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Le Maroc face à ses paradoxes

Par Akli Imoghrassen

Faisant face à une crise économique sans précédant, avec des perspectives sombres, selon les notes spéciales de la  Banque mondiale et autres évaluations faites dans le sillage de la pandémie du Cornavirus, le Maroc qui a, visiblement, beaucoup à craindre pour l’avenir de la monarchie, vit sous l’emprise d’une crise de succession du monarque malade, une succession qui s’invite dans un contexte très délicat, faisant qu’elle n’est pas totalement acquise au jeune prince Hassen III.

Longtemps présenté comme le modèle d’une monarchie qui use avec « dextérité » du soft power, des efforts ont été consentis pour lui imprimer une image, (pour reprendre l’analyse de Pierre Vermeren, dans son dernier ouvrage intitulé « Le Maroc: un royaume des paradoxes »), s’apparentant à une « exception » ou ce qu’il a qualifié tout simplement d’ »exception marocaine ».

Avec le temps, il s’avère que cette image artificiellement entretenue, commence sérieusement à s’éroder et risque à terme de se transformer en « exception » de par les facteurs d’instabilité qui la traversent et qui sont appelés s’exacerber avec la faillite d’un système économique basé essentiellement sur les services, en particulier le tourisme.

De l’avis des observateurs, le Maroc est entrain de cumuler les indices d’une déflagration sociale imminente, dont les retombées sont incalculables.

Le calme de façade, souvent égratigné par des émeutes et des soulèvements populaires, dont le plus important fut celui du Rif, ayant trahi encore une fois de plus un makhzen foncièrement autoritaire et extrêmement répressif, bat inexorablement de l’aile pour plonger la monarchie et ses sujets dans d’innombrables incertitudes.

Jusqu’à pas  longtemps, le makhzen a réussi le tour de déjouer toutes les crises auxquelles il a eu à faire face. Des émeutes enregistrés dans le sillage de ce qui est appelé « Printemps arabe » (2011), au soulèvement d’El Hoceima réprimé dans le sang, rappelant les années de plomb de l’autoritaire Hassen II et assenant, de la sorte, le coup de grâce à la prétendue « exception marocaine ».

Le Coronavirus trahit une économie au bord du précipice

Pierre Vermeren, professeur d’histoire et spécialiste du Maghreb, évoque une particularité marocaine, à l’ombre de la pandémie qui déteint sérieusement sur les économies de la région, une particularité faisant que l’économie marocaine présente des facteurs de fébrilité avérés. Le Maroc s’enlise dans l’endettement, faisant  « (…) craindre une situation très incertaine sur les plans économique et sanitaire ».

Ce constat, de surcroit conforté par les prévisions pessimistes de la Banque mondiale,  qui, dans une note exceptionnelle datant de juillet 2020, évoque une incidence de la pauvreté pouvant atteindre les 6,6%, devient plus complexe face à des perspectives économiques assombries par une augmentation alarmante des cas du Covid 19 dépassant allègrement  depuis un moment les 2000 nouveaux cas par jours. Cette pandémie a mis à nu un système sanitaire archaïque et incapable de répondre correctement à des cas d’urgences sanitaires de ce type.

« Suite à  la crise économique et sociale induite par la Covid-19, la proportion de personnes + vulnérables à la pauvreté+ et/ou + pauvres + pourrait passer de 17,1% de la population en 2019 à environ 19.87% en 2020, soit 1,058 millions de personnes additionnelles », lit-on notamment dans cette note de la Banque mondiale.

Récemment, le ministre de la Santé estimait que son pays «risque d’être submergé par le virus de la Covid-19». Vendredi dernier, le pays a enregistré un bilan de plus de 2700  nouveaux cas de contamination, avec un pic important enregistré dans la région de Casablanca.

La capitale économique s’est par conséquence vue imposée de nouvelles mesures : couvre-feu à 22h et fermeture de tous les établissements scolaires, secondaires et universitaires. Casablanca est donc verrouillée.

Le ministre de la Santé marocain, Khalid Ait Taleb, a dressé, récemment, un tableau sombre de la situation sanitaire prévalant dans son pays. Son constat est perçu comme un cri de détresse, faisant craindre le pire à la monarchie.  «Nous risquons d’être submergés par le virus. Dès lors, des mesures drastiques s’imposent, sinon la situation risque d’être incontrôlable dans les jours à venir», avait-il  annoncé, cité par l’agence marocaine de presse MAP, afin de justifier ces nouvelles restrictions.

Cette évolution de la pandémie est à inscrire dans la durée, selon, les spécialistes, faisant que le Maroc qui prévoyait  une contraction de 5,8% de son économie en 2020, la première depuis plus de 20 ans, risque de voir ce chiffre s’aggraver.

Ainsi, la pandémie a fini par avoir raison d’une économie déjà fragile, selon la note stratégique tripartite du Haut-commissariat au Plan (HCP), du système des Nations-Unies et de la Banque mondiale. Le repli de l’activité économique au troisième trimestre qui se situait à -4,1 % risque bien d’être plus lourd. Il était dans les limites de 13,8% au deuxième trimestre.  Cette note avance aussi « un creusement du déficit budgétaire à 7,7 % du PIB ».

Devant cette situation, le Maroc se trouve obligé d’aller vers un endettement qui devient de plus en plus lourd. Face à cet inéluctable endettement, le Maroc fera à moyen terme face, au moins, à une complication de la situation sanitaire.

Les limites du soft power

Le Maroc se trouve devant un véritable dilemme. La monarchie, qui a longtemps surfé sur une prétendue « exception marocaine », par rapport à des voisins perçus comme « réfractaires » à l’occident, une attitude forgé des tiraillements induits par la guerre froide dans la région, se trouve face à un véritable défi.  Sérieusement tenté par un troc: « normalisation » des relations avec Israël contre une reconnaissance américaine de « la marocanité » du Sahara occidental, le Maroc craint une déflagration sans précédant d’une population en proie à une situation socio-économique très difficile, compliquée par l’absence d’espaces de liberté et soumise à un lourd appareil sécuritaire.

La rue au Maroc demeure particulièrement sensible à la question palestinienne, tout comme le reste des pays de l’espace maghrébin. C’est ce qui explique l’anticipation de l’islamiste Saadedine El Othmani qui avait dénoncé le  24 août passé la normalisation des relations entre les émirats arabes unis avec l’entité sioniste.

« Nous refusons toute normalisation avec l’entité sioniste parce que cela l’encourage à aller plus loin dans la violation des droits du peuple palestinien », avait-il pompeusement déclaré dans son discours au forum de la jeunesse de sa formation politique ( Le parti de la justice et du développement -PJD). Paradoxalement, El Othmani mettra un bémol à ses ardeurs, à travers les colonnes du journal électronique « 360 ma », en déclarant, une journée après, qu’il s’exprimait en tant que chef du PJD et non en tant que Gouvernement.

Le revirement d’El Othmani illustre  bien, selon  de nombreux analystes, la complexité de la position de la monarchie alaouite face à ce problème. Plutôt volontariste, allant jusqu’à cultiver l’amalgame et distiller ouvertement de fausses informations pour impliquer le mouvement de libération nationale sahraoui (le Polisario) dans le terrorisme, en l’accusant d’avoir des relations avec l’Iran, qui le soutiendrait « en armant son aile militaire et en entrainant ses éléments ». Derrière cette accusation, le Maroc voulait se mettre dans la ligne stratégique de l’ancien conseiller de Trump Bolton, connu per ses positions défavorables à l’occupation marocaine du Sahara occidental et foncièrement anti iraniennes.

Cette fois, avec les appels de Trump à la normalisation avec Israël, la monarchie se trouve pied au mur. Elle fait partie de la liste des pays arabes appelés, selon les pronostics de l’administration de Trump, à suivre l’exemple des Emirats et du Bahreïn. C’est clair que le Maroc est parmi la liste des cinq à six pays arabes appelés à normaliser leurs relations avec l’entité sioniste.

Le Roi, qui préside depuis 21 ans le Comité d’El Qods et qui s’est refugié jusqu’ici dans l’ombre de l’initiative mort-née arabe sur la Palestine, est aujourd’hui sommé de  trancher sa position bicéphale face à Israël. Va-t-il jusqu’à faire la sourde oreille aux craintes d’une normalisation avec Israël, pour prouver que le royaume est bien amarré à la politique américaine, quitte à se départir d’une attitude « hypocrite », entretenue par rapport à El Qods, devenue « capitale d’Israël » ?

Déjà, avant l’arrivée de cette histoire de normalisation des relations avec Israël, le Maroc a vu ses certitudes s’effriter l’une après l’autre. Son forcing pour intégrer l’Organisation des pays, de la CEDAO s’est vite révélé un vœu pieux qui a brûlé tel un feu de paille en un temps record, tout comme son projet de gazoduc Nigéria-Europe, via l’Atlantique, qui s’est avéré finalement une « lubie » du Makhzen qui fait tout par rapport à son voisin.

Pire encore,  l’écran de fumée suscité par son adhésion à l’Union africaine (UA) s’est vite dissipé, pour laisser place à la réalité de cet acte, qui équivaut à une reconnaissance de facto de La République sahraouie, membre fondateur de l’organisation continentale. Les actes de cette adhésion furent validés par le Parlement marocain et publié dans le journal officiel, avec la motion citant la RASD en qualité de membre à part entière de l’UA.

Présenté comme « le champion du  soft power, condition de sa survie », pour reprendre la description de nombreux spécialistes, le Maroc se trouve dans une posture peu confortable, exacerbée par des craintes de voir disparaitre un Roi malade, sans avoir tranché la question de sa succession. La monarchie alaouite se trouve aujourd’hui face à ses paradoxes, car, l’heure de vérité approche…..

AI

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