Devant la pression des colons, ce projet de loi n’est même pas discuté au parlement.
Mais la contrepartie de la sollicitude envers les « indigènes évolués » est la « fermeté » vis-à-vis de ceux qui refusent la « civilisation française » et qui s’évertuent à réclamer l’indépendance. Alors qu’elle a participé aux combats contre les ligues fascistes, l’Etoile Nord-Africaine, organisation nationaliste algérienne, est dissoute en janvier 1937 et son leader Messali Hadj est emprisonné.
En mars, c’est au tour du comité d’action marocaine d’être dissous. Dans les mois qui suivent, c’est la répression sanglante contre les révoltes populaires au Maroc et en Tunisie.
Ici aussi, la distinction binaire entre des « bons » et des « mauvais » n’est pas sans rappeler les propos actuels des socialistes français sur le « Hamas » comme étant la cause de ce qu’ils appellent « l’interruption du processus de paix », une chimère et une ruse qu’est venu contredire le vote massif à la Knesset jeudi dernier d’une résolution rejetant la création d’un Etat palestinien
La Knesset a voté jeudi à une écrasante majorité une résolution rejetant la création d’un État palestinien. Les masques sont tombés. Il ne reste qu’une seule voie, la lutte armée.
Le colonialisme stratégique de Guy Mollet.
Quand la guerre des races supplante la lutte des classes.
La SFIO revient au pouvoir en 1956 avec la présidence de Guy Mollet. Il reste dans l’histoire celui qui demande les pouvoirs spéciaux en Algérie et les obtient par 455 voix, c’est-à-dire la quasi-unanimité, y compris les voix des députés communistes. Ces pouvoirs déclenchent ce le socialiste André Philip a dénommé le « crime de pacification » c’est-à-dire la légalisation de la répression, de la torture et d’une guerre à grande échelle contre les civils au prétexte de lutter contre les « terroristes ». André Philip s’oppose à la politique algérienne de Guy Mollet, il sera exclu de la SFIO.
Alain Savary, qui considère Guy Mollet comme un « camarade en République », explique comme suit le raisonnement du président du conseil : « (Il) était avant tout obsédé par une idée très en honneur dans le parti SFIO (…) qu’il fallait commencer par libérer les individus avant de libérer le pays. Des hommes et des femmes ont été marqués par cet argument : ne pas libérer le pays trop tôt de crainte de les livrer aux féodaux ».
En 1956, nous en sommes encore à la vieille thèse de la mission civilisatrice et bienfaitrice du colonialisme. Le colonisé, l’indigène, l’arabe, le musulman, etc., est perçu comme porteur de féodalité et de barbarie et il revient au colonisateur de l’éduquer et d’évaluer sa capacité à vivre libre.
Mais, à cette première causalité culturaliste commune à Jaurès et Blum, s’en ajoute désormais une seconde de nature stratégique. Dans le monde de l’après seconde guerre mondiale, Guy Mollet est hanté par la peur de la perte de l’empire colonial auquel il rattache la « grandeur française ».
Cet empire est fragilisé par le nouveau rapport de forces issu de la seconde guerre mondiale, par la victoire vietnamienne à Dien Bien Phu, par la conférence de Bandung, qui siégea du 18 au 24 avril 1955, réunira des pays d’Asie et d’Afrique, nouvellement indépendants, pour affirmer leur volonté d’indépendance et de non alignement sur les puissances mondiales. Sous la présidence du leader indonésien Sukarno, elle réunit 29 pays : 23 d’Asie et 6 d’Afrique, mais aussi par les velléités des Etats-Unis d’imposer leurs intérêts dans les possessions coloniales de leurs alliés. Sous la bannière de l’anticommunisme, les américains en 1961, conjointement avec l’extrême droite française s’opposent à l’indépendance de l’Algérie,à l’anticommunisme se greffera l’argument culturaliste pour justifier une défense « socialiste » de l’empire : les indigènes immatures pour l’indépendance sont de surcroît manipulables par les communistes de Moscou.
C’est la même image de l’indépendantiste comme ne pouvant être que « fanatique » qui conduit à considérer que « Nasser est le nouvel Hitler, Israël sa Tchécoslovaquie ».
Ici aussi, comment ne pas penser aux discours socialistes sur « Israël, seule démocratie de la région », « sur l’obscurantisme du Hamas » ou encore sur « le danger iranien en Palestine ».
Nous ne pouvons pas clore ce chapitre sans rappeler ce que disait à l’époque François Mitterrand issu d’une famille maurassienne d’extrême droite, autre figure idéologique du parti socialiste français. Alors ministre de l’intérieur en 1956, il déclara coup sur coup :
« En Algérie, la seule négociation, c’est la guerre » (5 novembre 1956) ;
« L’Algérie, c’est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne » (7 novembre 1956).
*Docteur en sciences physiques, DEA en économie
Le socialisme français porte en lui le sionisme comme la nuée porte l’orage. (1e Partie)