A la une, Contribution

Mondernité, souverainisme, et démocratie (1ère partie)

Par Mohamed Belhoucine*

C’est quoi la Modernité ?

“ L’ordre institutionnel marche aux passions. Mais tombe aussi par les passions. Les affects sont la matière même du social, elles recèlent les idées et l’ingénium de la multitude, plus particulièrement ils sont l’étoffe de la politique.”  

Baruch Spinoza (1632-1677). (Traité Politique. Flamarrion 384 p).

Abstract :

Beaucoup de nos écrivains, politiques, psychanalystes et philosophes définissent très mal le concept de la modernité, n’arrivent pas à le cerner, parce qu’ils ne le connaissent pas, font cette confusion entre la vraie modernité liée à l’immanence de l’être [(égalité, mérite, liberté, appropriation collective des grands moyens de production, principe de reconnaissance (Hegel et Axel Honnett)],

et l’anti modernité que nous vivons actuellement, construite sur le mode du souverainisme et de la transcendance (progrès industriel,mode de vie, démocratie libérale faussement représentative, technologies, urbanisme etc..) qui est apparue en Europe après la contre-réforme de l’église c’est à dire postérieure à la guerre de trente ans d’où suivra plus tard la naissance du capitalisme.

Pour combler cette grave lacune, j’interviens par devoir d’éclairer et lever définitivement cette confusion, des deux à la fois, du signifiant et du signifié.

Les concepts de modernité actuelle (antimodernité), de souveraineté et de démocratie constitutive au capital sont nés dans le concert européen. Suivre l’apparition du concept de souveraineté et de modernité en Europe, devrait nous permettre de reconnaître que leurs constructions ne sont ni unitaires ni pacifiques ; dès le départ, elles ont été caractérisées par des luttes, des conflits et des crises.

On identifie trois moments dans la formation de la modernité européenne, qui énoncent la configuration initiale du concept moderne de souveraineté.

Premièrement, la découverte révolutionnaire du plan de l’immanence  (750-1600). La première est celle définie par les Arabes précurseurs de la vraie modernité, avec les Mouâ’tazilats, comme un processus révolutionnaire radical qui détruit ses relations avec le passé et proclame l’immanence du nouveau paradigme du monde et de la vie. La place de l’Etre (au sens Heideggerien du terme, Etre et Temps) est centrale dans l’espace et le temps.

Les Mou’atâzilats développent connaissance et action comme expérimentation scientifique et définissent une tendance vers une politique démocratique, posant l’humanité et le désir au centre de l’Histoire auquel il faut ajouter ensuite le rôle de décisif de premier plan d’Ibn Roshd. La première grande interprétation de la philosophie politique d’Ibn Roshd va influencer tout un panel de Moyen- âgistes qui seront ses disciples, tels Marsile de Padoue, Dante Aligheri , Duns Scot , Guillaume d’Occam, Nicola de Cues, Pic de la Marandole, Boece de Dacie , Siger de Brabant , Jean de Jandun, et beaucoup d’autres notamment sur l’idée de la séparation de la foi et le savoir qui seraient deux ordres distincts. Tous maitrisaient la langue Arabe et lisaient Ibn Roshd dans le texte Arabe.

Cette séparation dans l’ordre de la connaissance aura pour corollaire dans l’ordre éthique et politique, la séparation entre le temporel et le spirituel. Ce qui en filigrane, poussera l’Eglise à lutter durant 6 siècles contre la langue Arabe pour l’éradiquer du concert européen.

C’est à la fille ainée de l’Eglise que sera octroyé le rôle de lutter et de porter le coup décisif final contre la langue Arabe en Europe et qu’elle poursuivra sans faille durant la colonisation de l’Algérie (1830-1962).

La décisive contribution de la philosophie politique d’Ibn Roshd (l’homme de tous les savoirs), 1126-1198 , est alors interprétée non pas comme révolutionnaire (il ne s’agit pas de renverser un quelconque pouvoir établi), ni comme conservatrice (il ne s’agit pas d’instaurer ou de perpétuer une théocratie religieuse ou philosophique), mais comme réformatrice : l’intellect exige de séparer le temporel du religieux, et la société humaine a pour but la connaissance et la sagesse dans un cadre de paix universelle (c’est l’aboutissement contemporain de toute l’exégèse du Saint Coran menée sans répit durant 50 ans par le grand savant arabe syrien feu Mohamed Shahrour).

Pour l’occident Chrétien de 1230 à 1600, Ibn Roshd incarnera la rationalité philosophique sans aucun autre concurrent. Tous ses commentaires sur Aristote et ses ouvrages seront traduits de langue Arabe en Latin, règneront sur les universités européennes du XIII au XVIIe Siècle. ‘’L’Europe n’aurait jamais été réelle et resterait un rêve sans l’apport d’Ibn Roshd’’ (Arnold Toynbee).

Ibn Roshd a eu une influence majeure sur les penseurs du monde chrétien médiéval, auprès duquel il a fortement contribué à la diffusion des cultures grecque et arabe, dans un texte Arabe.

Ibn Roshd incontestablement est le premier à avoir introduit une véritable théorie de la connaissance à l’origine de la modernité (la vraie) qui admet plusieurs modes de connaissance, qui sont autant de relations différentes entre notre système cognitif et l’intellect agent séparé (Dieu).

Ce qui est révolutionnaire, dans cette suite de développement philosophique du VIII au XVIe siècle, de la modernité (la vraie), c’est que l’homme s’est doté d’un pouvoir de création de l’objet sur terre, il a découvert la plénitude du plan de l’immanence. Tous prouvèrent la cohérence et l’originalité révolutionnaire de cette nouvelle connaissance ontologique d’Ibn Roshd.

Et finalement l’immense référence à Baruch Spinoza (1632-1677), pour qui l’ordre politique démocratique coïncide entièrement avec l’horizon de l’immanence, cette idée a dominé la seconde moitié du XVIIe siècle, et qui entérine que la démocratie de la multitude (dite aujourd’hui démocratie absolue) comme la forme absolue de la politique.

Deuxièmement, la crise née du conflit ininterrompu contre ces forces immanentes créatives et constructives contre toute forme d’autorité, et le pouvoir transcendant qui vise à rétablir l’ordre.

Ce conflit est la clef du concept de modernité, c’est à dire là ou la vraie modernité fondée sur le plan de l’immanence (être, ontologie, égalité, liberté) fut effectivement dominée et tenue en échec par la modernité ou l’anti modernité fondée sur la transcendance (souverainisme, mode de vie, technologie, science, urbanisme etc..).

Et Troisièmement , la résolution partielle et provisoire de cette crise dans la formation de l’Etat moderne comme lieu de souveraineté qui transcende et médiatise (au sens de la médiation) le plan des forces immanentes.

Le concept de souveraineté en Europe a servi de pierre angulaire pour la construction de l’eurocentrisme et du colonialisme. Dans cette progression la modernité (antimodernité) européenne elle-même devient de plus en plus inséparable du principe de souveraineté.

L’homme européen qui sera façonné de 1600 à nos jours à transférer ses pouvoirs au souverain qui lui est transcendant ; C’est la grande tragédie de l’humanité entière, donnera naissance à un homme blanc européen nouveau, hajouj et majouj (Gog et Magog) qui vit toujours, colonial, prédateur, dominateur, criminel, cupide, inconstant, veule, corrompu, menteur, dissimulateur et traitre, c’est un homme qui s’est mis aux fers.

Pourquoi ces guerres civiles du XVIIe siècle ? Parce qu’il fallait à l’origine dompter et stopper cet homme, qui a commencé à se façonner ‘’self fashioning’’. Cet homme là, a vécu entre l’an 750 à 1600, il s’ est approprié le monde par la connaissance (le début de la modernité, la vraie) et ne se référait qu’à sa propre immanence, c’était un homme libre et par essence anticolonial.

‘’ Un homme qui peut tout, qui ose tout et qui ne porte sa mesure qu’en lui-même. Un homme immanent qui refusait la transcendance du pouvoir et de la souveraineté. ’’. ( Sanjay Subrahanmayan, Connected History, Essays and Arguments, edit. Penguin Random House Canada, 2022, p.96) .

Il faut d’abord partir du constat que la modernité en Europe a produit l’Etat-nation souverain comme réponse à la guerre civile.

A son tour la souveraineté moderne est née pour mettre un terme à la guerre civile.

Le mot clef ici, c’est guerre civile, qui sera régi que par deux acteurs, le prolétariat intérieur (la multitude européenne postérieure à 1600, l’homme blanc européen cupide qui a colonisé et s’est approprié la terre entière, tel Gog et Magog (Hajouj et Majouj)) et le prolétariat extérieur (la Multitude des peuples colonisés). Au XVIIe siècle l’Europe était la proie à d’effroyables guerres civiles, partout, en France, en Angleterre et en Allemagne.

En Allemagne l’épouvantable guerre civile a duré 30 ans , à partir du 23 mai 1618, suite à la défenestration de Prague, au cours duquel deux régents du Saint Empire romain furent jetés dans le vide du haut d’une fenêtre du Chateau de Hradany (l’actuelle Tchéquie), marqua le début de la guerre , la moitié de la populations germanique sera décimée, toutes les armées européenne se succèdent en Allemagne – françaises, espagnole, suédoise, danoise —  elles volent, elles pillent, elles violent.

Les catholiques et les protestants se massacrèrent les uns et les autres. Cet air de guerre de religion cache toutefois une transformation historique profonde et le commencement d’une nouvelle ère : l’Europe sortait alors du moyen âge et marque la fin du premier mode de la modernité, la vraie. Cette nouvelle modernité qui va naitre (anti modernité) est une réponse aux situations de ces guerre généralisées partout en Europe.

Il fallait un projet politique pour mettre un terme à ces guerres civiles, il sera incarné par les nouvelles théories de la souveraineté, dans le but d’annuler l’état de guerre perpétuelle et de le réléguer aux marges de la société en le limitant à des circonstances exceptionnelles. Seule l’autorité souveraine, c’est à dire le monarque (à l’époque) ou l’Etat, pouvait faire la guerre, et ce uniquement contre une autre puissance souveraine. La guerre se trouvait ainsi repoussée en dehors du corps social de la nation et exclusivement limitée à des conflits extérieurs entre Etats.

Elle constituait une exception, tandis que la paix était la norme. Les conflits au sein de la nation devaient se résoudre pacifiquement à travers le jeu politique.

350 ans plus tard (1670-2023, le concept de la démocratie absolue de la Multitude ressurgit et réapparait, devient possible grâce à l’internet (il devient cybernétiquement aisé et très facile sans aucun risque de fraude ou malversation de faire participer toute la population de façon instantanée à partir de leur chez soi, à tous types scrutins ou de votes y compris parlementaires, en shuntant et en passant par dessus la fausse représentation actuelle corrompue, entre les mains des lobbies et de l’oligarchie).

Cette démocratie absolue peut-être réactivée , sauf qu’elle se heurte à l’ordre dominant transcendant de la dialectique hégélienne occidentale qui veut tout subsumer dans la totalité, de la souveraineté, c’est à dire celui du deuxième mode de la modernité (l’actuel ou antimodernité) et de son corollaire naturel qu’est la démocratie libérale corrompue faussement représentative car constitutive au capital.

Avec la crise de la représentation, dans le monde, totalement en déclin et qui a montré ses limites, a pour seul objectif de dresser et confiner l’électorat adventum eternam sur les rails de la route de la servitude, de la manipulation, de la soumission et de la corruption.

*Docteur en physique et DEA en économie

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