Grand reporter, Jacques-Marie Bourget a travaillé pour les plus grands journaux français dont vingt-deux années à Paris-Match. Journaliste spécialiste du monde arabe, il a obtenu le Prix Scoop 1985 pour avoir révélé l’affaire Greenpeace. Auteur de plusieurs livres dont « Des affaires très spéciales » (Plon), « Sabra Chatila au cœur du massacre » (Erick Bonnier) et « Le Vilain Petit Qatar » (Fayard) . Récemment, il a préfacé l’essai de l’écrivain algérien de gauche Ahmed Bensaada « Kamel Daoud la contre enquête » aux éditions Frantz Fanon. Ce dernier décortique le discours controversé de Kamel Daoud, notamment son article sur l’affaire de Cologne de 2016.
Question: L’article en question de l’écrivain algérien Kamel Daoud a fait couler beaucoup d’encre. En quoi est-il problématique ?
Jacques-Marie Bourget : La question est lapidaire et la réponse pourrait l’être. En soi Daoud n’est ni un grand intellectuel ni un grand écrivain. Il faut plutôt le rattacher au gratin du show business ou de la mondanité, c’est le dernier avatar de Saint-Germain-des-Prés. Par l’influence de ses relais il « fait le buzz », conformément aux nouveaux canons qui veulent que les idées ne soient plus transmises que par des « influenceurs ». Daoud n’a d’importance que celle qu’on lui donne, on le conforte pour que sa parole soit d’Évangile. Même auprès des nostalgiques intellectuels « de gauche » compris – qui ressentent l’Algérie comme une colonie perdue. Fort d’un statut établi par lui-même, celle de « l’Arabe », Daoud crache volontiers sur un monde supposé être le sien, arabo et musulman. Pour ne pas perdre ses couleurs comme un linge passé, ce personnage naturalisé français à la vitesse du son, n’a pas le choix. Pour conserver son label d’arabité il doit continuer de parler au nom d’un peuple qu’il a renié.
« Le drame qui a provoqué la gloire de Kamel est une fausse nouvelle : les « viols de Cologne » n’ont jamais eu lieu. Une fake news montée par l’extrême droite Allemande ; avec l’aide de quelques policiers et journalistes complices. »
Les néoconservateurs du monde « occidental » ont besoin de lui pour valider leurs critiques et mépris émis contre ces peuples non éduqués qui ignorent tout de la démocratie et de la liberté. Daoud est comme ces juke-boxes qui, après avoir avalé une pièce de monnaie, vous jouaient l’air choisi. Il est bien pratique. Si, dans le débat public il faut défendre les harkis ? Kamel est là en tant qu’Algérien de souche. Et là aussi pour nous certifier qu’il y du bienfait dans la colonisation. Faut-il cogner sur l’islam ? Aucune difficulté. Avec le bonus d’un expert puisque Daoud, avant son repentir, a été un militant de l’islam musclé. Toutes ses réponses vont enchanter les citoyens « de souche » dans tout l’Hexagone. Daoud est un couteau suisse philosophique : il sert à tout. Après avoir renié son engagement politico-religieux, Kamel Daoud a été un journaliste assez brillant et assez créatif pour faire vivre un concept. En s’accrochant à l’œuvre d’Albert Camus, au personnage de l’Arabe assassiné par Meursault dans L’Étranger. C’était une bonne idée d’imaginer une vie, une pensée, une famille à ce mort anonyme rendant le dernier soupir sur une plage. Verve épuisée, la veine du Daoud romancier semble se poursuivre dans l’aridité de l’oued. Reste que l’oranais a réhabilité « l’Arabe ». Ce qui, aux yeux des siens, a fait entrer le journaliste oranais dans le camp du bien. L’engagement est suffisamment fort pour que, sans dommages, il ait accumulé assez de crédit pour trahir sa cause.
Au premier de l’an 2016 la presse internationale révèle que « des centaines de femmes », à Cologne pendant la nuit de la Saint Sylvestre, ont été violées par les « hordes de migrants ». En un tour de clé la tragédie ouvre à Daoud les porte du journal Le Monde. Il publie dans les pages vespérales une tribune qui exprime que finalement, l’Arabe frustré par sa religion et sa culture, ne peut échapper à son atavique destin. Maltraiter les femmes, voire les violer, est un dérapage attendu. Une affaire de « nature ». Subjugué par une aussi pertinente analyse, le monde occidental, celui des anciens colonisateurs, s’écrie hosanna : voilà un « arabo-musulman » qui n’a pas peur de dire la vérité. Jubilation. Sauf auprès de dix-sept universitaires qui protestent, toujours dans Le Monde, mais sans la puissance de la HIFI de Daoud.
Le premier problème, qui aurait dû provoquer la chute de la maison Daoud, c’est que le drame qui a provoqué la gloire de Kamel est une fausse nouvelle : les « viols de Cologne » n’ont jamais eu lieu. Une fake news montée par l’extrême droite Allemande ; avec l’aide de quelques policiers et journalistes complices. Un indice : outré du mensonge, le quotidien ultra réactionnaire et anti immigrés Bild, a retiré ses articles et présenté des excuses aux lecteurs. Daoud, lui aussi, aurait rencontré l’honneur en demandant pardon. Et disparaissant. Pas du tout : il est donc devenu l’un de ces indispensables pères fouettards dont l’ex-monde colonial, aujourd’hui maquillé « démocrate », stimule ses cohortes.