Par Mesloub Khider
À la suite de la publication de mon article, intitulé « Les Comoriens sont plus chez eux que les colonisateurs français », certains commentateurs ont défendu « le droit de la France à expulser les Comoriens. Car, selon eux, Mayotte lui appartient ». « Légalement la France est chez elle à Mayotte puisque ces habitants (Mahorais) ont voté pour rejoindre la France lors d’un référendum. Les Comoriens n’ont aucun droit légal sur Mayotte. On doit respecter ce droit », écrit un commentateur.
Ces Algériens, probablement établis en France, comme la majorité des Français, ont fait de l’ignorance une vertu. Et de la xénophobie leur morale. Aussi piétiner l’histoire et écraser les peuples de couleur s’intègrent-ils dans la même logique et entreprise coloniales.
L’ignorance de la véritable histoire portant sur l’indépendance de l’archipel des Comores, conjuguée avec leur conditionnement par la propagande néocolonialiste française, expliquerait leur fourvoiement. Leur dévoiement. Et donc leur dévouement à la cause coloniale et impérialiste française.
Un rappel historique sur les tenants et aboutissants du processus d’indépendance de l’archipel des Comores leur permettra probablement d’infléchir leur jugement néocolonial, de changer d’opinion.
Dans le sillage des décolonisations initiées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quoique tardivement, l’archipel des Comores décide d’enclencher le processus d’autodétermination.
Il est utile de rappeler que l’archipel des Comores est composé de quatre grandes îles comprenant Mayotte, Anjouan, Mohéli et la Grande Comore. Un archipel uni par l’appartenance ethnique, l’histoire et la religion (l’islam). Autrement dit, ces populations forment un même et seul peuple, d’obédience musulmane. Les Mahorais sont des Comoriens. L’appellation même de Mahorais, en tant qu’entité autonome, a été créée par la France coloniale. Ainsi, les quatre îles de l’archipel des Comores partagent la même langue, la même religion, la même culture.
Au début des années 1970, des accords sont passés avec la France relatifs à l’accession à l’indépendance des Comores. Sur les quatre îles, une île se distingue par son inclination francophile cultivée par quelques lettrés : Mayotte, habitée par ce que l’on désigne improprement par le néologisme Mahorais, terme confectionné par la France coloniale à des fins de séparatisme. Autrement dit, la France applique le séparatisme (cette position politique visant à la séparation d’un groupe culturel, ethnique, tribal, religieux, racial, politique ou autre d’un groupe plus large, en vue de se constituer en communauté distincte ou « nation » indépendante) depuis des décennies. Non pas sur son territoire mais sur un territoire d’un pays étranger (Liban, Comores, etc.), qu’elle convoite, qu’elle compte occuper ou contrôler.
Avec la France impérialiste, c’est diviser la population, non pas seulement pour mieux régner, mais pour bien rogner le territoire d’un pays souverain.
Le 22 décembre 1974, lors du référendum d’autodétermination des Comores, cette « élite mahoraise » obtient à Mayotte un vote à 63,8 % contre l’indépendance. Les trois autres îles votent à près 100% en faveur de l’indépendance. Pour l’ONU, seul le résultat du référendum pour l’ensemble des Comores est valide. Donc l’indépendance de l’archipel des Comores est reconnue par toutes les instances internationales. Y compris par la France. Avant, par un de coup de théâtre dont elle est coutumière, de se raviser. De réviser sa position.
Lorsque, le 6 juillet 1975, l’Assemblée des Comores proclame l’indépendance des quatre indissociables îles formant l’archipel des Comores, le gouvernement français, par la voix de son porte-parole, entérine la position officielle française : « Le gouvernement se déclare disposé à entamer avec les nouvelles autorités les pourparlers concernant les transferts de responsabilités. S’agissant de l’île de Mayotte, le gouvernement tiendra compte de la volonté ainsi manifestée ». Ainsi, pour autant qu’on puisse en juger par les déclarations officielles du porte-parole du gouvernement, l’État français reconnaît la souveraineté de la nouvelle République des Comores sur Mayotte, quoiqu’une des îles ait voté pour son maintien au sein de la France. Car la France s’était prononcée favorablement pour le décompte global des suffrages sur l’ensemble de l’archipel,et non île par île.
À cette date, aucun dirigeant français n’évoque une division ultérieure du territoire comorien. Y compris Valéry Giscard d’Estaing , fraîchement élu président de la République. Au mois d’octobre 1974, lors d’une conférence il rappelle avec insistance la position officielle de l’État français concernant l’archipel des Comores : « Pour ce qui est de l’île Mayotte, le texte a été évoqué par l’Assemblée nationale, il s’agit de l’archipel des Comores (…). C’est une population qui est homogène, dans laquelle n’existe pratiquement pas de peuplement d’origine française, ou un peuplement très limité. Était-il raisonnable d’imaginer qu’une partie de l’archipel devienne indépendante et qu’une île, quelle que soit la sympathie qu’on puisse éprouver pour ses habitants, conserve un statut différent ? Je crois qu’il faut accepter les réalités contemporaines. Les Comores sont une unité, ont toujours été une unité. Il est naturel que leur sort soit un sort commun, même si en effet certains d’entre eux pouvaient souhaiter (et ceci naturellement nous touche), eh bien que nous ne puissions pas, ne devions pas en tirer les conséquences, même si certains pouvaient souhaiter une autre solution ? Nous n’avons pas, à l’occasion de l’indépendance d’un territoire, à proposer de briser l’unité de ce qui a toujours été l’unique archipel des Comores ». Telle est la position officielle de la France relativement à l’indépendance de l’archipel des Comores, dont l’intangibilité des frontières est également reconnue. Elle ne souffre aucune ambiguïté.
Et pourtant, pour d’évidentes raisons géostratégiques et sous la pression du lobby militariste, la France va trahir ses engagements diplomatiques. La France opère un virage à 180 degrés. Selon la puissance impérialiste française, Mayotte doit à tout prix demeurer dans le giron néocolonial tricolore. Pour la France impérialiste, cet archipel de l’océan Indien, du moins l’île de Mayotte, constitue un intérêt capital pour sa situation géostratégique sur la route maritime de l’Est africain. C’est un axe majeur du commerce mondial. Implantée dans une région centrale de l’Océan Indien et au Nord du Canal du Mozambique, l’île de Mayotte représente un enjeu militaire pour l’impérialisme français et un poste avancé de sa domination dans la région. Au reste, dès 1975, la base de la Légion étrangère, auparavant établie dans la Grande Comore, est transférée à Mayotte. En 1976 est installée une base navale d’une dimension plus étendue.
En violation du droit international, des résolutions de l’ONU et des engagements explicitement formulés par le président Valéry Giscard d’Estaing lors de sa conférence d’octobre 1974, la France décide d’organiser en février 1976 un référendum d’annexion pour la seule Mayotte, car celle-ci avait voté lors du scrutin pour l’indépendance de l’archipel en 1974 pour son maintien dans la France. (Comme si, après les deux référendums sur l’autodétermination de l’Algérie organisés les 8 janvier 1961 et le 1 juillet 1962, tous deux ayant approuvé largement l’indépendance, par un retournement de situation, le gouvernement français avait décidé d’organiser un troisième référendum uniquement en Algérie. C’est-à-dire où seuls les pieds-noirs auraient eu le droit de se prononcer sur l’indépendance de l’Algérie. Le résultat serait totalement différent : 99% auraient voté pour le maintien du statu quo, autrement dit l’Algérie française.) C’est dans un climat émaillé de violences (déjà !), d’affrontements, d’intimidations, voire d’expulsions des Comoriens partisans de l’unité de l’archipel, que l’illégal référendum d’annexion de Mayotte est organisé par l’État colonial français. Avec une population locale analphabète à 80%, conditionnée par l’élite mahoraise francophile, un scrutin cornaqué de main de maître par les services secrets français, le résultat atteint, sans surprise, un chiffre brejnévien : 99,4 % des votes exprimés se portent en faveur du maintien au sein du domaine français.
Cela étant, ce référendum d’annexion n’a jamais été reconnu par les instances internationales. Ni par l’ONU. Aussi la France, depuis 1976, est hors-la-loi. Elle est considérée comme une force d’occupation. Depuis lors, l’ONU réaffirme en permanence la nécessité de respecter l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores, composé des îles d’Anjouan, de la Grande-Comore, de Mohéli et, bien sûr, de Mayotte.
Ainsi, sous l’instigation criminelle de la France, c’est-à-dire en violation du droit international, Mayotte (mentalement colonisée) fait sécession, sur la base d’un référendum illégitime et illégal, voté par une population analphabète dont la majorité ne parle absolument pas français, ni ne sait où est située la France. Qui est plus, un référendum d’annexion avalisé par seulement 17 850 votants. Question : à supposer que la Corse veuille redevenir italienne, et organise, avec l’aide de l’Italie, un référendum de rattachement à l’Italie. Comment la France réagirait-elle ? Reconnaîtrait-elle ce rattachement ? La République des Comores continue naturellement de contester ce qu’elle considère comme une annexion, une occupation coloniale de son territoire. Le rattachement de Mayotte a immédiatement été suivi par l’adoption de nombreuses résolutions de l’ONU visant la France. De même, la communauté internationale est toujours demeurée unanime pour reconnaître cette évidence : le caractère comorien de l’île comorienne de Mayotte. Pour l’ensemble des instances internationales, la France a violé le droit international en arrachant Mayotte à son archipel comorien. Condamnée plus de vingt fois par l’ONU et l’Union Africaine, cette occupation demeure illégale.
Pire. Selon certains juristes français, « l’intégration de Mayotte au territoire français est non seulement contraire au droit international, elle bafoue également le droit français ». Car, selon ces constitutionnalistes « La République ne peut s’augmenter de portions de territoire par le vote unilatéral d’une entité extranationale ou territoriale. Il faut, selon l’article 3 de la Constitution, l’assentiment du peuple français dans son entier ». Autrement dit, seul le peuple français, consulté par voie référendaire, dispose du droit d’avaliser l’extension territoriale. Or, les Français n’ont jamais été sollicités pour approuver l’annexion de Mayotte. Comme le soulignent les juristes, les habitants de Mayotte ne constituant pas un peuple à part entière conformément à la définition du droit international, ils sont donc comoriens depuis la déclaration d’indépendance de l’archipel des Comores…. »
Pire. D’après ces juristes, « Les actes juridiques des référendums de 1976 et celui de mars 2009 relatif à la départementalisation (laquelle est devenue effective le 1 mars 2011) sont des actes juridiquement inconstitutionnels et par conséquent nuls de plein droit ». Notamment le « visa Balladur » qui a supprimé la liberté de circulation entre Mayotte et le reste de l’archipel des Comores.
Pire encore. L’hypocrisie de l’État français se dévoile sur le registre religieux. Pour ménager les Mahorais (acheter leurs voix et leur asservissement colonial), majoritairement musulmans, et continuer à se ménager une place dorée sur l’île de Mayotte, l’État français impérialiste a dû faire d’énormes concessions. Quitte à enfreindre la loi. À piétiner la Constitution. À bafouer ses « principes républicains et laïques ».
En effet, pendant que les dirigeants français, depuis plus de 40 ans, au nom de la laïcité, pourchassaient, dans l’hexagone, toute entorse aux principes « républicains », condamnaient des citoyens français de confession musulmane pour de vénielles infractions à caractère religieux, Mayotte, censément département français, était livrée aux confréries islamiques. À la charia (désignée sous la locution euphémistique « droit coranique »). Par exemple, l’état civil était/est encore géré par les Cadi. Les juges de paix sont musulmans et souvent illettrés. La polygamie est restée une pratique courante. La loi restreint l’héritage des femmes à la moitié de celui dévolu aux hommes, telle qu’elle est en vigueur dans les pays musulmans. Le code civil est en arabe. Les noms de famille sont pratiquement inexistants (générant des problèmes pour l’état-civile français). Seuls 45% des mahorais parlent français et entre 30 et 40% sont analphabètes.
Voilà : pour ses intérêts géostratégiques et militaires, la bourgeoisie française est disposée à piétiner ses hypocrites valeurs laïques, comme elle le prouve, du reste, avec les pays du Golfe, épicentre de l’islamisme et du financement du terrorisme, pays avec lesquels elle entretient d’étroites relations.
Ironie de l’histoire, l’État impérialiste français promettait aux Comoriens de Mayotte, baptisés Mahorais, de transformer leur île en eldorado. Or, aujourd’hui, Mayotte est devenue une immense favela, disposant d’un revenu par habitant équivalent à certains pays sous-développés. C’est le « département » le plus pauvre de France. 84 % des « Mahorais » vivent sous le seuil de pauvreté à Mayotte.
Les relents néocoloniaux de la France et ses politiques ségrégationnistes s’illustrent par la condition sociale misérable des habitants mahorais de Mayotte.
Mayotte, si on la considère comme un département français, se classe à la dernière place dans pratiquement tous les domaines. On y relève le produit intérieur brut par habitant le plus faible du pays, avec seulement 9 241 euros en 2018 contre 22 359 pour la Réunion et 38 900 pour la Seine-Saint-Denis. Selon l’INSEE, la moitié de la population de Mayotte a un niveau inférieur à 3 140 euros par an et 80 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté (dans l’hexagone, ce taux est de 14% : preuve que les Mahorais sont considérés comme des « citoyens français » de seconde zone). Le taux de chômage y est de 34% (six fois plus qu’en métropole). Et pourtant, en dépit de cette cruelle précarité, et de la cherté des produits dans l’île dans la mesure où ils sont massivement importés,
les minima sociaux ne sont toujours pas alignés sur ceux des autres Français de la métropole. En 2021, pour l’indigène mahorais le RSA y est de 282 euros pour une personne seule contre 565 euros en France métropolitaine. De même le salaire minimum n’est qu’à 7,74 euros brut de l’heure contre 10,25 au niveau national. Au plan scolaire, Mayotte détient le plus faible taux de réussite au baccalauréat : 71,49 % en 2019 contre 88,1 % au niveau national. Par conséquent, c’est le territoire français le moins diplômé avec 68,5 % des habitants peu ou pas diplômés contre 28,4 % au niveau national.
Cela rappelle étrangement la situation de l’Algérie à l’époque coloniale. À la veille de l’indépendance, en 1961, seuls 12% de la population étaient rudimentairement scolarisés. Le nombre de bacheliers très faible. (Assurément, si l’Algérie était demeurée française, la condition sociale de l’indigène algérien serait, aujourd’hui, vraisemblablement similaire à celle des Mahorais de Mayotte).
Pareillement, sur le plan médical, Mayotte cumule plusieurs pathologies potentiellement létales. Symptomatiques d’un contexte colonial délibérément entretenu par l’État français, des maladies disparues en métropole, comme la lèpre ou la tuberculose, se propagent toujours sur l’île, sur fond de pénurie d’eau. Le nombre de médecins est déficient. À Mayotte il y a cinq fois moins de médecins par 100 000 habitants que dans un département français de l’hexagone.
Pire, Mayotte est en proie à une insécurité chronique. Face aux difficultés économiques et sociales, la délinquance et la criminalité flambent. Mayotte est devenue une « poudrière, une bombe à retardement, c’est un Titanic à la dérive ».
En dépit de ce bilan socio-économique colonial dramatique pour la population autochtone, de l’explosion de la criminalité, de l’implosion de la société, sans aucun doute, la France impérialiste ne semble pas prête à rétrocéder Mayotte. Et pour cause. L’île occupée abrite un régiment de la légion étrangère et peut accueillir navires et avions de guerre, en cas d’alerte militaire. Elle abrite également un centre d’écoute qui permet à la France de surveiller l’ensemble de l’océan Indien. Et une bonne partie du continent africain. Qui plus est, la région recèle aussi de nombreuses ressources, tant halieutiques qu’énergétiques. D’importants gisements gaziers y ont été découverts ces dernières années.
L’occupation de Mayotte permet également à la France de pérenniser un semblant de puissance maritime au niveau planétaire.
La France accuse la Russie d’avoir organisé un référendum illégal dans le Donbass pour s’approprier illégalement cette région ukrainienne. Pour contrer la politique annexionniste de la Russie la France aide militairement le régime néonazi de Kiev, notamment par l’envoi d’armes.
De toute évidence, la France ne peut faire la leçon à la Russie au sujet de la Crimée ou du Donbass (ou à la Turquie au sujet de Chypre). Car, elle-même, depuis bientôt un demi-siècle, colonise ce territoire de l’océan Indien, Mayotte, située, non pas à ses frontières, mais à 8 000 km de Paris.