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Modernité, souverainisme et démocratie (3ème partie)

Par Mohamed Belhoucine*

‘’La théorie de la valeur est l’âme et la substance du concept de l’Etat souverain moderne’’(A.Smith op.cité).

Thomas Hobbes (1588 – 1679).

L’architecte constructeur du dispositif et de l’appareil politique transcendantal ce sera Thomas Hobbes qu’il adosse à un dirigeant souverain suprême et absolu, un “Dieu sur terre”. Hobbes dans une première phase, part de l’affirmation que la guerre civile est un état originel de la société humaine : un conflit généralisé entre acteurs individuels (la guerre de tous contre tous). Puis, dans une seconde phase, afin de garantir leur survie contre les dangers mortels de la guerre, les hommes doivent convenir d’un pacte qui assigne à un chef le droit d’agir, c’est à dire le droit absolu de tout faire, sauf d’éliminer les moyens de la survie et de la reproduction humaine.

“La raison qui voit juste n’existe pas ; la raison d’un homme ou de plusieurs doit en prendre la place ; et cet homme (ou ces hommes) est (ou sont) celui (ou ceux) qui détient (ou détiennent) le pouvoir suprême.” (De cive, Hobbes, p.135).

Ainsi, c’est par un contrat, totalement implicite, antérieur à toute action ou à tout choix social, qui transfère tout pouvoir autonome de la multitude à un pouvoir souverain qui se tient au-dessus de lui et le dirige.

Ce dispositif politique transcendantal correspond aux conditions transcendantes nécessaires et inéluctables que la philosophie moderne a placées au sommet de son développement, dans le schéma kantien comme dans la dialectique hégélienne.

Selon Hobbes, les volontés isolées des différents individus convergent et sont représentées dans la volonté du souverain transcendant.

La souveraineté est ainsi définie à la fois par la transcendance et la représentation, deux concepts que la tradition humaniste (premier mode de la modernité) avait posés comme contradictoires.

Car la souveraineté de l’Etat est totalement antinomique à la souveraineté populaire.

Nous assistons à une contradiction flagrante, d’une part, la transcendance du souverain est fondée sur la logique immanente des relations humaines, et d’autre part, la représentation qui sert à légitimer ce pouvoir souverain l’aliène aussi complètement de la multitude des sujets.

Hobbes, ajoute, dans son ouvrage De Cive : 

“Le point principal de la majesté souveraine et du pouvoir absolu consiste à donner la loi aux sujets en général, sans leur consentement”. !!

Hobbes pas aussi unilatéral mais va plus loin, arrive à combiner cette notion avec deux concepts joints ; le contrat d’association est intrinsèque au contrat de soumission et de servitude et inséparable de lui.

Cette théorie de la souveraineté offre la première solution politique à la crise de la modernité (la crise de la vraie modernité à qui on substitue le souverainisme ou anti-modernité).

Dans sa période historique, la théorie de la souveraineté de Hobbes servit au développement de l’absolutisme monarchique, mais en fait, son schéma transcendantal pouvait être également appliqué à diverses formes de gouvernement : monarchie, oligarchie et démocratie libérale corrompue. La bourgeoisie et le capitalisme devenus prépondérants et dominants, il sembla qu’il n ‘ y avait pas de solution de rechange à ce schéma de pouvoir.

Jean Jacques Rousseau (1712-1778).

Rousseau va introduire un nouveau concept abstrait, hexagonal et chimérique (le maniérisme de la pensée française) qui est celui de la volonté générale, qui ne veut rien dire, que portera le modèle du républicanisme démocratique rousseauiste.

Toutes les volontés individuelles seront sublimées dans la construction d’une volonté générale (sans rapport avec la réalité) qui procède à son tour de l’aliénation de ces mêmes volontés générales en faveur de la souveraineté de l’État.

En réalité “l’absolu républicain’’ de Rousseau n’est, en réalité, pas différent du ‘’Dieu sur terre’’ de Hobbes : l’absolu monarchique.

‘’Proprement entendues, toutes ces clauses reviennent à une seule, c’est à dire l’aliénation totale de chaque associé, avec tous ses droits, à la communauté entière’’ (J.J Rousseau, du contrat social, édit Gallimard, Livre 1, chap.6, p.20).

Rousseau déformera la représentation directe qui sera subsumée par la représentation de la totalité. La notion hobbesienne et rousseauiste de la représentation vont coïncider.

‘’la souveraineté n’existe proprement que dans la monarchie, parce qu’Un seul peut être effectivement souverain. Si deux ou trois ou plus devaient gouverner, il n’y aurait pas de souveraineté puisque le souverain ne saurait être soumis au gouvernement des autres ’’ (du contrat social, op. Cité, p.121).

La souveraineté moderne n’a réellement qu’une seule figure politique : celle d’un pouvoir transcendant unique. La démocratie absolue est définitivement enterrée.

Remarque fondamentale

On occulte toujours un élément important à la base de la théorie moderne de la souveraineté – un contenu qui remplit et soutient la forme de l’autorité souveraine, que le plus grand historien vivant actuellement, l’Indien Sanjay Subrahmanyam, promoteur de l’Histoire Globale, a débusqué.

Sanjay Subrahmanyam est un lecteur assidu et attentif de Karl Polany et de Karl Marx, va éclairer notre lanterne :

[Ce contenu est représenté par le développement capitaliste et l’affirmation du marché comme fondement des valeurs de la reproduction sociale. Sans ce contenu—qui est toujours implicite et dissimulé, toujours agissant à l’intérieur de l’appareil transcendantal – la forme de souveraineté n’aurait pas été capable de survivre dans la modernité (anti modernité) et l’antimodernité européenne n’aurait pas été en mesure d’obtenir une position hégémonique à l’échelle mondiale].

“L’Eurocentrisme s’est distingué des autres ethnocentrismes – tel le sinocentrisme – et il s’est élevé au premier rang mondial principalement parce qu’il est soutenu par les puissances du Capital.” Sanjay Subrahmanyam (leçon inaugurale au collège de France).

Sanjay Subrahmanyam, nous l’assène bien, la modernité européenne et ses modes de souveraineté et de représentation sont inséparables du capitalisme.

Alors comment agit ce souverainisme capitaliste ? Sur plusieurs couches. D’abord la notion de gain, qui est la plus grande invention du capitalisme, très récente, ne date que depuis 1814 selon Karl Polanyi.

“Le capitaliste ne comprend que son propre gain mais, il est conduit par une main invisible pour promouvoir une fin qui ne faisait pas partie de son projet premier” (A.Smith, la nature et les causes de la richesse des nations Flammarion, Paris, & 9).

Ensuite, la ‘’main invisible du marché’’ qui synthétise la contradiction entre enrichissement privé et intérêt public.

“La science politique considérée comme une branche de la science de l’administration et du législateur, elle comprend ‘’la main invisible du marché’’ comme un produit de l’économie politique elle-même qui est ainsi dirigée vers l’édification de l’autonomie de ce même marché’’(La grande transformation, p.51,Karl Polanyi).

Et enfin, un troisième passage qui confère la synthèse définitive, c’est celle de la médiation de l’Etat :

‘’Ce qui est nécessaire est pour l’Etat, minimal mais efficace, afin d’assurer que le bien-être des individus privés coïncide avec l’intérêt public, réduisant toutes les fonctions sociales et les activités de travail à une mesure de valeur. Que l’Etat intervienne ou non est secondaire ; ce qui compte est qu’il donne un contenu à la médiation d’intérêts et représente l’axe de rationalité de cette médiation. Pour qu’en final, le transcendantal politique de l’Etat moderne soit défini comme transcendantal économique capitaliste’’. (La grande transformation, p.110, Karl Polanyi)

Ce qui fait dire à Adam Smith, qui corrobore le raisonnement de Polanyi, ‘’La théorie de la valeur est l’âme et la substance du concept de l’Etat souverain moderne’’ (A. Smith op. Cité).

Conclusion :

C’est en faisant un tour chez le ‘’spécialiste’’ de l’Etat Prussien, Hegel, que nous synthétiserons et concluons. Chez Hegel, la synthèse de la théorie de la souveraineté moderne et la théorie de la valeur produite par l’économie politique capitaliste se réalisent finalement :

“En relation avec les sphères du droit privé et du bien-être privé, les sphères de la famille et de la société civile, l’Etat est d’un côté une nécessité externe et le plus haut pouvoir à la nature de qui leurs lois et leurs intérêts sont subordonnés et dont ils dépendent. Mais d’un côté, c’est leur finalité immanente, et sa force consiste en l’unité de sa fin universelle et ultime avec l’intérêt particulier des individus, dans le fait qu’ils ont des devoirs envers l’Etat dans la même mesure où ils ont des droits’. [Hegel op. Cité, p.261].

Que retient-on ? La relation hégélienne entre particulier et universel réunit en termes adéquats et fonctionnels la théorie de Hobbes-Rousseau de la souveraineté et la théorie de la valeur d’Adam Smith. Tout une mixture servant au besoin exclusive du capitalisme !

La souveraineté européenne moderne est la souveraineté capitaliste, une forme de commandement qui surdétermine la relation entre individualité et universalité, comme fonction du développement du capital.

La démocratie parlementaire libérale occidentale est constitutive au capital.(c.q.f.d).

Sans éclairage philosophique de la situation historique dans laquelle l’Algérie se trouve et de sa place dans le monde, l’action politique est aveugle, personne n’a réussi à la faire jusqu’à maintenant, ni par  la façon probe et humble mais limitée et dépassée de Malek Bennabi (son erreur, voulait une renaissance à travers une nouvelle lecture de la métaphysique religieuse, dissociée et sans conflit avec les forces du capital !) ni par les écrits malheureux, de ses faux disciples comblés d’une indigence bibliographique lamentable, des scripts entachées d’amphigouris, de galimatias inintelligibles qui servent beaucoup plus à désarçonner la tête du lecteur par la vanité et la confusion.

Cette réflexion doit se déployer sur 3 directions :

Primo : Une généalogie et une étude approfondie de l’aventure coloniale depuis la tentative avortée (grâce à la météorologie) de l’expédition de François 1e d’occuper Alger (1541) jusqu’à aujourd’hui (j’ai choisi cette durée de 5 siècles, temps nécessaire que décrivent les grands historiens des longues périodes pour un changement radicale de nos structures mentales).

Secundo : Une généalogie et une étude approfondie de l’aventure capitaliste et ‘’démocratique ‘’ en Europe depuis les Tudors et les Stuart (en Angleterre) jusqu’à aujourd’hui.

Tertio : le sens profond de ‘’ l’échec’’ de cette expérience singulière qu’a été le socialisme historique, essentiellement en URSS.

*Docteur en physique et DEA en économie

Lire: Mondernité, souverainisme, et démocratie (1ère partie)

Et: Modernité, souverainisme, démocratie ( 2ème partie)

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