Depuis le début du mouvement de la contestation populaire lancé le 27 septembre dernier par le mouvement GenZ 212, le palais royal observait le silence . L’allocution prononcée le vendredi 10 octobre par Mohamed VI a laissé tout le monde sur sa faim excepté les “Ayacha”.
Après une paralysie « logistique », les manifestations reviennent sur la place publique ce samedi. Les manifestants se sont donnés rendez-vous ce samedi 18 octobre à partir de 18 Heures locales pour occuper les rues de toutes les villes marocaines.
« Nous invitons tous les citoyens à participer aux manifestations pacifiques du samedi 18 octobre, de 18h à 21h . Nous descendrons dans la rue en solidarité avec nos camarades détenus et exigerons leur libération. Leur cause est la nôtre. Nous exigerons nos droits : des soins de santé décents, une éducation de qualité, l’emploi et la lutte contre la corruption », peut-on lire dans le message publié par GenZ 212 sur Discord , la plateforme utilisée pour coordonner et organiser les manifestations, les plus importantes de ces dernières années au Maroc. « Que ce soit une manifestation pacifique et civilisée, si Dieu le veut. À samedi ! » conclut le communiqué.
Des milliers de jeunes sont attendus à Rabat, Casablanca, Salé et Agadir . Ils défileront sous le slogan répété sur leurs canaux Discord : « Éducation, santé, dignité ».
Face à eux, un régime makhzenien qui s’enracine et une royauté qui, pour la première fois depuis des années, est fragilisée, entre investissements de plusieurs millions de dollars dans la construction et la rénovation de stades, à l’approche de la Coupe du monde 2030, qu’elle accueille avec l’Espagne et le Portugal, et les révélations de Jabaroot sur la démocratisation de la corruption au sein de l’oligarchie locale bien soutenue par les services de sécurité du Makhzen et le palais royal.
« Cette dernière révélation est une véritable bombe », reconnaît, sous couvert d’anonymat, une source proche du Makhzen. La fuite a révélé la liste complète des fonctionnaires et employés des palais royaux, un geste sans précédent dans un pays où les murs du Makhzen – l’institution politique et économique qui soutient la royauté – sont quasi sacrés.
Ses dépenses annuelles, dépassant les 200 millions d’euros, illustrent parfaitement le fossé qui sépare le palais de ses sujets. Selon des données récentes, quelque 2,5 millions de personnes au Maroc vivent sous le seuil de pauvreté multidimensionnelle.
L’impact a été dévastateur. « Ce qui inquiète le régime, ce ne sont pas les manifestations, mais les fuites. Personne ne sait combien de documents secrets Jabaroot possède ni ce qu’il publiera ensuite », souligne la même source. Le hacker menace désormais de divulguer les noms des responsables de la Direction générale de la sécurité territoriale (DGST), portant ainsi un coup direct au premier flic de la royauté, en l’occurrence Abdellatif Hammouchi,.
” Le Maroc est comme une marmite en feu qui peut exploser à tout moment . Quand et où, personne ne sait”, a averti Mohamed Ben Issa, président de l’Observatoire Marocain du Nord pour les droits de l’homme, dans une interview accordée au journal espagnol El Independiente.
À Rabat, des banderoles ont dénoncé les dépenses exorbitantes pour des événements tels que la Coupe d’Afrique des Nations 2025, que le pays accueillera en décembre, et la Coupe du monde 2030, que le Maroc organisera aux côtés de l’Espagne et du Portugal. « S’il y a de l’argent pour les stades, il doit y en avoir pour les hôpitaux », scandaient les manifestants.
Selon Human Rights Watch, la réponse a été brutale : trois morts, des dizaines de blessés et plus d’un millier d’arrestations, dont 39 mineurs. Les forces de sécurité – gendarmerie et police – ont fait usage de gaz lacrymogènes, de matraques et même de véhicules pour disperser les manifestants. À Oujda, une vidéo géolocalisée par l’ONG montre un fourgon de police renverser un adolescent de 17 ans. « Le gouvernement devrait écouter les jeunes, et non répondre par la répression. S’il peut construire des stades ultramodernes, il peut financer les hôpitaux publics », a déclaré Hanan Salah, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Human Rights Watch .

Le journaliste marocain exilé Hicham Mansouri observe le processus depuis l’Europe. « Trois scénarios sont possibles », explique-t-il. « Le plus probable est l’épuisement et la répression sélective. Arrestations préventives, divisions internes et concessions symboliques. On l’a déjà vu en 2011 et avec le Hirak du Rif. »
Les deux autres scénarios, ajoute-t-il, sont plus incertains : une escalade violente qui pourrait forcer l’intervention directe du roi, ou une récupération institutionnelle par le biais de tables de dialogue et de vagues promesses d’inclusion des jeunes. « Très probablement, les autorités recourront à l’option sécuritaire, avec la possibilité de recourir à la violence et de s’appuyer sur des voyous ou ce que l’on appelle les “shabiha”, pour tenter de contenir la colère populaire au lieu de répondre à ses revendications », prédit l’une des sources consultées. Déjà les établissements scolaires et universitaires sont assiégés par les forces de la répression du Makhzen, où les élèves et étudiantsfont l’objet de fouilles systématiques, comme nous l’avons souligné dans un précédent article.
Pour l’instant, l’appareil judiciairedu Makhzen, véritable arme de répression, avance : 17 manifestants condamnés à des peines de prison allant jusqu’à 15 ans de réclusion criminelle. L’Instance nationale pour l’intégrité et la lutte contre la corruption a suspendu plusieurs fonctionnaires suite à des allégations de népotisme. Et le Premier ministre Aziz Akhannouch est devenu la cible directe du mécontentement populaire : sa démission figure en tête des revendications, même si le monarque hésite à le destituer et à faire tomber l’ensemble du pouvoir exécutif.

Dans leur dernière déclaration, publiée sur Discord, les jeunes de la GenZ 212 ont réitéré leur engagement à manifester pacifiquement. Les organisateurs ont appelé à la discipline et à la civilité , conscients que toute provocation pourrait être le prétexte idéal pour une nouvelle vague de répression.
Pendant ce temps, les fissures dans le système s’élargissent : le mécontentement ne s’entend pas seulement dans la rue, mais aussi dans les bureaux, dans les médias indépendants et dans les forums numériques où une génération intrépide affronte un régime qui hésite à rendre des comptes.
Le calme que Rabat tente de projeter ressemble à une fiction entretenue par la force. « Le régime croit maîtriser le temps, mais le temps ne joue plus en sa faveur », constate Mansouri. Mohammed VI est confronté à un choix inconfortable : réformer ou résister. « Le roi prendra-t-il des mesures rapides et concrètes pour remédier à cette situation et restaurer la confiance perdue ? » s’interroge Ben Issa. « Au Maroc, un sentiment de frustration généralisé règne dans de larges pans de la société. Cela est principalement dû au décalage croissant entre le discours politique et la réalité vécue par les citoyens, ainsi qu’à la persistance de déséquilibres structurels en matière d’emploi, d’éducation et de santé », conclut-il.