Les agriculteurs espagnols sont en pleine ébullition dans la foulée de l’accord commercial signé entre l’Union Européenne et le Maroc permettant à ce dernier de bénéficier d’un cadre commercial préférentiel. Un accord commercial conçu pour contourner l’obstacle juridique imposé par la Cour de Justice de l’UE. Cet accord, pénalise de facto l’Espagne qui perd son statut historique de premier fournisseur de la tomate sur le marché européen.
Ce changement a suscité l’inquiétude au sein du secteur agricole espagnol et relancé le débat sur la validité de l’accord d’association UE-Maroc, dont le dernier amendement risque d’aggraver encore le déséquilibre
Ce diagnostic a été présenté par José María Pozancos, conseiller de la Fédération espagnole des associations de producteurs et exportateurs de fruits et légumes (Fepex) , lors d’une table ronde organisée par Vox au Parlement européen. Pour les organisations agricoles espagnoles, le cadre réglementaire actuel constitue un exemple flagrant de « concurrence déloyale », une expression fréquemment employée par le secteur pour décrire l’asymétrie réglementaire qui caractérise les relations avec le Maroc.
Les conditions de travail constituent l’un des sujets les plus sensibles. Les producteurs espagnols sont tenus de verser un salaire minimum de 9,74 € de l’heure, contre 0,98 € au Maroc. Cet écart n’est pas propre à l’Espagne : l’Italie verse 9,68 € de l’heure et la Pologne 7,43 €. Pour les organisations agricoles, le cadre réglementaire actuel place le secteur agricole de l’UE dans une situation de net désavantage concurrentiel.
À cela s’ajoutent des lacunes phytosanitaires et environnementales. Le Maroc continue d’utiliser des substances interdites dans l’UE, comme le bromure de méthyle – interdit depuis 2005 en raison de son impact sur la couche d’ozone – ce qui lui permet de maintenir des rendements élevés à moindres coûts. Selon Fepex, cela se traduit déjà par des dommages « graves et cumulatifs » pour les agriculteurs espagnols.
L’entrée en vigueur de l’accord en 2012 a ouvert la voie à une expansion marocaine qui, plus d’une décennie plus tard, est indéniable : les importations de fruits et légumes de l’UE en provenance du Maroc ont augmenté de 71 %, atteignant 1,4 million de tonnes.
Les données compilées par Hortoinfo , à partir des statistiques d’Eurostat et d’ICEX, confirment l’ampleur du revirement. Lors de la saison 2015/2016, l’Espagne a vendu 780,8 millions de kilos de tomates dans l’UE. Dix ans plus tard, lors de la saison 2024/2025, ce chiffre était tombé à 519,8 millions de kilos, soit une baisse de 33,4 %.
Almería, principale région productrice de tomates du pays, a enregistré une baisse de 28,16 %, Murcie de 29,5 % et Grenade de près de 50 %. Parallèlement, le Maroc a poursuivi sa progression : sa production est passée de 406,3 millions de kilos à 574,5 millions, soit une augmentation de 41,39 %.
Le dépassement s’est opéré en deux phases. En 2018/2019, le Maroc a devancé Almería pour la première fois. En 2022/2023, il a fait de même avec l’équipe espagnole. Et la saison dernière, il a consolidé son avance.
L’amendement à l’accord d’association, négocié par la Commission européenne avec Rabat en octobre et déjà provisoirement en vigueur, introduit un élément décisif : il permet aux produits du Sahara Occidental de bénéficier d’avantages tarifaires comme s’ils étaient marocains, contournant ainsi l’arrêt de justice de la CJUE qui avait invalidé l’accord commercial entre le Maroc et l’UE en date du 4 octobre 2024.
La réforme réglementaire, approuvée de justesse par le Parlement européen en novembre, autorise l’étiquetage de ces produits avec des appellations régionales, sans mention explicite du territoire. Fepex estime que cela crée une confusion chez les consommateurs européens et constitue une violation de l’arrêt de la Cour, qui exigeait que le Sahara Occidental, occupé par le Maroc depuis 1975, soit désigné comme pays d’origine de ces produits.
Pour les organisations agricoles, la réforme permettra d’accroître encore les surfaces cultivables marocaines et d’accentuer la pression sur les producteurs espagnols.
« Ce nouvel accord constitue une violation flagrante, tant sur le plan procédural que sur le fond », a souligné Oubbi Buchraya, conseiller spécial du secrétaire général du Front Polisario, dans une récente interview accordée au journal espagnol El Independiente.
Il a averti que les investissements annoncés par Bruxelles dans les secteurs de l’eau, de l’énergie et de l’irrigation en territoire occupé permettront au Maroc d’accroître considérablement ses productions agricoles. « Si le volume des exportations était déjà élevé, il sera désormais multiplié par dix, voire par vingt », a-t-il prévenu.
Buchraya estime que les agriculteurs européens sont des victimes collatérales d’une politique qui, selon lui, « privilégie les intérêts du Maroc au détriment de ceux de ses propres citoyens ». Les organisations agricoles espagnoles, menées par Fepex, COAG et ASAJA, ont intensifié leurs pressions pour empêcher le Parlement européen de ratifier l’accord. À leurs yeux, l’intégration du Sahara Occidental au régime tarifaire aggrave les distorsions du marché. « La concurrence déloyale ne touche pas seulement les tomates, mais tous les fruits et légumes », a averti Pozancos à Bruxelles.